Images de page
PDF
ePub

chakoff de demander qu'il y soit expressement fait mention des explications dans lesquelles il était entré dans la Conférence précédente pour établir qu'il n'attache pas à la garantie dont il est question dans l'Article I unanimement adopté, le sens d'une garantie active de l'intégrité territoriale de l'Empire Ottoman.

M. Drouyn de Lhuys expose que l'engagement à contracter par les Puissances, ainsi qu'il a été constaté dans la dernière Conférence, leur impose l'obligation de respecter elles-mêmes et de faire respecter par les autres Parties Contractantes l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'Empire Ottoman, de manière que toute Puissance Contractante qui porterait atteinte à cette intégrité territoriale serait responsable envers les autres, qui useraient alors, pour faire respecter l'engagement commun, de tous les moyens en leur pouvoir, l'emploi de la force non excepté.

Le Prince Gortchakoff reconnaît qu'il y aurait obligation pour la Russie de considérer tout acte attentatoire à l'intégrité territoriale comme une question d'intérêt Européen, mais il se refuse à l'engagement d'en faire un cas de guerre. Il insiste sur l'insertion au Protocole précédent de son observation explicative.

en

Les Plénipotentiaires de Grande-Bretagne et d'Autriche, adhérant à l'opinion exposée par M. Drouyn de Lhuys, demandent de leur côté, en même temps que les Plénipotentiaires de France, à consigner au Protocole d'aujourd'hui l'expression des regrets avec lesquels ils prennent acte de l'interprétation restrictive du Prince Gortchakoff.

Le Comte Buol ajoute que son impression avait été que les explications échangés de part et d'autre dans la dernière Conférence, avaient fait entièrement disparaître la divergence d'opinion manifestée d'abord par le Prince Gortchakoff.

La lecture du Protocole No. 11 terminée, le Prince Gortchakoff dit que les Plénipotentiaires de Russie ont aujourd'hui un double devoir à remplir; celui de donner leur opinion sur les propositions faites dans la dernière Conférence, et celui d'exposer leurs propres idées sur les moyens de développer le troisième principe.

Les propositions qui leur ont été faites, étant à leurs yeux dérogatoires aux droits de souveraineté de l'Empereur leur mattre, contraires à l'équilibre Européen, et dangereuses pour l'indépendance de l'Empire Ottoman, ils ne peuvent que les décliner.

Avant de faire connaître à la Conférence les vues des Plénipotentiaires de Russie sur le sens dans lequel pourrait avoir lieu la révision du Traité du 13 Juillet, 1841, le Prince Gortchakoff exprime itérativement ses regrets de ne pas voir représentée ici l'une des Puissances Européennes dont le double droit de participer à ces délibérations ressort, à ses yeux, de sa qualité d'Etat de premier ordre, et du fait qu'elle est cosignataire de ce Traité.

Après avoir donné lecture du mémorandum annexé sous Litt. A, le Prince Gortchakoff demande si la Conference désire aussi connaître les idées des Plénipotentiaires de Russie sur le mode d'application des vues générales qu'il vient d'exposer.

Lord John Russell déclare que le plan développé par le Prince Gortchakoff repose sur une base sur laquelle il n'est pas

autorisé à traiter; que par conséquent il lui est nterdit d'entrer dans la discussion des détails de ce plan; que toutefois il ne peut empêcher le Prince Gortchakoff de les faire connaître.

Le Prince Gortchakoff, après avoir donné lecture de la pièce annexée sous Litt. B, tient à constater que la Russie s'étant engagée à proposer les moyens de établir l'équilibre des forces dans la Mer Noire, a dégagé sa parole.

Aali Pacha déclare que ses instructions lui préscrivent de maintenir le principe de la clôture des Détroits, que le plan Russe tend à abolir; que la Sublime Porte, ayant de tout temps considéré ce principe comme une garantie de son indépendance, tient à le voir respecté, sauf quelques exceptions, qui pourraient être stipulées; que l'ouverture de la Mer Noire constituerait, à ses yeux, non seulement un danger pour l'Empire Ottoman, mais multiplierait aussi les occasions de conflit entre les Puissances Européennes.

