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LE DUEL.

Je devrais placer au rang des suicidés et, qui pis est, au rang des fous, un nommé Signol qui avait écrit, pour le théâtre de la Porte-Saint-Martin, plusieurs drames passablement écoutés, et ce succès même, enflant outre mesure la vanité de l'écrivain, l'avait poussé à insulter tout le monde. On eût dit, à le voir, à l'entendre, un fier-à-bras, un vrai capitan de l'ancienne comédie. Il ne manquait pas de bravoure, à coup sûr, mais il y avait en lui un tel contentement de soi-même, qu'il en oubliait les plus nécessaires conditions de la vie à l'usage ordinaire de tous les hommes bien élevés. Bref, il était insupportable, et le malheureux ! -il en fut cruellement châtié.

Un soir, comme il arrivait au Théâtre-Italien dans l'entr'acte, il vit une stalle inoccupée, et il s'y installa sans façon. L'instant d'après, quand chacun fut revenu à sa place, paraît l'officier de service au théâtre, et très-poliment il redemande sa place à M. Signol. Signol répond qu'il se moque de l'officier (un jeune officier de la garde royale), et il le frappe au visage. Entendezvous, il frappe au visage ce jeune homme qu'il n'avait jamais vu ! Apres quoi il s'en va laissant sa carte. Le jeune homme s'assied tranquillement dans sa stalle, et à la fin de la pièce il fait son rapport en ces termes : « Rien de nouveau ; seulement l'officier de garde a reçu un soufflet. » A quoi le colonel répondit en marge du rapport : « Je donne à l'officier de garde un jour de congé pour apres-demain. »

Le surlendemain, à la porte de Signol, s'arrête une calèche à quatre chevaux et conduite à la Daumont, par un groom en grande livrée. Les deux témoins de l'officier insulté font monter M. Signol et ses témoins dans cette brillante voiture; eux-mêmes ils suivent dans un équipage plus modeste. On fut bien vite à Vincennes, dans la forêt. M. Signol n'était pas gauche à tenir une épée; c'était la première fois que se battait le jeune homme insulté. Le combat ne dura pas dix minutes; Signol fut tué d'un coup d'épée en plein cœur.

Une mort du même genre, mais elle méritait d'être déplorée, et elle le fut en effet, ce fut la mort de Dovalle, un jeune poëte

d'un grand avenir, tué, dans un duel au pistolet, par M. Mira, le fils de Brunet, le naïf et charmant comédien du théâtre des Variétés. Dans un moment d'humeur, M. Dovalle avait écrit, en plein journal, un mot qu'il était facile de retirer, mais M. Mira s'y prit mal, et il eut le malheur de tuer ce jeune homme, enfant des Muses françaises, dont le sang a poursuivi son vainqueur jusqu'au tombeau. On a remarqué, en effet, que depuis la mort du jeune Dovalle, rien n'avait réussi à M. Mira. H passait dans la rue, et bien que le combat eût été loyal en toutes choses, à peine si ses amis lui tendaient une main dédaigneuse. Il avait une place, il la perdit; une fortune, il perdit sa fortune, et il ne fit plus que mener une vie errante et vagabonde, vivant à grande peine, et entraînant dans sa misère une jeune femme, aimée et honorée de tous. Enfin, il est mort obscurément, et chacun disait : pauvre Dovalle! Il n'est pas bon d'avoir ses mains tachées de sang. Il n'est pas bon d'entendre sans cesse, à son oreille déchirée, le râle d'un malheureux qu'on aura tué, pour un mot, pour un coup d'œil, pour un rien !

