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LES SUICIDES.

Ce nom de Régnier Destourbet nous rappelle un jeune homme qui n'était pas sans talent. Il avait été magistrat; il donna sa démission pour se livrer complétement à la vie et à l'exercice des belles-lettres. Il vint, du fond de sa province, à Paris, apportant son tribut à la muse des petits livres, et, si je puis le dire ici, ce livre de Régnier Destourbet, qui était dédié à l'auteur de l'Ane mort et la Femme guillotinée, était une copie de cet étrange livre qui n'a guère porté que des fruits stériles. Ce pauvre Régnier Destourbet toucha donc à la coupe enivrante des rêveurs de profession; mais il s'en dégoûta bien vite, et son roman publié1, son drame épuisé, il se retira, pauvre âme inquiète et malaisée, au séminaire de Saint-Sulpice, dans ce monde à part que gouvernait le sévère et tendre abbé Émeri, l'honneur des Sulpiciens de ce siècle. Un jour de fête carillonnée, un jour de Pâques, à Saint-Sulpice, j'ai vu l'abbé Régnier Destourbet qui servait d'acolyte au prêtre officiant, et si calme était son attitude, et si recueillie en Dieu son humble démarche, qu'il eût été impossible de reconnaître le brillant et éloquent semeur de paradoxes. Ce pauvre hon.me espérait en vain que le joug de Saint-Sulpice lui serait doux et léger, il jeta sa robe aux orties, il rentra dans le monde, qui dé à ne le connaissait plus; il mourut tout de suite, et sans que l'on ait su comment il est mort. C'est pourtant lui qui le premier, en France, a mis en lumière l'empereur Napoléon!

Plusieurs jeunes gens parmi ces beaux esprits qui s'ouvraient à la douce lumière du jour, ont fini plus mal encore que Régnier Destourbet, ils ont fini par le suicide, ils sont morts tués en duel, ils n'ont pas voulu attendre cet avenir que nous avons tous, pour peu que nous sachions être patients et dévoués à notre œuvre. Un des premiers de cette nouvelle génération qui ait porté sur lui-même des mains violentes, ce fut M. Sautelet, le jeune libraire qui avait assisté à la double naissance de deux grandes feuilles entourées d'estime et d'adhésions unanimes, la Gazette des Tribunaux

4. Louisa, ou les douleurs d'une fille de joie, par l'abbé Tiberge. N. Delangle, 1830, 2 vol., pet. in-18.

et le National. M. Sautelet, par son esprit net et vif; par la grâce et l'éloquence de sa parole, par sa jeunesse, par les amitiés qui l'entouraient, par le charme d'un noble cœur, était réservé à un grand avenir. Il avait pour associé M. Paulin, un homme excellent, dévoué, d'un rare mérite, d'une intelligence éprouvée, et qui l'aimait comme on aime son propre frère; il avait pour ami intime Armand Carrel; Carrel a écrit l'oraison funèbre de Sautelet en quelques pages stoïques, intitulées: De la mort volontaire. Ainsi, pour Sautelet, il n'y avait que des promesses heureuses; son nom sur un livre était une garantie, et déjà il avait obtenu deux ou trois de ces rares succès dans la vie d'un libraire qui suffiraient à toute une fortune. Il était l'éditeur des Mémoires de M. le duc de Saint-Simon, que la censure impériale avait mutilés et réduits de moitié, et que MM. Sautelet et Paulin publiaient in ertenso, pour la première fois, dans une édition excellente, et dont les exemplaires, très-recherchés de ceux qui aiment les bons livres, ont doublé de prix aujourd'hui. Avec les Mémoires de Saint-Simon et la Physiologie du goût, autre publication de M. Sautelet, un de ces livres qui ont leur place, une maison de librairie serait riche à tout jamais: par quel accident, par quelle méprise a-t-on vu ce jeune homme attenter à sa vie, à l'instant même où ses amis allaient triompher de cette monarchie qu'ils avaient vouée à l'exil? La mort de Sautelet fut un événement dans tout Paris, elle fut un deuil pour beaucoup de gens, malheureusement elle fut un exemple pour plusieurs qui, certes, n'étaient pas des héros, et qui ne demandaient pas mieux que de vivre, en attendant la fortune et la gloire.