M. Drouyn de Lhuys constate, qu'il n'est pas autorisé à discuter les détails du plan Russe, dont l'idée fondamentale est diamétralement opposée au système que la France aurait voulu faire prévaloir. Ce système tendait à obvier au danger de laisser les deux forces inégales en présence l'un de l'autre, en faisant disparaître de la Mer Noire, sauf les exceptions justifiées par le service de police des deux États riverains, tout appareil de guerre, tandis que le projet Russe permettrait de l'augmenter indéfiniment. La France, empruntant cette idée à l'Impératrice Cathérine de Russie, aurait désiré faire du Pont Euxin une mer entièrement commerciale, d'où seraient exclus les pavillons de guerre de toutes les nations; le plan produit par le Prince Gortchakoff tend au contraire à les y appeler tous. La France maintient le principe de la clôture; la Russie veut l'abolir.

M. Titoff ayant fait observer que l'Article 5 du projet de Traité présenté par M. Drouyn de Lhuys enfreint aussi le principe de clôture et même d'une manière, selon lui, très dangé-reuse pour l'indépendance de la Porte, et le Prince Gortchakoff ayant également déclaré que rien ne serait menaçant pour cette indépendance et pour l'équilibre Européen en général, que des combinaisons qui admettraient de l'autre côté des Détroits l'existence des flottes les plus formidables du monde, tandis qu'en deça le contrepoids de la marine Russe serait anéanti, M. Drouyn de Lhuys réplique que le Gouvernement Ottoman est le meilleur juge de la question de savoir si les exceptions stipulées par l'Article 5 sont, ou non, conformes à son intérêt; que d'ailleurs l'exception ne fait que confirmer la règle, et qu'en tout cas il n'y a pas de comparaison possible entre les cas exceptionnels prévus par l'Article en question, et l'abolition totale du principe de clôture que la Russie propose.

Lord John Russell rappelle, qu'il a déjà établi dans la dernière Conférence que les dangers qui menacent l'Empire du Sultan ne viennent que de la Russie; que la France, pas plus que la Grande-Bretagne, ne sont soupçonnées de viser au renversement de la puissance Ottomane; qui rien ne prouve mieux que la guerre actuelle les sentiments tout opposés dont ces Gouvernements sont animés. La Sublime Porte a fait appel aux

Puissances Occidentales, soit pour avoir leur assistance contre l'agression de la Russie, soit pour obtenir des garanties de sécurité pour l'avenir. L'Angleterre aurait vu un moyen efficace de les lui procurer dans l'adoption du système de neutralité de la Mer Noire, dont M. le Ministre des Affaires Etrangères de France a fait mention. La Russie aurait pu y adhérer sans danger, puisque la Mer Noire serait restée close à tous les pavillons de guerre. La Russie ayant rejeté ce système, tout comme celui de la limitation réciproque des riverains, avec admission d'un nombre restreint de bâtiments de guerre des Puissances Contractantes, et n'ayant proposé de son côté qu'un plan basé sur un principe tout opposé et n'offrant, selon lui, aucune garantie contre les dangers qu'il s'agit d'écarter, il ne peut qu'exprimer ses profonds regrets de ce qu'il n'ait pas été possible de s'entendre au sein de la Conférence sur les moyens de solution pacifique, et de voir l'Angleterre et la France réduites à la nécessité de chercher les garanties indispensables dans la continuation de l'occupation de la Mer Noire et de la Mer Baltique.

Le Comte de Westmorland partage l'opinion de son collègue. M. de Titoff regrette que les Plénipotentiaires de Grande-Bretagne ne se trouvent pas même autorisés à discuter le projet mis en avant par la Russie, tandis qu'une pareille latitude aurait semblé offrir un véritable gage de leur sincérité à désirer la paix.

