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vait pas plus besoin que jamais d'indépendance, d'initiative et d'énergie. Je regrette qu'un écrivain doué de sens sacrifie aux entraînements de la mode, et reprenne en seconde main, une œuvre ténébreuse de propagande qui d'ordinaire ne demande point de talent.

L'éducation des jeunes filles est une des questions les plus délicates de nos jours. Le roman l'a abordée avec éclat, mais non résolue par la plume de M. Feuillet, de Mme Sand. Sibylle et Mlle La Quintinie sont deux antipodes, et bien peu d'esprits accepteront de se placer aujourd'hui à l'un ou à l'autre de ces extrêmes. En attendant, le grand nombre des livres pour les jeunes filles ne seront remarquables que par les fadeurs et les banalités de la pensée traduites en un style banal et fade. Je signalerai comme moins empreint des défauts communs aux ouvrages de cette classe, le livre de fantaisie que Mlle Emma Faucon a écrit sous le titre de Voyage d'une jeune fille autour de sa chambre. Il fait partie d'une bibliothèque des bons livres, et l'on sait que ces sortes de collections sont, en général, littérairement très-mauvaises.

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Cette variante du Voyage autour de ma chambre, se fait pardonner, par des qualités estimables, l'emprunt d'un de ces titres qu'il n'est plus permis de dérober. C'est bien le livre d'une jeune fille instruite, à l'esprit délicat, au cœur honnête. On y trouve plus de pureté dans les sentiments que d'élévation daus les idées. Celles-ci feraient peur, il est vrai, à une société qui, lassée d'avoir détruit, ne se sent plus d'énergie pour reconstruire, retourne à toutes les formes du passé et s'efforce de s'endormir au milieu des ruines. La jeune voyageuse de Mlle Emma Faucon, n'a pas le regard tourné vers l'avenir. Sa prédilection pour les poëmes de Racine fils, la Religion et la Gráce n'indique pas une

1. E. Maillet, in-18, 200 pages.

philosophie ni une littérature bien vivantes, et sans tomber dans les travers de Sibylle, elle n'a guère été préparée, par l'éducation, à être l'épouse de l'homme moderne et la mère des enfants d'un siècle de liberté et de progrès.

Tel est le point où nous en sommes, en fait d'éducation! Un esprit de réaction intellectuelle travaille à élever des barrières entre les deux sexes, à mettre le schisme moral dans la famille en soumettant la femme à des influences d'idées et de sentiments que l'homme doit secouer sous peine de déchéance. Hélas! je ne vois point paraître, dans la littérature d'éducation destinée aux jeunes filles, de livres qui puissent faire d'elles les femmes de l'avenir, les dignes compagnes de l'homme, assez intelligentes et assez fortes pour s'associer à ses idées, à ses travaux, à ses combats. L'instruction délicate, et le sentiment moral que révèle des livres comme le Voyage d'une jeune fille, peuvent concourir à cette tâche, mais n'y suffisent pas.

Les Coups de Foudre1, de M. A. Bouchet, ne sont que de simples nouvelles; mais l'introduction qui les précède indique, de la part de l'auteur, des visées philosophiques et religieuses qui sont bien ambitieuses pour le cadre de deux aussi minces récits : c'est un Essai sur la Providence et la liberté.

M. A. Bouchet paraît aimer à mettre de toutes petites armes au service de grandes causes. Son premier volume, intitulé les Femmes qui savent souffrir, dont le succès, ditil, l'a encouragé à publier celui-ci, était aussi, je pense, un recueil de nouvelles, et il l'avait fait précéder d'une Introduction sur la femme dans la société moderne. On ne saurait être, pour des débuts, à la fois penseur plus hardi et conteur plus modeste. Mais ne parlons que des Coups de foudre et de leur grosse introduction.

1. E. Maillet, in-18.

L'Essai sur la Providence et la liberté, qui a le tort d'être si peu à sa place, est, sous une forme un peu prétentieuse, un exposé de lieux communs philosophiques; c'est, en petits alinéas bien dogmatiques, tout un cours de philosophie et de religion. Les professeurs de nos bons lycées ou de nos meilleurs séminaires seraient très-flattés sans doute de voir reproduire leur enseignement par leurs élèves avec cette précision et cette netteté; mais le monde demande autre chose à la philosophie, quand elle se produit devant lui. M. A. Bouchet est plus prodigue d'affirmations que de preuves, et son compendium de doctrines, saines et bonnes au fond, est d'un homme qui croit beaucoup et trop vite pour faire beaucoup croire.

