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pensé que ce fût honorer notre pays que de lui appliquer cette dernière hypothèse.

Nous avons également rendu justice à l'intention de l'auteur de la note, et à la louable fermeté qu'il déploie en dénonçant l'incurie du Gouvernement à l'endroit de la marine à vapeur. Examinons maintenant les vues qu'il expose, et tout d'abord la pensée dans laquelle elles se résument, et que l'auteur a lui-même formulée ainsi :

<< Puissante organisation et développement de notre marine à vapeur sur nos côtes et dans la Méditerranée ;

<< Etablissement de croisières fortes et bien entendues sur tous les points du globe où, en paix, notre commerce a des intérêts, où, en guerre, nous pourrions agir avec avantage. »

Assurément, exposées en ces termes, ces deux propositions sont d'une incontestable vérité. Elles expriment com. plétement les besoins de notre état naval, et seront admises par tous ceux qui se sont préoccupés de son avenir. «< Arrêter, comme le demande l'auteur, pour réaliser ce progrès, le courant malheureux qui entraîne la marine dans des dépenses inutiles de matériel et d'établissements, » c'est là certainement une réforme que nous appelons de tous nos vœux. Mais chercher ce résultat aux dépens de notre flotte à voiles, <«<retirer, selon son expression, notre confiance à nos vaisseaux, » pour réduire nos forces à l'entretien de 20 bâtiments à vapeur et de 22 frégates: voilà une assertion qui ne saurait être légèrement admise.

Et elle mérite d'autant plus d'être contrôlée que son esprit domine tout l'écrit de M. le prince de Joinville; que c'est à cette idée fixe de substituer, dans l'armée navale, les agents purement mécaniques à ces merveilleuses créations, produit combiné des forces de l'art et de la nature, qu'aboutissent fatalement les arguments, d'ailleurs judicieux, que lui suggère l'intervention de la puissance nouvelle de la va

peur.

C'est ici qu'il importe d'établir une distinction capitale entre les prémisses posées par l'auteur de la note et les conclusions qu'il en tire; entre le principe d'où il part et les conséquences auxquelles il arrive: distinction d'autant plus indispensable, que, sur une matière incomplétement possédée par la plus grande partie des lecteurs, les idées justes et vraies exprimées dans la première partie peuvent faire illusion sur le reste; que le bon sens public, concilié par l'exposé véridique des conditions nouvelles que la marine à vapeur apporte à la guerre maritime, doit facilement se laisser entraîner à la suite d'une opinion dont quelques parties lui paraissent démontrées. Sa raison, satisfaite sur certains points, le rendra d'autant plus confiant sur le reste, et il sera naturellement porté à admettre, sur la foi d'une autorité qui ne lui sera pas suspecte, les assertions hasardées ou les conséquences forcées dont rien ne lui signalera le défaut.

Or, rien n'est plus dangereux, pour la bonne foi publique, que ce mélange de vrai et de faux présenté avec sincérité par un esprit généreux, mais emporté par sa conviction. C'est le vice ordinaire de tous les systèmes. On est frappé d'une idée neuve, féconde, et qu'il suffirait de laisser mûrir pour qu'elle portât tout son fruit; mais l'homme, dans son ambition, ne saurait se contenter d'une conquête limitée. La valeur absolue de sa découverte ne le contente pas, et il faut qu'elle soit pour lui le rameau d'or qui lui ouvre toutes les portes de l'inconnu. Sur cette idée il échafaude tout un système; il veut par elle expliquer l'immensité et s'égare en des erreurs qui, pour un long temps, dérobent au genre humain, le bénéfice de la découverte originelle.

L'histoire du monde est pleine de ces leçons. Que sont devenus tous les systèmes que nous ont laissés, dans les sciences humaines, les plus beaux génies de tous les âges ? Ils se sont détruits les uns par les autres; à peine si de cha

Tome 1.1844.

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cun il reste l'idée mère, parce que seule elle était vraie et complète dans sa simplicité.

Il en est ainsi des vues exposées par M. le prince de Joinville; et si l'on nous reproche d'avoir invoqué de si grands exemples, à propos d'un écrit du jour, nous rappellerons qu'il s'agit de l'avenir de la puissance navale de la France, et que l'enthousiasme est permis en présence d'un pareil résultat.