Ainsi se sont tués, sans savoir au juste pourquoi donc ils se précipitaient dans cette mort impie, deux enfants qui se croyaient de grands poëtes, Escousse et son ami Lebras. Ils avaient à peine vingt ans, ils faisaient des vers qu'ils trouvaient bons; ils avaient de belles amours, ils assistaient, comme nous tous, au spectacle d'une révolution, spectacle affligeant, qui en doute? mais plein de curiosité et d'intérêt, qui le nie? Ils avaient donné, à eux deux, au théâtre de la Gaîté, un mélodrame en prose intitulé Raymond; Escousse à lui seul avait fait représenter, au théâtre de la Porte Saint-Martin, une espèce de drame en vers intitulé Farruck le Maure. C'était là tout leur bagage, ils

n'avaient fait que cela dans leur vie..... et les voilà qui veulent mourir. On ne sera pas fâché, j'imagine, de retrouver ici les lambeaux de ces deux drames, enfouis à tout jamais dans les catacombes du théâtre des boulevards.

Farruck le Maure, disait le Feuilleton, est un nègre un peu moins foncé que feu le nègre de M. Ozanneaux, mais aussi furieux et aussi grand parleur, et parleur en vers sonores qui ont au moins douze pieds, tant ils nous paraissent longs et monotones. Or Farruck le Maure est le père d'une petite Mauresque assez farouche que pourchasse un certain don Alphonse, en vrai seigneur portugais :

Vitas hinnuleo me similis Chloe!

Que disons-nous! Chloé s'enfuit à la façon d'une belle qui sera prise tôt ou tard. La fille de Farruck le Maure se jette à l'eau plutôt que d'éviter Alphonse :

Mais s'il eût dit : Voyez quelle est votre conquête !
Je suis un jeune Dieu, toujours vif, toujours beau,
Daphné, sur ma parole, aurait tourné la tête.

Toujours est-il que la fille de Farruck ne s'est pas retournée, et que Farruck est furieux comme deux noirs de M. Ozanneaux.

Donc Farruck est furieux; il se vengera, il se vengera à la façon du prix de vertu couronné naguère des mains délicates de M. Eugéne Sue, Atar-Gul, le Tartufe noir. Seulement si maître Atar-Gull en remontrerait, pour la ruse, à son cousin Farruck, Farruck pouvait en remontrer, pour la rage, à son frère Atar-Gull. Ça fait une jolie paire de messieurs, ces deux noirs, et qui les aurait à son service, aurait deux gentils serviteurs. Or la vengeance du négre-blanc Farruck consiste d'abord à enlever à don Alphonse une autre maîtresse que possédait le Portugais avant de pourchasser la petite Farruck:

Ces bras, avant les tiens, presseront ses appas;
Ah! comme je rirai... La vengeance est permise.
Quel bonheur de saigner un cœur qui vous méprise!

Puis il veut parler à dona Isabelle. Entre la belle; en la voyant, le noir s'écrie:

Sans doute il est cruel, pour une grande dame,
D'épouser un amant couvert d'un sang de femme.

Cela dit, il se précipite sur Isabelle, en criant: je te veux! je te veux! Le nègre crie toujours, jusqu'à ce que vienne don Alphonse, au secours de sa fiancée. Don Alphonse, voyant Farruck, l'appelle, Porc. A quoi Farruck répond:

Un porc peut, s'il le veut, te cracher au visage!

Il finit même par tirer son stylet, en criant à Alphonse :

Eh bien! monseigneur du faureau,

Craignez-vous maintenant d'attaquer le pourceau?

