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exemple, ni ébranler votre couragepar le récit de mes foibleffes; confervez » toute votre raifon: jouiffez de la gran→ deur de votre ame pendant que je m'ai» derai, comme je pourrai, de toute la » tendreffe de la mienne.

כל

Me voici dans un lieu, ma fille, qui eft le lieu du monde où j'ai pleuré le »jour de votre départ le plus abondam>>ment & le plus amèrement ; la pensée » m'en fait encore treffaillir.... Ma » chere enfant, je n'en puis plus ; votre >> fouvenir me tue en mille occafions. J'ai penfé mourir dans ce jardin où je vous » ai vûe mille fois: je ne veux point vous » dire en quel état je fuis; vous avez une vertu févere qui n'entre point dans la foibleffe humaine. Il y a des jours, des heures, des momens où je ne fuis pas » la maîtreffe; je fuis foible, & ne me » pique point de ne l'être pas.

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» Hélas! ma chere enfant, il y a plus d'un an que je ne vous ai vue: je fens » vivement cette absence; & vous, ma » fille, n'y penfez-vous point quelquefois un petit moment?

Je ne vous parle point aujourd'hui de ma tendreffe, c'eft que je ne vous » aime pas.

Adieu, mon enfant je vous défie de pouvoir comprendre combien je » vous aime.

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» Je m'en vais dans un lieu où je pen» ferai à vous fans ceffe, & peut-être trop » tendrement, Ileft bien difficile que je revoie ce lieu, ce jardin, ces allées, ce petit pont, cette avenue, cette prairie, » ce moulin, cette petite vûe, cette forêt, » fans penser à ma très-chere enfant.

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Adieu, ma chere enfant, vous dirai»je que je vous aime? Il me femble que >> c'est une chofe inutile. Vous le croyez » affurément.

»Je fonds en larmes en lifant vos Lettres; il femble que mon cœur veuille se »fendre par la moitié ; il femble que vous m'écriviez des injures, ou que » vous foyez malade, ou qu'il vous foit arrivé quelque accident; & c'eft tout le contraire: vous m'aimez, ma chere >> enfant, & vous me le dites d'une maniere que je ne puis foutenir fans des alarmes en abondance. Vous continuez >> votre voyage fans aucune avanture fâcheufe; & lorfque j'apprends tout cela, qui eft juftement tout ce qui me peut » être le plus agréable, voilà l'état où

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fuis. Vous vous amufez donc à penfer » à moi, vous en parlez, & vous aimez » mieux m'écrire vos fentimens, que » vous n'aimez à me les dire; de quel» que façon qu'ils me viennent, ils font » reçus avec une tendreffe & une fenfi»bilité qui n'eft comprife que de ceux » qui favent aimer comme je fais. Vous » me faites fentir pour vous tout ce qu'il » eft poffible de fentir de tendreffe; mais » fi vous fongez à moi, ma chere enfant, foyez affurée auffi que je penfe continuellement à vous; c'eft ce que les dé»vots appellent une penfée habituelle ; c'eft ce qu'il faudroit avoir pour Dieu, » fi l'on faifoit fon devoir....

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» Adieu, ma chere enfant, l'unique » paffion de mon cœur, le plaifir & la » douleur de ma vie ; aimez-moi tou

jours; c'eft la feule chofe qui peut me » donner de la confolation...

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>> Vous comprenez bien, ma belle', » que de la maniere dont vous m'écri> vez, il faut que je pleure en lifant vos

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lettres. Joignez à la tendreffe & à l'in>> clination naturelle que j'ai pour votre » perfonne, la petite circonftance d'être perfuadée que vous n'aimez, & juger de l'excès de mes fentimens, Méchan

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te, pourquoi me cachez-vous quelquefois de fi précieux tréfors? Vous avez " peur que je ne meure de joie; mais ne craignez- vous point auffi que je ne » meure du déplaifir de croire voir le >> contraire?... Ah! mon enfant, que » je voudrois bien vous voir un peu, vous entendre, vous embraffer, vous » voir paffer, fi c'eft trop que le refte! » Hé bien! par exemple, voilà de ces » penfées aufquelles je ne réfifte pas; je »fens qu'il m'ennuie de ne vous plus avoir; cette féparation me fait une douleur au cœur & à l'ame, que je fens » comme un mal du corps.

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Je vous écris au bout de cette allée >>fombre que vous aimez, affife fur ce fiége de mouffe, où je vous ai vûe quel» quefois couchée: mais, mon Dieu! où ne vous ai-je point vûe ici, & de quelle façon toutes ces penfées me traversent> elles le cœur ? Il n'y a point d'endroit. point de lieu, ni dans la maison, ni » dans l'Eglife, ni dans le pays, ni dans

le jardin, où je ne vous aie vûe; il n'y »en a point qui ne me faffe fouvenir de » quelque chofe; de quelque maniere que ce foit, je vous vois, vous m'êtes préfente, je penfe & repense à tout ¿

ma tête & mon efprit fe creufent; mais »j'ai beau tourner, j'ai beau chercher; cette chere enfant, que j'aime avec » tant de paffion, cft à deux cents lieues de moi, je ne l'ai plus: fur cela je » pleure fans pouvoir m'en empêcher. » Voilà qui eft bien foible; mais pour moi je ne fais point étre forte contre une tendreffe fi jufte & fi naturelle.... Je vous prie de ne point parler de mes foibleffes, mais vous devez les aimer, & refpecter mes larmes, puifqu'elles > viennent d'un cœur tout à vous.... » Adieu, ma chere petite, voilà tout ce » que vous aurez de Livry. Si j'avois eu la force de ne vous y point écrire, & de faire un facrifice à Dieu de tout ce » que j'y ai fenti, cela vaudroit mieux que toutes les pénitences du monde : mais » au lieu d'en faire un bon usage, j'ai cherché de la confolation à vous en » parler. Ah! ma fille, que cela eft foi »ble & miférable!

» Ma fille, aimez-moi donc toujours; c'eft ma vie, c'eft mon ame que votre amitié; je vous le difois l'autre jour » elle fait toute ma joie & toutes mes > douleurs. Je vous avoue que le reste de » ma vie eft couvert d'ombre & de trif

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