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de voitures, de chariots & de chaifes qui fe croifent ou se rencontrent: outre cette incommodité, on eft fans ceffe arrêté par divers pelotons d'hommes, qui s'affemblent d'espace en efpace pour écouter les difeurs de bonne aventure, les joueurs de gobelets, les chanteurs, & mille autres charlatans qui lifent & racontent des histoires propres faire rire & à infpirer de la joie, ou qui diftribuent des remedes, dont ils expofent éloquemment les effets admirables. Les perfonnes de diftinction fe font fuivre des gens qui leur font fubordonnés. Un Mandarin du premier ordre marche toujours accompagné de tout fon Tribunal, & pour augmenter fon cortége, chacun des Mandarins fubalternes qui le fuivent, traîne ordinairement après lui plufieurs domeftiques. Les Seigneurs de la Cour & les Princes du Sang ne paroiffent en public qu'environnés d'un gros de cavalerie; & comme ils font obligés de fe rendre presque tous les jours au palais, leur train fuffiroit feul pour embarraffer la ville. On doit obferver que dans ce concours prodigieux, on ne rencontre pas une femme, d'où l'on peut juger quelle eft l'étonnante population de Pe-king, puisque le nombre des femmes à la Chine ainsi que par-tout ailleurs, eft plus grand que celui des hommes.

Comme c'est dans cette ville qu'arrivent continuellement toutes les richeffes & les marchandises de l'Empire, l'abord des Étrangers y eft prodigieux; ils s'y font porter en chaise, ou vont à cheval, ce qui eft beaucoup plus: ordinaire; mais ils ont toujours un conducteur qui connoît les rues & les maisons des Grands & des principaux de la ville: on vend même un livre qui enfeigne les quartiers, les places, les lieux remarquables, & la demeure des

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de Pe-tcheli.

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de Pe-tcheli.

perfonnes publiques. En été, l'on rencontre d'espace en espace de petites cabanes où l'on donne au peuple de l'eau à la glace; il trouve par-tout des rafraîchiffemens, des fruits, du thé, des maifons où l'on donne à manger; chaque denrée a fes jours & des lieux déterminés pour être exposée en vente.

Le Gouverneur de Pe-king, qui est un Tartare Mantcheou, s'appelle le Général des neuf portes; fa jurisdiction s'étend non feulement fur les foldats, mais encore fur le peuple, pour tout ce qui concerne la police. Cette police ne fauroit être plus active, & l'on eft furpris de voir, que parmi une multitude prefque infinie de Tartares & de Chinois mêlés ensemble, on jouiffe à Pe-king d'une fi grande tranquillité. Il est rare qu'en plufieurs années on entende dire qu'il y ait eu des maifons forcées, ou des gens affaffinés; toutes les grandes rues font garnies de corpsde-gardes, dont les foldats rodent nuit & jour, portant un fabre pendu à la ceinture, & tenant un fouet à la main pour en frapper, fans diftinction, ceux qui causent du défordre ou qui excitent des querelles.

Les petites rues, qui font également gardées par des foldats, ont des portes faites en treillis, qui n'empêchent pas de voir ceux qui y marchent; ces portes font fermées pendant la nuit, & on ne les ouvre alors que rarement & à des personnes connues, encore faut-il qu'elles aient une lanterne à la main, & qu'elles fortent pour une bonne raison, comme feroit celle d'appeler un Médecin.

Auffi-tôt que le premier coup de veille est donné, deux foldats vont & viennent, d'un corps-de-garde à l'autre, en jouant continuellement d'une efpece de cliquette, pour faire

faire connoître qu'ils ne font point endormis. Ils ne permettent à personne de marcher la nuit; ils interrogent même ceux que l'Empereur envoie pour quelques affaires, & fi leur réponse donne lieu au moindre foupçon, ils ont droit de les mettre en arrêt au corps-de-garde, qui doit répondre à tous les cris de la fentinelle qui est en faction.

C'est par ce bel ordre, qui s'observe avec la derniere exactitude, que la paix, le filence & la fûreté regnent dans toute la ville. Il faut ajouter que le Gouverneur est obligé de faire la ronde, & que les Officiers, qui font de garde fur les murailles & dans les pavillons des portes, où l'on bat les veilles fur de grands tambours d'airain, envoient fans ceffe des fubalternes pour examiner les quartiers qui répondent aux portes où ils fe trouvent. La moindre négligence eft punie dès le lendemain, & l'Officier de garde eft caffé. Cette police, qui retranche les affemblées nocturnes, paroîtra fans doute extraordinaire en Europe, & ne fera probablement pas du goût de nos jeunes élégans & de nos petites maîtreffes.

