Images de page
PDF
ePub

Alors la gêne était devenue effrayante. Il avait fallu prendre le chemin du mont-de-piété," et, après cela, le chemin d'une boutique où l'on achète les reconnaissances du mont-de-piété. La semaine précédente, Louise Chevillé avait engagé12 son alliance, sa dernière ressource.

III

C'était à tout cela que la pauvre femme songeait, en remontant vers la rue des Couronnes, et il lui semblait qu'elle n'aurait plus la force de lutter. Elle avait un terrible moment de découragement; elle serrait sa pièce de cinq francs au fond de sa poche. C'était pour faire manger son fils ce soir et demain; mais après? Ce que son mari allait rapporter, elle le devait dans le quartier. Et, dans une dizaine de jours, il faudrait payer le terme:13 quatre-vingts francs!

Jamais je ne pourrai. Jamais!

Elle gravit péniblement les quatre étages qui menaient à son logement; au moment d'entrer, elle s'arrêta, apeurée. Elle avait entendu marcher. Qui pouvait être là? A cette heure, son fils était à l'école, son mari n'était pas encore revenu de l'atelier. Elle entra cependant et demeura stupéfaite en le voyant qui se promenait d'un pas agité, les poings fermés, le visage tout pâle. Dès qu'il aperçut sa femme, il cria:

-Ah! c'est trop, Louise, c'est trop!...

Elle tomba sur une chaise, contemplant son mari avec effroi; il reprenait:

Oui, c'est trop! Je ne t'en avais rien dit, parce que tu étais bien assez malheureuse comme cela,

. Il avait

1et, après achète les

aine préalliance,

ongeait, et il lui

er. Elle

nt; elle

poche. emain; elle le

jours, cs!

i me

elle

- Qui à l'éT'ate

e en

, les

rçut

ari

rce

Ja,

POUR L'ÉTUDE DU FRANÇAIS.

mais je l'avais deviné! Depuis un mois, je savais qu'il ne sortait rien de la maison, pas un sou de marchandises, et je voyais le patron tout soucieux. Enfin, c'est fini. Il nous a réunis aujourd'hui; il nous a dit la situation : il va liquider1 pour ne pas faire faillite. Et l'atelier est fermé. Voilà!

La femme restait immobile, n'ayant pas la force de parler. Il eut peur de lui avoir fait mal.

Pardonne-moi, Louise; je t'ai dit cela trop brusquement.

Elle bégaya:

Non, mon ami, non.

Il l'embrassa tendrement et murmura:

-Quand je pense que ma pauvre chère femme est forcée de se tuer à la besogne pour gagner notre pain!

En même temps, il se baissait. Il ramassa le carton et l'ouvrit. Il eut alors un ricanement terrible: -Je comprends! Toi aussi! Ah! nous pouvons nous vanter d'avoir de la déveine!16

Il allait lancer un juron, quand deux petits coups frappés à la porte firent soudainement tomber sa colère.

C'est lui! dit-il très doucement.

Pas un mot devant lui! dit la mère.

IV

Elle alla ouvrir à son fils, qui revenait de l'école. Pierre Chevillé sauta au cou de sa mère, puis il se précipita vers son père, laissant tomber son sac. - J'ai été premier! criait-il.

[ocr errors]

- C'est beau cela, dit son père en l'embrassant. Tu es un brave petit garçon.

L'enfant ouvrit son sac pour montrer son livret," et en tira en même temps un objet brillant.

[ocr errors][merged small][merged small]

Ça, répondit tranquillement l'enfant, je l'ai trouvé sur le boulevard de Belleville; je serais bien allé le rapporter tout de suite au poste de police; mais il me tardaits de vous annoncer que j'étais premier.

[ocr errors]

Bien, dit la mère d'une voix troublée; mets-toi à tes devoirs.

[ocr errors]

Et elle poussa son fils dans une autre chambre. Déjà son mari s'était emparé de l'objet trouvé par l'enfant: c'était une bourse en mailles d'or. 19 Il l'ouvrit, des pièces d'or roulèrent sur la table; et, tandis que l'enfant commençait ses devoirs, le père et la mère comptèrent deux cent vingt francs.

Ah! si c'était à nous! fit l'ouvrier avec un geste de colère.

[ocr errors]

Et pourquoi ne serait-ce pas à nous? répliqua la femme, d'une voix sourde.

[ocr errors]

Que dis-tu?

Range cela. Nous en parlerons quand l'enfant sera couché.

Il s'assit dans un coin, tout hébété, les yeux sombres, n'osant pas regarder sa femme qui préparait le dîner.

Ils mangèrent silencieusement. Comme tous les soirs, l'enfant récita ses leçons avant de s'endormir; ses parents se trouvèrent seuls, auprès du tiroir où Jean Chevillé avait enfermé la bourse.

Au bout d'un long moment, il dit:

Femme, cet argent n'est pas à nous!

[graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][subsumed][merged small][merged small][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed]

— Je t'accompagnerai, dit le père.

Quelques instants après, ils s'en allaient tous deux. Le père marchait à grandes enjambées,22 et l'enfant trottinait en poussant de petits cris. Par moments il disait:

Comme tu as la main chaude, papa!

Le malheureux avait la fièvre. Il songeait à tout ce que sa femme lui avait dit la veille; il allait rapporter cet argent, et il ne savait pas comment ils vivraient la semaine suivante. Au moment où il partait, Louise avait murmuré en l'embrassant:

[ocr errors]

Va vite. Quand tu reviendras, nous déciderons ce qu'il faut faire.

Ils étaient arrivés devant le commissariat de police.23 Ils entrèrent, et virent un homme âgé qui causait avec un employé. Jean Chevillé restait auprès de la porte. L'employé, l'apercevant, dit: Qu'est-ce que vous voulez, vous?

Voici, répondit-il en s'avançant; c'est pour une bourse que le gosse a trouvée hier, sur le boulevard, en revenant de l'école.

Et il remit la bourse à l'employé. Ce dernier, se tournant vers l'homme avec lequel il causait, dit : C'est une rude chance!25 La voici!

[ocr errors]

Oui, dit l'homme, je reconnais bien la bourse de ma fille.

- Et elle contenait, dites-vous?

- Deux cent vingt francs.

L'employé compta la somme, puis rendit le tout en disant:

Voici, M. Davricourt. C'est bien celle-ci.

Jean Chevillé tressaillit. Il connaissait bien ce nom de Davricourt, un des gros fabricants de meu

« PrécédentContinuer »