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professeurs de donner les prix à ceux des élèves qui remplissaient avec le plus de ponctualité leurs devoirs religieux, sans acception de mérite, de travail et de talent. Révolté de cette mesure étrange, dont il assurait avoir été la première victime, Méry, à peine âgé de dix-sept ans, s'arma du fouet de la satire et en cingla M. l'inspecteur en chef des colléges. L'article parut dans un petit journal de Marseille. On cita l'auteur du pamphlet devant les tribunaux et il fut condamné à quinze mois de pri

son.

Méry se constitua prisonnier. Il s'étendit sur la paille des cachots et ne voulut pas entendre parler d'une demande en grâce.

L'oiseau charme sa captivité par des chants, il fit comme l'oiseau, et, quand on ouvrit les portes de sa cage, on put

le voir prendre son vol du côté de Paris, avec un recueil d'odes et de poésies fugitives.

Pendant l'espace de neuf ou dix années, c'est-à-dire jusqu'en 1828, il habita tantôt la capitale et tantôt Marseille, où il avait fait ses premières armes dans le journalisme et où l'appelaient de nombreux amis. Il se lia surtout avec Alphonse Rabbe, publiciste original, qui, après avoir écrit les Massénaires, diatribe violente contre Masséna, gouverneur de Marseille, s'agenouilla tout à coup devant le drapeau qu'il avait insulté, fit amende honorable et déclara hautement que celle de ses mains qui avait tenu la plume devait être brûlée. Les libéraux le dispensèrent de rallumer pour son usage personnel le brasier de Mucius. Scævola. Rabbe devint l'un des ennemis les plus irréconciliables de la légitimité.

Son influence était grande sur la jeunesse de Marseille. Il créa des journaux, où il exploita, pour le compte de l'opposition, un peu son propre talent, et beaucoup celui des autres.

Sous les auspices d'Alphonse Rabbe, Méry devint l'un des plus actifs rédacteurs du Phocéen; mais bientôt, voulant se mettre à l'abri de l'exploitation excercée par cette feuille, il créa luimême un second journal voué à la cause du libéralisme. La Méditerranée troubla le repos de plus d'un fonctionnaire et fit jouer souvent le télégraphe sur la ligne de Paris à Marseille. Ces deux journaux se réunirent plus tard en un seul, appelé le Sémaphore, qui a continué sa publication jusqu'à nos jours.

Vers 1824, les voyages de Méry à Paris devinrent plus fréquents. Il commença à y poser les bases de sa réputa

tion littéraire. Comme tous les gens de lettres qui refusent de se prosterner devant le pouvoir et qui n'émargent pas le registre des gratifications, il lui arriva plus d'une fois, à l'heure du dîner, de se poser un problème que sa bourse vide l'aidait médiocrement à résoudre. Alphonse Rabbe, installé depuis six mois à Paris, où il écrivait l'Histoire des Papes, offrit au poëte une place à sa table et le pria de traduire quelques in-folio latins, besogne peu récréative, qui absorbait tout le temps de Méry et semblait lui défendre à perpétuité de dîner ailleurs. Fidèle au système d'exploitation qui lui avait réussi jadis à Marseille, l'ancien rédacteur en chef du Phocéen ne cherchait pas à procurer à son compatriote un travail plus en rapport avec ses goûts et son talent. Il eût fait traduire à Méry la collection.

entière des Pères de l'Église et les canons de tous les conciles, sans une circonstance qui permit enfin à son jeune convive de manger à une table moins coûteuse.

Soulé, directeur du Nain-Jaune, devenu plus tard sénateur aux États-Unis et l'un des chefs de l'Union américaine, rendit visite, un jour, à l'historien des papes et lui demanda quelques articles pour son journal.

- Impossible, mon cher, impossible! s'écria Rabbe, avec tout l'orgueil d'un écrivain persécuté par les libraires.

Le visiteur insista, mais inutilement; il se vit obligé de sortir sans la moindre promesse d'article.

C'est fort bien de refuser pour vous,

dit Méry, qui avait assisté à la conversation; mais vous auriez pu accepter pour moi.

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