Le Baron de Bourqueney ayant fait observer que tout le plan développé par les Plénipotentiaires Russes a l'air d'avoir été inspiré par la pensée que la prépondérance de la Russie dans la Mer Noire, à laquelle la Conférence doit chercher les moyens de mettre fin, est une nécessité absolue pour l'équilibre Européen, le Prince Gortchakoff réplique, que le travail présenté par lui a eu le double objet de mettre en lumière, d'abord, que la force agressive de la flotte Russe dans l'Euxin n'est pas à beaucoup près aussi rédoutable qu'on a l'air de le croire, et puis, que dans l'intérêt de l'équilibre Européen comme dans celui de l'indépendance de la Porte, l'existence d'une force navale Russe dans la Mer Noire est nécessaire.

Le Comte Buol dit, que l'Autriche n'ayant rien plus à coeur que de contribuer au rétablissement de la paix, il regrette sincèrement voir la Russie proposer le principe de l'ouverture de la Mer Noire, tandis que les autres Puissances sont unanimes à proclamer le principe contraire comme nécessaire à la tranquillité de l'Europe. L'Autriche comprend que la Russie tient à avoir dans la Mer Noire une force respectable, mais elle voit dans l'extension illimitée de cette force un danger non-seulement pour la Turquie, mais pour la Russie elle-même. Les Plénipotentiaires Russes ont constaté eux-mêmes, que la flotte de la Mer Noire a été trop faible pour contribuer dans la guerre actuelle efficacement à la défense des côtes. Il n'en est pas moins vrai, qu'elle est encore trop forte vis-à-vis de la marine Ottomane, ainsi que les faits de la guerre l'ont également prouvé. C'est donc dans le but d'obvier au retour de nouvelles complications que l'Autriche désire voir apporter une certaine limitation aux forces maritimes de la Russie dans la Mer Noire.

M. Drouyn de Lhuys établit que la Russie ne veut donner

à l'Empire Ottoman aucune espèce de garantie. Quant à celle renfermée dans l'Article 1, et adoptée dans la dernière Conférence, la Russie la réduit à une chimère, puisque même dans le cas où une province Turque serait envahie par une des Puissances Contractantes, la Russie, d'après l'interpretation du Prince Gortchakoff, se bornera à l'emploi de ses bons offices. De l'autre côté elle n'admet aucune limitation d'une flotte qui, au jugement de toutes les Puissances, est disproportionnée aux forces de l'autre Puissance riveraine, au point de constituer pour elle une menace permanente. La Russie signale elle-même comme un danger pour la Porte le rassemblement des forces Européennes autour de Constantinople, et cependant elle propose un plan d'après lequel elles pourraient y accourir librement, et qui permettrait même à la flotte Russe de la Baltique de venir rejoindre celle de la Mer Noire.

Le Prince Gortchakoff ne prétend point que son projet soit exempt d'inconvénients. Mieux vaudrait, en général, abandonner la Sublime Porte à ses propres inspirations et lui laisser davantage sa liberté de mouvement. En tout cas son projet présente moins d'inconvénients que celui produit par M. Drouyn de Lhuys, auquel il attribue la tendance d'humilier la Russie, puisque le principe de limitation touche aux droits souverains.

M. Drouyn de Lhuys proteste contre la tendance imputée à son projet. Si la Russie n'a pas l'intention de donner à sa marine de la Mer Noire un développement indéfini, pourquoi ne s'entendrait-elle pas de gré-à-gré avec la Puissance limitrophe sur une base de limitation réciproque, pourquoi les deux Puissances ne donneraient-elles pas ensuite connaissance à la Conférence du concert établi entre elles? Où serait là l'humiliation et où le déshonneur?

Le Baron Prokesch constate que lorsque quatre Puissances sont unanimes à voir dans l'existence d'une flotte illimitée dans la Mer Noire un danger pour l'Empire Ottoman, l'opinion contraire de la Russie ne saurait les empêcher d'aviser à des mesures de précaution pour obvier à ce danger. Les Plénipotentiaires Russes ont admis eux-mêmes, qu'un développement illimité des forces navales Russes dans la Mer Noire n'était ni dans les intérêts ni dans les intentions de la Russie. Pourquoi dès lors ne pas s'imposer cette limitation sous une forme aussi convenable que celle d'une entente réciproque entre Puissances limitrophes ?