Hélas! disais-je à propos de la mort de Dovalle, il est mort de cette rencontre imprévue? - O misère! voilà un jeune homme étendu sur la terre humectée de son sang! On le transporte chez un bûcheron où il reste étendu sur la paille, et livré pendant douze heures, au râle de la mort, loin de sa famille qui l'avait élevé à si grands frais, loin de ses amis, loin de tous les siens. Et si l'on songe que dans ce noble cœur qui ne bat plus il y avait tant de vives étincelles poétiques, si l'on vous prouve que cette main défaillante savait tenir une plume, et que cette plume savait écrire des vers pleins de charme, alors, vous pleurerez sur ce jeune homme aux belles et touchantes inspirations, vous aurez de sincères regrets pour cette vie si malheureusement interrompue dans ses tendres rêveries, dans ses folles espérances, dans ces visions de bonheur et d'amour, qui vous font poëte, à coup sûr, au moins durant tout un jour. »

Telle est l'histoire du jeune Dovalle. A lire ses poésies, c'était le meilleur et le plus timide des hommes; des goûts simples, des vers faciles, la promenade; la musique, le soir, dans les carrefours; des visions magiques à sa fenêtre, le matin; une profonde connaissance de tous les plaisirs que donnent l'étude et la nature,

voilà le poëte. Ecoutez-le, et dites-moi s'il n'y a pas dans ces beaux vers, tout remplis de jeunesse et de soleil, beaucoup de grâce et d'abandon :

LA CAMPAGNE APRÈS UNE PLUIE D'ÉTÉ.

De l'eau qui tombe goutte à goutte,
Chrysa, je n'entends plus le bruit :
Le ciel est clair, l'ouragan fuit,
L'oiseau joue au bord de la route.
Entre les sentiers tortueux,
Sous les verts buissons d'aubépine,
Parmi les touffes d'églantines
Chrysa, veux-tu venir, tous deux ?
"Les papillons du crépuscule
De nouveau brillent étalés,
Sous le vent la prairie ondule,
La caille chante dans les blés...

Viens avant que le jour finisse,
Viens, Chrysa, donne-moi la main.
Du vallon prenons le chemin,

L'heure aux doux songes est propice.

On rencontre, à coup sûr, une certaine fraîcheur, un vrai parfum dans ces vers de M. Dovalle, mais combien son recueil, attristé par cette mort douloureuse, était loin de promettre ce que promettait au même instant, à la même heure, un livre tout flamboyant de grâce, d'esprit, de folie et de vers nouveaux, signés d'un nom inconnu, Alfred de Musset! Même à propos de M. Dovalle je signalais déjà (on aime à retrouver les premiers bruits des grandes renommées): « l'impertinence toute aimable de ce jeune homme de seize ans qui a fait la ballade à la Lune, et qui nous a jeté, avec tant de spirituel dédain, plus de cent vers excellents, pleins de verve, de force, de chaleur et d'esprit, au milieu d'un déluge de choses impossibles, où la fantaisie est tout, où le bon sens fait silence et s'incline en maugréant. >>

LASSAILLY.

Pendant que ceux-ci se tuaient sur le champ du duel, et que ceux-là se tuaient de leurs mains, d'autres succombaient d'une

:

façon plus lamentable encore, sous le poids de la vie littéraire. A peine avaient-ils fait un pas dans cette carrière de ronces et d'épines, aussitôt le désastre de leur cerveau fatigué les forçait de s'arrêter, et leur tête lassée s'avouait vaincue avant l'heure. Ainsi mourut un brave garçon que nous avons tous connu, que nous avons tous aimé, Lassailly, le plus fantasque et le plus extraordinaire écrivain que la nouvelle génération ait tenté de mettre au jour. Il avait commencé par pousser à l'extrême toutes choses; la manie était son point de départ. Il avait fait un livre intitulé les Roueries de Trialph, avec un zig-zag pour épigraphe, et ce livre était rempli de mille choses zig-zagantes (c'est un mot qui est fait d'hier). Je voudrais, pour beaucoup, le posséder aujourd'hui, ce livre que j'ai possédé en manuscrit ; bien des amateurs me porteraient envie. Il contient en germe la folie et le talent de M. Lassailly. Le pauvre diable, il avait bien de la peine à gagner sa vie ; il vivait au jour le jour, toujours de peu, souvent de rien. Il avait froid en hiver, il avait faim en été ; il passait de l'extrême gaîté à la tristesse extrême; il a fait un journal, et ce journal servait de piédestal unique à sa statue équestre, car pour le moins il s'était mis à cheval sur ce bronze à sa louange.