Oui, dans la note sur l'état de nos forces navales, tout ce qui concerne les avantages de la marine à vapeur, les changements qu'elle amènera dans le système d'attaque et de défense, eu égard, toutefois, à la portée de cette arme limitée à un rayon circonscrit; tout ce qui démontre la nécessité d'imprimer une impulsion énergique à cette partic de nos armements, est aussi bien pensé qu'exprimé. Oui, l'apparition de la navigation à vapeur offrait à la France une occasion propice de combler, en maintenant son égalité dans cette arme, une partie de son infériorité navale. Partant du même point et marchant du même pas, elle devait arriver en même temps au même degré de puissance et de force. Elle ne l'a pas fait, voilà sa faute. Au lieu de diminuer la distance qui la séparait de l'Angleterre, elle l'a laisser s'augmenter, en ajoutant à l'infériorité de sa marine à voiles celle de sa marine à vapeur. Que de cette im. prévoyance fatale on déduise la nécessité de faire des efforts efficaces pour regagner le temps perdu, c'est un résultat que nous appuierons de tous nos vœux, comme nous l'avons appelé de nos avertissements réitérés. Mais que l'on en tire pour conséquences la réduction de la marine à voiles, l'abandon de nos vaisseaux, l'âme et le corps de la flotte, l'armée de bataille, la seule foree capable d'entrer en ligne devant l'ennemi, voilà ce que nous ne saurions comprendre. Car, tout d'abord, ce serait non-seulement renoncer à toute influence sur les mers, mais encore accepter d'avance le rôle de l'impuissance et de la sujétion!

Qu'on ne prétende pas que cet affaiblissement serait compensé par l'extension donnée à nos armements à vapeur. Sur ce point, nous invoquons l'auteur de la note lui-même. «Il va sans dire, prend-il soin de remarquer, que notre marine à vapeur ne saurait nous donner d'avantages que l'on ne puisse tourner contre nous. » Il en résulte donc qu'après avoir consommé le sacrifice de nos vaisseaux, pour porter toutes nos ressources, pour confier tout notre espoir dans la marine à vapeur, nous n'aurons réussi qu'à nous forger une arme égale à celle que l'on pourra nous opposer. Et, que l'on fasse attention à ceci désormais, dans nos mains, cette arme, avec sa portée restreinte, sera unique. Sur cette seule chance, qu'il faut bien accorder à l'ennemi le pouvoir de balancer, reposera notre salut : perdue, nous voilà désarmés; et, dans l'hypothèse de la victoire, nous n'avons pas même entamé les ressources qui assurent à l'ennemi l'empire incontesté et absolu de la mer.

Car, si, d'une part, comme l'assure l'auteur de la note, « l'emploi de la marine à vapeur réduit les vaisseaux au rôle subalterne de l'artillerie de siége, » que peut, de l'autre, la marine à vapeur contre ces masses d'artillerie mouvantes? Voilà une question qui n'a pas été résolue et qu'il faudrait nécessairement résoudre, dans l'hypothèse où, la France sacrifiant ses vaisseaux, l'Angleterre conserverait les siens.

Cette question tient en échec toute l'argumentation de M. le prince de Joinville, et dont la solution, encore enfermée dans les secrets de l'avenir, laisse les prévisions à l'état de pures hypothèses; il convient de l'exposer.

Par les développements même donnés par l'auteur de la Note, à son opinion touchant le nouveau système de guerre que la marine à vapeur est appelée à introduire, il demeure évident que, selon lui, cette arme est plus propre à l'attaque qu'à la défense, et qu'en outre elle ne peut exercer son action que dans un cercle limité, dont la mesure est l'approvisionnement de combustible. Il résulte de ces deux

points que le nouveau système n'aura d'application que sur les mers de peu d'étendue, comme la Manche et la Méditerranée; et qu'il consistera en une guerre de surprises et de coups de main. Comme il faut bien admettre, ainsi qu'en convient l'auteur, que l'on a affaire à un ennemi égal, au moins, en force et en habileté, il s'ensuit que, des deux parts, on se détruira réciproquement; on se portera, qu'on nous permette l'expression, des coups fourrés; ou, ce qui est plus probable, égaux pour l'offensive; on réservera respectivement les moyens d'attaque pour se défendre contre le danger réciproque. Des deux côtés, les forces actives se trouveront donc neutralisées, et c'est là, en effet, jusqu'à ce que la victoire en décide, la situation normale des nations belligérantes.

Les marines à vapeur ainsi équilibrées sur le théâtre même de leur action, il reste à chercher ce qui peut faire pencher la balance, et c'est ici que se présente la question de la navigation à voiles.

Restera-t-elle simple spectatrice de la lutte? Disparaîtrat-elle subitement des deux parts? Cela n'est nullement supposable. Sera-t-elle réduite à un rôle tellement subalterne que son intervention puisse être regardée comme insignifiante.

L'auteur de la Note l'affirme. Mais sur quels fondements s'appuie-t-il? Sur aucun, il faut bien le dire; et, en effet, il n'en existe aucun.

Quelques expériences nous ont bien montré les services que peut rendre, sur les côtes, une escadrille à vapeur accompagnant une division navale. L'on a vu à Beyrouth, à Saint-Jean-d'Ulloa, en Chine, des bateaux à vapeur offrant la remorque aux bâtiments de guerre, faisant l'office d'éclai reurs et transportant avec rapidité quelques troupes au point de débarquement. Leur utilité en pareil cas est connue et appréciée. Mais partout où jusqu'ici on les a vus agir, ils remplissaient l'emploi d'auxiliaires, soutenus par

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