Le Prince Gortchakoff répond à M. le Baron de Prokesch qu'il ne saurait que partager le respect que le Plénipotentiaire d'Autriche manifeste pour un droit de souveraineté de la Sublime Porte; qu'il le reconnaît comme incontestable et s'incline devant ce principe; mais qu'en retour il demande à M. le Plénipotentiaire d'Autriche, pourquoi la même valeur n'est pas accordée par lui à un droit de souveraineté également incontestable de l'Empereur de Russie, celui de décider du nombre des vaisseaux qu'il lui convient d'avoir dans ses propres ports? lui semble que dans ce cas la réciprocité serait de la plus stricte équité.

Le Baron de Prokesch établit que la réponse est dans la dif

férence des positions respectives, l'Autriche étant dans la crise actuelle l'alliée de Puissances qui sont en guerre avec la Russie. D'ailleurs, quelle que soit la confiance que méritent la sagesse et la modération des Souverains, elle ne suffit pas pour rendre superflues les stipulations positives des Traités, nécessaires aussi longtemps qu'il y a des Gouvernements.

M. Drouyn de Lhuys tient à répéter que le projet produit par lui avait été inspiré par une pensée sincèrement conciliante et qu'il ne renfermait absolument rien de blessant ou de provoquant pour la Russie. Le problème à résoudre consistait à trouver les moyens de rattacher l'existence de l'Empire Ottoman à l'équilibre Européen, et de mettre fin à la prépondérance Russe dans la Mer Noire. Mais lorsqu'il s'agit de mettre à l'abri de toute atteinte l'intégrité territoriale de la Turquie, la Russie dit qu'elle veut la maintenir, mais point garantir, et lorsqu'il s'agit de parer aux dangers qui menacent la Turquie du côté de la mer, la Russie rejette péremptoirement toute espèce de limitation de sa flotte, même sous la forme d'un arrangement direct avec la Sublime Porte.

La discussion ayant été ramenée à la question de la garantie agitée déjà au débût de la séance, et sur l'opinion divergente de celle des autres membres de la Conférence que les Plénipotentiaires de Russie ont émise sur la portée de cette garantie, le Baron Bourqueney constate qu'en sa qualité de signataire du Traité de 1841, il a déjà assisté à la même lutte que celle dont il est aujourd'hui témoin. Si ses efforts n'ont pas réussi alors à faire passer le principe du préambule dans le dispositif, il aura au moins la satisfaction de soutenir deux fois la même doctrine, en face, il est vrai, des mêmes adversaires. Qui oserait contester que l'obligation_internationale démandée aujourd'hui à la Russie par les quatre Puissances, inscrite alors dans les Articles d'un Traité, n'eût pas imposé à toutes les Parties Contractantes des devoirs dont le prompt accomplissement eût étouffé dans leur germe les complications actuelles?

Le Comte Buol établit que si l'une des Puissances Contractantes attache à la garantie commune un autre sens que les quatre autres, ce sera à ses risques et périls, puisque les quatre maintiendront leur interprétation.

Aali Pacha propose pour l'Article 1 une rédaction modifiée, dont copie est ci-jointe sous Litt. C, en ajoutant que l'engagement pris par chacune des Puissances Contractantes en vertu de cet Article, consiste, dans son opinion, à respecter et à faire respecter l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'Empire Ottoman, et que la garantie commune s'applique par conséquent à la stricte observation de cet engagement de la part de chacune des Parties Contractantes.

Le Baron Prokesch trouve qu'il serait plus logique de fondre les Articles 1 et 2 en un seul.

La Conférence tiendra compte de ces propositions lors de la rédaction définitive.

Le Comte Buol ne regarde pas comme épuisés les différents modes de solution et considère particulièrement comme la tâche de l'Autriche de s'occuper de la recherche des moyens de rap

« PrécédentContinuer »