Un jour M. de Balzac, qui flairait l'esprit comme on flairé un brin de muguet, rencontrant Lassailly qui grelottait, le mena dans sa maison des Jardies; rien n'y manquait, sinon un escalier pour y monter. Aux Jardies, le propriétaire de ces domaines qui pouvaient bien avoir vingt-cinq perches de long, sur trente perches de large, installa maître Lassailly dans une chambre obscure, et pour dégager cet esprit de la matière absolument, il essaya de nourrir son hôte avec très-peu de pain et beaucoup de café noir..... à peu près le régime de la Pythie antique; à peine s'il y manquait le trépied. M. de Balzac espérait, par ce traitement énergique, arriver à des résultats incalculables avec l'esprit de ce pauvre diable. Inutile torture! Il n'y avait que ia lie inerte dans ce cerveau qui s'était dépensé en billevesées. Lassailly succombant sous la faim et l'insomnie, également stériles, sortit des Jardies comme notre premier père est sorti du paradis terrestre, et quand plus tard, il fut bien avéré que cet infortuné, d'un si beau génie, était impuissant à porter le rocher de Sysiphe, il arriva que le ministre de l'intérieur, à la prière de M. Alfred de Vigny, le protecteur de

ce pauvre esprit malade, lui fit ouvrir un asile honorable, non loin des Petites-Maisons. En ce lieu qui n'est pas l'hôpital, qui n'est pas le toit domestique, végétait déjà un homme d'un vrai talent, qui avait fait des livres que le public avait lus avec grand plaisir, et entre autres livres une excellente traduction des Fiancés de Manzoni, nous voulons parler de M. Rey-Dusseuil, un enfant de Marseille. A cette liste il faut ajouter le nom d'un poëte dramatique un instant célèbre, M. Gustave Drouineau. Il est l'auteur d'un Rienzi en cinq actes qui lui valut une couronne publique, et un rappel enthousiaste lorsque le parterre voulut qu'il lui fût présenté du haut de son théâtre. Il avait aussi donné au public plusieurs romans, Résignée entre autres, pour lesquels il reçut autant de louanges, et non moins de billets doux que s'il se fût appelé lord Byron. Il avait fait aussi une Françoise de Rimini, dont M. Étienne Bequet a parlé; ce fut même un des derniers feuilletons de cette lettre R qui cachait sous un travail lent, douloureux et pénible, un des meilleurs esprits de notre temps. Mon lecteur ne sera pas fâché, je l'espère, si je lui donne ici quelques passages de ce feuilleton sur Françoise de Rimini, en souvenir de ce bon écrivain enlevé sitôt aux lettres qu'il aimait. Étienne Bequet parlant de M. Gustave Drouineau, c'est un mort qui parle d'un fou. Triste métier que nous..... et les autres, nous faisons là !

UN FEUILLETON D'ÉTIENNE BEQUET.

« Tout le monde, dit-il, connaît le charmant épisode du Dante, où Francesca raconte ses amours infortunés. Le trait qui termine son récit: ce jour-là nous ne lûmes pas davantage, ⚫ sera éternellement cité comme un modèle de grâce et de délicatesse.

< Mais si dans une anecdote assez simple, le génie du Dante a pu trouver la matière de soixante vers excellents, doit-on y < chercher le sujet d'une tragédie? Il me semble que M. Drouineau « lui-même est pour la négative, puisqu'il appelle à son aide ces ⚫ ennuyeuses disputes des Guelfes et des Gibelins, dont il ne sait <tirer que des discours sans résultats, et des conspirations sans motifs. M. Drouineau a fait un tableau, nous dit-on, un tableau ■ vide, c'est vrai, et il a forcé le vieux Dante à venir vous parler,

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