Don Alphonse lui répond que son sang est trop noir; à ce mot, Farruck est saisi d'un mouvement très-dramatique, il se brise la veine, et il dit, levant le bras: Mon sang est rouge!

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On admirait beaucoup ces choses-là en 4834. Il y avait des compagnies poétiques, des écoles littéraires composées tout exprès pour accueillir avec enthousiasme ces charmantes tentatives. On criait: Au Miracle! et il fallait un certain courage pour ne pas couronner ces muses naissantes.

Pastores hederâ crescentem ornate poetam!

Quelques jours après, ces deux jeunes gens s'asphyxiaient par le charbon, et voici comment je racontais ce triste suicide, en attendant que la même thèse se montrât de nouveau quelques années plus tard à l'occasion du drame de M. Alfred de Vigny : Chatterton.

LES PREMIERS PAS.

J'assistais, l'autre soir, à un mélodrame nouveau qui a pour titre l'Abbaye aux Bois, et ma pensée errante à travers ces longues péripéties qu'elle avait peine à suivre, s'arrêtait à cette idée encore un jeune homme, encore un enfant qui s'expose aux hasards du théâtre, et je m'apitoyais sincèrement sur l'avenir de ce jeune homme. Je le voyais, précipité tout d'un coup, dans les angoisses incroyables des théâtres du second ordre; je le voyais en butte aux jalousies, aux labeurs mesquins, à la fausse gloire,

aux violences stériles, aux chagrins trop réels de cette existence à part. Cela m'arrive toutes les fois que je vois entrer un nouveau venu dans la vie littéraire. Le frisson me prend à l'aspect de tous les malheurs qui attendent ce malheureux, pour peu qu'il manque de patience, de courage et de bonheur. La vie littéraire, ô ciel! amoncelez les dégoûts sur les dégoûts, les chagrins sur les travaux, et vous en aurez une faible idée. En haut et en bas, parmi les glorieux, parmi les obscurs, la vie littéraire est la même, à savoir: l'isolement, l'égoïsme, le rude labeur. En haut du moins, il y a quelque chose qui impose, une certaine vapeur radieuse qui a nom la gloire, et qui recouvre le tableau de ces miseres, tandis qu'aux derniers échelons littéraires, quand l'artiste se fait manœuvre, quand l'art devient un métier, quand le drame est un gagne-pain, quand la critique tombe sur vos œuvres de toute la hauteur de son dédain, alors vraiment la vie littéraire est un enfer.

Même parmi les écrivains heureux, dans le nombre de ceux qu'on envie, il en est peu, s'ils étaient sincères avec eux-mêmes, qui ne se disent, à la fin de leur journée, ce que disait cette femme adorée à son dernier jour : « Qui m'eût proposé une pareille vie, je serais morte de désespoir, » s'écriait mademoiselle de Lenclos. Ctte gloire des lettres obéit à des conditions si difficiles! Pour être un grand artiste ou un grand poëte, pour être un savant illustre, il faut être presque né un héros; il faut une âme grande et forte, un corps robuste. une persévérance à toute épreuve; il faut savoir attendre, savoir veiller, savoir chercher, savoir souffrir. Il faut être prêt à l'étude, la nuit et le jour, partout et toujours; il faut user sa vie entière à la poursuite d'une idée, il faut être honnéte homme avant tout. Encore, à ceux mêmes qui étaient nés pour cette vie à part, que de disgrâces il a fallu subir; que de poëtes se sont arrêtés dans la route, fatigués avant d'avoir atteint le but! Écoutez les plaintes des vrais artistes! Voyez dans nos académies ces fronts dépouillés et courbés vers la terre! Alors vous comprendrez combien il faut d'inspiration et de courage, combien il faut de force morale et physique, pour s'engager de gaité de cœur dans des sentiers si hasardés.

Il y a trois jours, dans la nuit du jeudi au vendredi, deux jeunes gens, humbles auteurs de quelques mélodrames sans nom, se

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