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plus constamment à l'objet commun. 5° Pour donner à chaque membre d'un conseil des connoissances plus nettes et plus étendues des affaires et de leurs divers rapports; en sorte qu'ayant manié les autres parties, il voie distinctement ce que la sienne est au tout, qu'il ne se croie pas toujours le plus important personnage de l'état, et ne nuise pas au bien général pour mieux faire celui de son département. 6o Pour que tous les avis soient mieux portés en connoissance de cause, que chacun entende toutes les matières sur lesquelles il doit opiner, et qu'une plus grande uniformité de lumières mette plus de concorde et de ráíson dans les délibérations communes. 7° Pour exercer l'esprit et les talents des ministres: car, portés à se reposer et s'appesantir sur un même travail, ils ne s'en font enfin qu'une routine qui resserre et circonscrit pour ainsi dire le génie par l'habitude. Or l'attention est à l'esprit ce que l'exercice est au corps'; c'est elle qui lui donne de la vigueur, de l'adresse, et qui le rend propre à supporter le travail : ainsi l'on peut dire que chaque conseiller d'état, en revenant après quelques années de circulation à l'exercice de son premier département, s'en trouvera réellement plus capable que s'il n'en eût point du tout changé. Jẻ ne nie pas que, s'il fût demeuré dans le même, il n'eût acquis plus de facilité à expédier les affaires qui en dépendent; mais je dis qu'elles eussent été moins bien faites, parcequ'il eût eu des vues plus bornées, et qu'il n'eût pas acquis une connoissance aussi exacte des rapports qu'ont ces affaires avec celles des autres départements: de sorte qu'il ne perd

d'un côté dans la circulation que pour gagner d'un autre beaucoup davantage. 8° Enfin, pour ménager plus d'égalité dans le pouvoir, plus d'indépendance entre les conseillers d'état, et par conséquent plus de liberté dans les suffrages. Autrement, dans un conseil nombreux en apparence, on n'auroit réellement que deux ou trois opinants auxquels tous les autres seroient assujettis, à peu près comme ceux qu'on appeloit autrefois à Rome senatores pedarii, qui pour l'ordinaire regardoient moins à l'avis qu'à l'auteur: inconvénient d'autant plus dangereux, que ce n'est jamais en faveur du meilleur parti qu'on a besoin de gêner les voix.

On pourroit pousser encore plus loin cette circulation des départements en l'étendant jusqu'à la présidence même; car s'il étoit de l'avantage de la république romaine que les consuls redevinssent, au bout de l'an, simples sénateurs, en attendant un nouveau consulat, pourquoi ne seroit-il pas de l'avantage du royaume que les présidents redevinssent, après deux ou trois ans, simples conseillers, en attendant une nouvelle présidence? Ne seroit-ce pas pour ainsi dire proposer un prix tous les trois ans à ceux de la compagnie qui, durant cet intervalle, se distingueroient dans leur corps? ne seroit-ce pas un nouveau ressort très propre à entretenir dans une continuelle activité le mouvement de la machine publique? et le vrai secret d'animer le travail commun n'est-il pas d'y proportionner toujours le salaire?

CHAPITRE VII.

Autres avantages de cette circulation.

Je n'entrerai point dans le détail des avantages de la circulation portée à ce dernier degré. Chacun doit voir que les déplacements, devenus nécessaires par la décrépitude ou l'affoiblissement des présidents, se feront ainsi sans dureté et sans effort; que les ex-présidents des conseils particuliers auront encore un objet d'élévation, qui sera de siéger dans le conseil général, et les membres de ce conseil celui d'y pouvoir présider à leur tour; que cette alternative de subordination et d'autorité rendra l'une et l'autre en même temps plus parfaite et plus douce; que cette circulation de la présidence est le plus sûr moyen d'empêcher la polysynodie de pouvoir dégénérer en visirat; et qu'en général la circulation répartissant avec plus d'égalité des lumières et le pouvoir du ministère entre plusieurs membres, l'autorité royale domine plus aisément sur chacun d'eux : tout cela doit sauter aux yeux d'un lecteur intelligent; et s'il falloit tout dire, il ne faudroit rien abréger.

CHAPITRE VIII.

Que la polysynodie est l'administration en sous-ordre la plus naturelle.

Je m'arrête ici par la même raison sur la forme de la polysynodie, après avoir établi les principes géné

raux sur lesquels on la doit ordonner pour la rendre utile et durable. S'il s'y présente d'abord quelque embarras, c'est qu'il est toujours difficile de maintenir long-temps ensemble deux gouvernements aussi différents dans leurs maximes que le monarchique et le républicain, quoique au fond cette union produisît peut-être un tout parfait, et le chef-d'œuvre de la politique. Il faut donc bien distinguer la forme apparente qui régne partout, de la forme réelle dont il est ici question: car on peut dire en un sens que la polysynodie est la première et la plus naturelle de toutes les administrations en sous-ordre, même dans la monarchie. En effet, comme les premières lois nationales furent faites par la nation assemblée en corps, de même les premières délibérations du prince furent faites avec les principaux de la nation assemblés en conseil. Le prince a des conseillers avant que d'avoir des visirs; il trouve les uns, et fait les autres. L'ordre le plus élevé de l'état en forme naturellement le synode ou conseil général. Quand le monarque est élu, il n'a qu'à présider, et tout est fait: mais quand il faut choisir un ministre, ou des favoris, on commence à introduire une forme arbitraire où la brigue et l'inclination naturelle ont bien plus de part que la raison ni la voix du peuple. Il n'est

pas moins simple que, dans autant d'affaires de différentes natures qu'en offre le gouvernement, le parlement national se divise en divers comités, toujours sous la présidence du roi, qui leur assigne à chacun les matières sur lesquelles ils doivent délibérer: et voilà les conseils particuliers nés du conseil général dont ils sont les membres naturels, et la synodie chan

gée en polysynodie; forme que je ne dis pas être, en cet état, la meilleure, mais bien la première et la plus naturelle.

CHAPITRE IX.

Et la plus utile.

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Considérons maintenant la droite fin du gouvernement et les obstacles qui l'en éloignent. Cette fin est sans contredit le plus grand intérêt de l'état et du roi; ces obstacles sont, outre le défaut de lumières, l'intérêt particulier des administrateurs; d'où il suit que, plus ces intérêts particuliers trouvent de gêne et d'opposition, moins ils balancent l'intérêt public; de sorte que s'ils pouvoient se heurter et se détruire mutuellement, quelque vifs qu'on les supposât, ils deviendroient nuls dans la délibération, et l'intérêt public seroit seul écouté. Quel moyen plus sûr peut-on donc avoir d'anéantir tous ces intérêts particuliers que de les opposer entre eux par la multiplication des opinants? Ce qui fait les intérêts particuliers, c'est qu'ils ne s'accordent point; car s'ils s'accordoient, ce ne seroit plus un intérêt particulier, mais commun. Or, en détruisant tous ces intérêts l'un par l'autre, reste l'intérêt public, qui doit gagner dans la délibération tout ce que perdent les intérêts particuliers.

Quand un visir opine sans témoins devant son maître, qu'est-ce qui gêne alors son intérêt personnel? A-t-il besoin de beaucoup d'adresse pour en imposer à

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