Le récit de son premier coup de foudre, qui est un coup de la grâce, est intitulé les Rejetons de Caïn; il m'a paru révéler, dans les commencements surtout, un talent réel de narrateur. Le révérend père qui y figure comme l'instrument de la Providence et un intermédiaire de pardon, a la phynonomie sympathique à la fois et austère, et son langage est naturel dans l'élévation. Sa mission et sa robe font accepter l'intervention manifeste de Dieu et les miracles de la foi dans une histoire édifiante. Un peu plus de vraisemblance, pourtant, n'aurait rien gâté, même l'orthodoxie.

La seconde histoire, la Perfide, doit à la mise en scène sans prétexte des influences désastreuses des effets faux et criards. Il s'agit d'une enfant trouvée, élevée à la campagne et qui, devenue grande, rend autant de mal à de braves gens qu'elle en a reçu de bien. Légère, coquette, ambitieuse et rusée, elle porte le trouble dans une famille, divise le père et le fils et met la mère à deux doigts du tombeau; il semble qu'il n'y ait plus de ressources contre elle que dans l'assassinat, lorsque la Providence la frappe d'un coup de foudre, sous un noyer, au milieu de circonstances qui feraient bonne figure dans un mélodrame.

C'est ici que l'on voit le danger des intentions édifiantes

et que le but moral de l'auteur et son cadre littéraire sont sans aucune proportion. Son langage devient faux à plaisir; le style de sermon montre hors de propos le bout de l'oreille. Un personnage parlant de cette dangereuse fille de ferme, la qualifie ainsi : « Ame vide de ce qui se répand, âme pleine de ce qui se concentre. » Et ce personnage est un jeune fermier! Quand on rapporte le corps du pauvre garçon asphyxié par la foudre qui a fait justice de « la perfide, l'auteur remarque qu'on n'avait malheureusement pas à la ferme d'appareil de secours contre l'asphyxie; mais on avait la prière, « la prière de flamme qui calcinerait la pierre, > nous dit-on à ce sujet.

Que M. Bouchet, emporté par ses convictions, exprime pour son compte, avec plus ou moins d'à-propos, ces pieux sentiments, c'est son droit; mais qu'il n'en fasse pas jurer l'expression avec la nature et l'éducation de ses personnages. Son talent gagnerait à en faire, dans tous les cas, un usage plus sobre. L'art ne veut pas être subordonné à des préoccupations d'un ordre supérieur peut-être, mais étranger; il ne porte aucune livrée, même celle d'une cause sainte, et, quelques idées qu'il interprète, il garde son indépendance et relève de ses propres lois.

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Le roman moral et religieux (suite). M. Hipp. Langlois.

La religion et la morale ne trouvent leur compte, dans le roman, comme dans tout ouvrage d'art, qu'à la condition d'être mise en œuvre par des écrivains de cœur et de talent. On a besoin, pour se réconcilier avec les prétendus bons livres, sans vérité ni passion, d'en rencontrer qui vous émeuvent par la sincérité des sentiments et l'exactitude des peintures. J'en ai trouvé un qui exerce sur moi ce double

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charme. C'est un roman religieux qui ne prêche pas, un roman moral qui rencontre la grande vertu en ne cherchant pas la petite édification. Il est simplement intitulé: Un curè1, et il est signé d'un auteur dont je m'accuse de n'avoir pas encore parlé, M. Hippolyte Langlois. Et j'ai eu grand tort, si je juge de ses autres ouvrages, déjà nombreux, par celui que je viens de lire.

Le titre repoussera les uns qui craindront de trouver dessous un des petits livres de la propagation de la foi; il inspirera aux autres une curiosité malsaine, comme s'il annonçait des révélations indiscrètes. Un curé! évidemment cela promet des scènes de catéchisme, de confessionnal ou de sacristie, quelque niaiserie ou du scandale. Eh bien! ni l'un ni l'autre. Ce petit roman est tout simplement l'histoire d'un héros, d'un martyr. Mais on sent que ce héros a vécu parmi nous et de notre propre vie, comprenant par le cœur tous les intérêts humains auxquels il a renoncé, s'associant, par la charité, à toutes les tendresses qu'il ne lui est pas permis d'éprouver pour lui-même. On sent que ce martyr est mort pour ses frères et qu'il a goûté jusque dans l'agonie les jouissances, quelquefois si âpres, du dévouement. Arrière les fictions, les types, les sentiments, le langage de convention; nous sommes en plein dans la réalité.

Le théâtre de la vie et de la mort de ce héros inconnu est ce pauvre coin de la France, qu'on appelle la Sologne, et qui rappelle par sa misère, sa désolation, son insalubrité, les plus mauvais cantons de la campagne de Rome. La végétation est misérable, l'air infecté par les exhalaisons des marais; la fièvre y a établi son domaine: c'est l'oasis de la mort. Les oiseaux mêmes craignent de descendre des hauteurs voisines dans la vallée empestée. Et cependant, dans cette contrée désolée, au milieu de cette population rabougrie et décimée par la misère, il y a place pour les

1. Brunet, in-18.

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