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peine de mon séjour à Livry ; je m'y trouve parfaitement bien; j'y vis à ma mode; je me promène beaucoup ; je lis, je n'ai rien à faire, et sans être paresseuse de profession, personne n'est plus touchée que moi du far niente des Italiens. Je ne m'en suis tirée à Paris que par des raisons qui me semblent dignes d'être au-dessus de cette fantaisie; et si je pouvois manquer à tout sans inquiétude, je ne ferois pas plus de chemin que Madame de la Fayette. Je ne m'expose point au serein, je laisse aller Mme. de Coulanges; et Corbinelli m'entretient fort volontiers, car il est bien plus délicat que moi. Amonio me fait prendre tous les matins une pilule très - approuvée, avec un bouillon de bétoine; cela purge le cerveau avec une douceur très-salutaire; c'est précisément ce qu'il me faut : j'en prendrai huit jours, et puis la vendange. Enfin, je ne pense qu'à ma santé, et c'est ce qui s'appelle présentement mettre du sucre sur du macaron. Ne soyez done point en peine de moi, et ne vous occupez que de me donner le grand et le dernier remède que vous m'avez promis, par votre très-aimable présence.

Tout le monde se meurt aux Rochers et à Vitré, de la dyssenterie et des fièvres pourprées. Deux de nos ouvriers ont péri; j'ai

tremblé pour Pilois; les meûniers, les métayers, tout a été attaqué de ces cruelles maladies. Comme vous êtes au-dessus du vent, j'espère que vous ne serez point exposée à ces grossières vapeurs; tout est sain ici; l'idée que vous en avez n'est pas juste. La Mousse est en Poitou avec Madame de Sanzei. Il est vrai que lui et Corbinelli sont trop d'accord pour divertir les spectateurs. Corbinelli vous croit aussi habile que le Père Malebranche: vous pouvez vous humilier tant qu'il vous plaira ; vous serez exaltée malgré vous. C'est le livre du petit Marquis que je lis; j'ai aussi celui de M. d'Andilly, qui est admirable; je lis le Schisme d'Angleterre *, dont je suis extrêmement contente; et par-dessus tout cela, des livres de furie du Père Bouhours et de Ménage, qui s'arrachent les yeux, et qui nous divertissent. Ils se disent leurs vérités, et souvent ce sont des injures : il y a aussi des remarques sur la langue françoise, qui sont fort bonnes; vous ne sauriez croire comme cette guerre est plaisante. J'admire que le Jésuite se livre,

* C'est le livre du Jésuite Sanderus, traduit par Maucroix ; ouvrage plein de partialité et de fanatisme, qui a été solidement réfuté par Burnet. Ni l'ouvrage ni la réfutation ne sont lus, maintenant que cette histoire a été écrite par des philosophes.

comme il fait, ayant nos frères (de PortRoyal) pour auditeurs, qui tout d'un coup le releveront de sentinelle, au moment qu'il y pensera le moins: c'est de son côté que le ridicule penche *. Le Père Prieur nous fait une très-bonne compagnie; il est admirable pour tout cela.

Ah, ma fille ! que vous auriez bien fait votre profit d'un Père le Bossu (1) qui étoit hier ici! c'est le plus savant homme qu'il est possible, et Janséniste (2), c'est-à-dire, Cartésien en perfection: il est mitigé sur de certaines choses. Je pris un plaisir sensible à l'entendre parler; le Père Prieur le conduisoit par les bons chemins; mais je pensois

* Aussi Bouhours, qui avoit attaqué le premier, fut le premier à demander la paix. Ménage raconte que dans la visite qu'il fit au Jésuite après leur réconciliation, il l'aborda par cette phrase de Pétrone : « La » blessure étoit grande; mais elle n'a point laissé de » cicatrice ». Il ajoute naïvement: Depuis que nous sommes amis, je n'ai plus trouvé de fautes dans ses ouvrages.

(1) René le Bossu, Chanoine régulier de SainteGeneviève, auteur d'un excellent Traité sur le Poëme épique.

(2) Cette conformité du Janséniste avec le Cartésien est relative à l'arrêt burlesque de Despréaux pour le maintien de la doctrine d'Aristote contre la raison. Voyez cet Arrêt dans les Œuvres de Despréaux.

toujours

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toujours à vous, et je me trouvois indigne d'une conversation dont vous eussiez si bien profité, et dont vous êtes très-digne. Corbinelli adore ce Père, il l'a été voir à SainteGeneviève; et quand il sera ici, nous les ferons retrouver ensemble. Madame de Coulanges est encore à Versailles; le bien bon est à Paris; je suis seule ici, et je ne suis point seule, dont je suis quasi fâchée; car je m'y trouverois fort bien. M. et Madame de Mêmes sont ici. M. de Richelieu, Madame de Toisi, et une petite fille qui chante, vinrent dîner chez eux avant-hier; j'y allai l'après-dînée, nous y lûmes une relation détaillée du siége de Maestricht, qui est en vérité une très-belle chose : les frères de Ripert y sont très-bien marqués. Madame de Soubise est partie avec beaucoup de chagrin, craignant bien qu'on ne lui pardonne pas l'ombre seulement de sa fusée : ce fut une grande boucle tirée *, lorsque l'on y pensoit le moins, qui mit l'alarine au camp. Je vous en dirai davantage, quand j'aurai vu Sylphide.

Amonio ne me chasse point encore d'ici; il y fait trop beau, et je m'en vais y guérir mes mains. Je ne lui dis jamais un mot

* C'étoit un signal convenu entre elle et le Roi. Voyez les Mémoires de Saint-Simon.

TOME V.

G

d'italien; mais aussi il ne m'en dit pas un de françois : voilà ce que nous aimons. Il y a bien des intrigues à Chelles pour lui; je crois qu'il n'y fera pas vieux os, tout est révolté. Madame le soutient, les jeunes le haïssent, les vieilles l'approuvent, les confesseurs sont envieux, le Visiteur le condamne sur sa physionomie : il y a bien des folies à dire sur tout cela.

Mais parlons de Philisbourg : on commence à croire qu'il ne sera point pris; il n'est déjà plus que bloqué. Les troupes ennemies sont décampées pour aller prier humblement M. de Luxembourg de se retirer de Brisgaw (1), dis-je bien? qui est une Province qu'il désole, et que l'Empereur estime plus que la prise de Philisbourg. Tout contribue au bonheur du Roi; aussi, quand j'ai peur pour mon fils, c'est par la raison qu'on fait quelquefois des pertes particulières dans les victoires publiques mais de la barque entière, je n'en tremblerai jamais.

Je suis bien plus en peine de celle qui conduit les ballots de notre Cardinal, qui, par son malheur, fait toujours tout échouer; vous en avez un coin dans votre fortune, aussi bien qu'un quartier dans vos armes. (1) Pays d'Allemague entre le Rhin et la Forêt noire.

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