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'mais si un petit garçon comme toi se donne trop de mouvement, il court au moins le risque d'enflammer son sang, de se donner la fièvre, ou d'autres maladies dangereuses : il en résulte donc quelque chose de semblable à la combustion dont tu parles, et qui peut être tout aussi dangereux, comme il l'est aussi de ne pas se donner assez de mouvement, de se livrer à la paresse, parce qu'alors les humeurs croupissent et le sang se corrompt.

Ainsi, mes chers enfans, en cela comme en tout, il faut savoir garder un juste milieu. >>

Pendant cette conversation, je faisais ma claie ou traîneau, qui fut bientôt finie, et je trouvai que la nécessité avait fait, d'un pasteur assez médiocre en talens, un très-bon charpentier ; deux pièces de bois courbées devant, liées au milieu et derrière par un bois traversier, me suffirent pour la construire: j'attachai de plus deux cordes de trait aux deux cornes élevées, et ma claie fut achevée. Comme je n'avais pas levé les yeux de dessus mon ouvrage, j'ignorais ce que faisaient la mère et les deux cadets lorsque je les regardai, je vis qu'entre

TOME II,

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eux trois ils avaient plumé une quantité d'oiseaux tués, et qu'ils les enfilaient dans l'épée d'un officier marin, de laquelle ma femme avait fait une broche. Je louai son idée, mais je la blåmai de sa prodigalité en voyant devant le feu plus de gibier que nous n'en pourrions manger. Elle me calma en me rappelant que je l'avais moi-même engagée, pour le conserver en provision, à le faire cuire à demi et à le mettre dans du beurre. « J'espérais, me dit-elle, que, puisque tu as un traîneau, tu irais après dîner à Zeltheim chercher la tonne de beurre. » En attendant, elle avait voulu préparer son gibier.

Je n'eus rien à objecter, et je concertai de suite la course à Zeltheim pour le jour même, en la priant de hâter le dîner : elle m'assura que c'était déjà son intention, ayant elle-même un projet pour ce jour-là, que je connaîtrais à mon retour. Moi, j'avais celui de prendre un bain de mer me sentant fort échauffé par un travail pénible et continuel; je voulais aussi en faire prendre un à Ernest, qui devait m'accompagner, tandis que Fritz resterait pour garder la maison.

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CHAPITRE XVI.

Le bain. La pêche. Le lièvre sauteur. La mascarade.

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Aussitôt que nous eûmes dîné, Ernest et moi nous nous préparâmes au depart. Fritz nous fit à chacun le joli présent d'un étui qui se plaçait dans la ceinture du couteau de chasse et qui était arrangé d'une manière très-ingénieuse; on pouvait y mettre un service de table, cuillères, fourchettes et couteaux, et au milieu une petite hache; ce qui me parut commode et utile. Je louai mon fils aîné d'avoir perfectionné mon idée, et trouvé le moyen de faire deux étuis avec sa peau au lieu d'un : il avait employé les deux jambes de devant pour l'un, celles de derrière pour l'autre, et réservé au milieu

la place pour la petite hache. Ernest le remercia plus vivement que je ne l'en croyais capable.

Nous attelâmes ensuite l'âne et la vache à notre claie; chacun prit un morceau de bambou à la main en guise de fouet, et, notre fusil en bandoulière, nous nous mîmes en chemin; Bill nous suivit, Turc resta : après avoir fait nos adieux à nos amis, nous poussâmes nos bêtes en avant. Nous côtoyâmes le bord de la mer, où notre claie, traînée sur le sable, glissait plus facilement que sur l'herbe haute et épaisse ; nous parvînmes au Pont de Famille, sur le Ruisseau des Chakals, et nous arrivâmes à Zeltheim sans obstacle et sans aventure. Nous dételâmes aussitôt nos bêtes pour les laisser paître pendant que nous chargeâmes notre traîneau. Ce ne fut pas sans peine que nous parvînmes à y placer la tonne de beurre salé, celle de fromage, et un baril de poudre : nous ajoutâmes à cela plusieurs instrumens, des balles, de la grenaille, et la cotte du porc-épic de Turc. Ce travail nous attacha tellement, que nous remarquâmes trop tard que nos bêtes, attirées par la bonne herbe de l'autre côté du

ruisseau, avaient repassé le pont, et s'étaient si bien écartées, qu'elles avaient disparu à nos yeux. J'espérais qu'elles ne seraient pas bien loin, et je commandai à Ernest d'y aller avec Bill et de les ramener, pendant que, de l'autre côté de Zeltheim, je chercherais un endroit commode pour me baigner; et dans ce but je me mis en chemin. Je fus bientôt au bout de la Baie Sauveur, et je trouvai qu'elle finissait par un marais chargé des plus belles cannes de jonc qu'il fût possible de voir, et au-delà une suite de rochers escarpés, qui avançaient même un peu dans la mer, et formaient une espèce d'anse qui paraissait arrangée exprès pour le bain ; les saillies des rochers formaient même comme des cabinets séparés, où l'on n'était point vu de ceux avec qui on se baignait. Enchanté de cette découverte, je criai à Ernest de venir me joindre, et, en l'attendant, je m'amusai à couper quelques joncs, pensant que je pourrais m'en servir utilement.

Ernest n'arrivait point, ne me répondait point; je pris enfin le parti de retourner sur mes pas avec une certaine inquiétude; je le

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