Mais les Chinois penfent fenfément; ils croient que les Magistrats d'une ville doivent préférer le bon ordre & la tranquillité publique à de vains divertiffemens, qui entraînent ordinairement une infinité d'attentats contre les biens & la vie des citoyens : il est vrai que la manutention de cette police coûte beaucoup à l'Empereur, car une partie des foldats dont on vient de parler, ne font entretenus que pour cet objet. Ils font tous à pied, & leur paye est ordinairement très-forte; leur emploi ne confifte pas feulement à veiller fur ceux qui excitent du tumulte pendant

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le jour, ou qui marchent durant la nuit; ils doivent encore avoir foin qu'on nettoie les rues, qu'on les balaye chaque jour, qu'on les arrose le matin & le foir dans les temps fecs, & que les jours de pluie on en enleve la boue; ils ont ordre d'y travailler eux-mêmes, & de faire écouler les eaux.

Le palais de l'Empereur s'éleve au milieu de la ville Tartare : il offre un amas prodigieux de grands bâtimens de vastes cours & de fuperbes jardins; il est enfermé de toute part d'une double enceinte; le terrein qui est entre la premiere & la feconde, eft occupé par les maisons des Officiers de la Cour, des Eunuques, & par différens Tribunaux, dont les uns font chargés de fournir les chofes nécessaires au service du Prince, les autres de maintenir l'ordre, de juger les différends, & de punir les fautes commises par les Officiers de la Famille Impériale. On donne une lieue & demie de circonférence à l'enceinte extérieure de cet immenfe palais.

Quoique l'Architecture Chinoise n'ait aucun rapport avec celle d'Europe, cependant le palais Impérial de Peking ne laiffe pas de frapper & d'en impofer aux yeux, par l'étendue, la grandeur, la difpofition réguliere des appartemens, & par la structure finguliere des toits à quatre pentes, ornés fur l'arête d'une plate-bande à fleurons, & relevés par les extrémités; ces toits font couverts de tuiles verniffées, & peintes d'un fi beau jaune, qu'elles jettent de loin un auffi grand éclat que fi elles étoient dorées. Au dessous de ce toit fupérieur il s'en forme un autre également brillant, qui naît de la muraille, foutenu grand nombre de poutres enduites d'un vernis vert, & femées de figures dorées : ce fecond toit, avec la faillie

par un

du premier, forme une efpece de couronnement à ces édifices.

Le palais de l'Empereur est à peu de distance de la porte du Sud de la ville Tartare; on y entre par une cour fpacieuse, dans laquelle on on descend par un escalier de marbre, orné de deux grands lions de cuivre & d'une balustrade de marbre blanc, qui forme un fer à cheval, le long d'un ruiffeau qui traverse le palais en ferpentant, & dont les ponts font auffi de marbre. Au fond de cette premiere cour, s'éleve une façade percée de trois portes; celle du milieu n'est que pour l'Empereur, les Mandarins & les Grands paffent par les portes latérales. Ces portes introduisent dans une seconde cour, qui est la plus vaste du palais; elle a environ trois cents pieds de long, fur deux cent cinquante de large; une immenfe galerie l'environne de toutes parts, & fur cette galerie font les magasins des chofes précieuses, qui appartiennent en propre à l'Empereur: car le tréfor public eft confié à la garde d'un Tribunal fouverain, nommé Hou-pou. Le premier de ces magasins eft rempli de vases, & d'autres ouvrages de différens métaux; le fecond renferme les plus belles efpeces de peaux & de fourrures; le troisieme, des habits fourrés de petit-gris, de peaux de renard, d'hermine & de zibeline, que l'Empereur donne quelquefois en présent à ses Officiers ; le quatrieme est un dépôt de pierres précieuses, de marbres rares, & de perles pêchées en Tartarie; le cinquieme, qui est à deux étages, est plein d'armoires & de coffres, où se trouvent les étoffes de foie à l'ufage de l'Empereur & de fa famille; les autres renferment les fleches, les arcs, & autres armes enlevées à l'ennemi ou offertes par différens Princes.

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