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comme impossible que les hommes se le fussent imaginé, et encore plus que d'autres l'eussent cru. Mais comme il y a eu de trèsgrandes choses véritables, et qu'ainsi elles ont été crues par de grands hommes, cette impression a été cause que presque tout le monde s'est rendu capable de croire aussi les fausses. Et ainsi, au lieu de conclure qu'il n'y a point de vrais miracles puisqu'il y en a de faux, il faut dire, au contraire, qu'il y a de vrais miracles puisqu'il y en a tant de faux; et qu'il n'y en a de faux que par cette raison qu'il y en a de vrais, et qu'il n'y a de même de fausses religions que parce qu'il y en a une véritable. Cela vient de ce que l'esprit de l'homme, se trouvant plié de ce côté-là par la vérité, devient susceptible par là de toutes les faussetés.

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VIII. Il est dit : Croyez à l'Eglise; mais il n'est pas dit: Croyez aux miracles à cause que le dernier est naturel, et non pas le premier. L'un avait besoin de préceple, non pas l'autre.

Il y a si peu de personnes à qui Dieu se fasse paraître par ces coups extraordinaires, qu'on doit bien profiter de ces occasions; puisqu'il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d'autant plus d'ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude.

Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n'y aurait point de mérite à le croire; et s'il ne se découvrait jamais, il y aurait pen de foi. Mais il se cache ordinairement et se découvre rarement à ceux qu'il veut engager dans son service. Cet étrange secret dans lequel Dieu s'est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude, loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui nous le couvre, jusqu'à l'incarnation; et quand il a fallu qu'il ait paru, il s'est encore plus caché en se couvrant de l'humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible que non pas quand il s'est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu'il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu'à son dernier avénement, il a choisi d'y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, savoir, sous les espèces de l'eucharistie. C'est ce sacrement que saint Jean appelle dans l'Apocalypse une manne cachée (Apoc., II, 17); et je crois qu'Isaïe le voyait en cet état, lorsqu'il dit en esprit de prophétie Véritablement vous êtes un Dieu caché (Is., XLV, 15). C'est là le dernier secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles qui, comme dit saint Paul (Rom., I, 20), ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Beaucoup de chrétiens hérétiques l'ont connu à travers son humanité, el adorent Jésus-Christ Dieu et homme. Mais pour nous, nous devons nous estimer heureux de ce que Dieu nous éclaire jusqu'à le reconnaître sous les espèces du pain et du vin.

On peut ajouter à ces considérations le seDÉMONST. ÉVANG. III.

cret de l'esprit de Dieu caché encore dans l'Ecriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique; et les Juifs, s'arrêtant à l'un, ne pensent pas seulement qu'il y en ait un autre, et ne songent pas à le chercher : de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu'il y en ait un autre auteur; et comme les Juifs, voyant un homme parfait en Jésus-Christ, n'ont pas pensé à y chercher une autre nature: Nous n'avons point pensé que ce fût lui, dit encore Isaïe Is., LIII, 3); et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences parfaites du pain dans l'eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les chrétiens doivent le reconnaître en tout. Les afflictions temporelles couvrent les biens éternels où elles conduisent. Les joies temporelles couvrent les maux éternels qu'elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnaître et servir en tout; et rendons-lui des grâces infinies de ce qu'étant caché en toutes choses pour tant d'autres, il s'est découvert en toutes choses et en tant de manières pour nous.

IX. Les filles de Port-Royal, étonnées de ce qu'on dit qu'elles sont dans une voie de perdition, que leurs confesseurs les mènent à Genève, qu'ils leur inspirent que JésusChrist n'est pas en l'eucharistie ni à la droite du Père; sachant que tout cela était faux, s'offrirent à Dieu en cet état en lui disant avec le prophète: Vide si via iniquitatis in me est (Ps. CXXXVIII, 24). Qu'arrive-t-il là-dessus? Ce lieu qu'on dit étre le temple du diable, Dieu en fait son temple. On dit qu'il faut en ôter les enfants, on dit que c'est l'arsenal de l'enfer; Dieu en fait le sanctuaire de ses grâces. Enfin on les menace de toutes les fureurs et de toutes les vengeances du ciel, et Dieu les comble de ses faveurs. Il faudrait avoir perdu le sens pour en conclure qu'elles sont dans la voie de perdition.

Les jésuites n'ont pas laissé néanmoins d'en tirer cette conclusion; car ils concluent de tout que leurs adversaires sont hérétiques. S'ils leur reprochent leurs excès, ils disent qu'ils parlent comme des hérétiques. S'ils disent que la grâce de Jésus nous discerne et que notre salut dépend de Dieu, c'est le langage des hérétiques. S'ils disent qu'ils sont soumis au pape, c'est ainsi, disent-ils, que les hérétiques se cachent et se déguisent. S'ils disent qu'il ne faut pas tuer pour une pomme, ils combattent, disent les jésuites, la morale des catholiques. Enfin s'il se fait des miracles parmi eux, ce n'est pas une marque de sainteté, c'est au contraire un soupçon d'hérésie.

Voilà l'excès étrange où la passion des jésuites les a portés; et il ne leur restait plus que cela pour détruire les principaux fondements de la religion chrétienne. Car les trois marques de la véritable religion sont la perpétuité, la bonne vie et les miracles. Ils ont déjà détruit la perpétuité par la probabilité. qui introduit leurs nouvelles opinions à la

(Vingt-cinq.)

place des vérités anciennes; ils ont détruit par corrompue; et maintenant ils veulent détruire les miracles, en détruisant ou leur vérité ou leur conséquence.

Les adversaires de l'Eglise les nient, ou en nient la conséquence : les jésuites de même. Ainsi, pour affaiblir leurs adversaires, ils désarment l'Eglise et se joignent à tous ses ennenis, en empruntant d'eux toutes les raisons par lesquelles ils combattent les miracles. Car l'Eglise a trois sortes d'ennemis les Juifs, : qui n'ont jamais été de son corps; les hérétiques, qui s'en sont retirés; et les mauvais chrétiens, qui la déchirent en dedans.

Ces trois sortes de différents adversaires la combattent d'ordinaire diversement. Mais ici ils la combattent d'une même sorte. Comme ils sont tous sans miracles, et que l'Eglise a toujours eu contre eux des miracles, ils ont tous eu le même intérêt à les éluder, et se sont tous servis de cette défaite, qu'il ne faut pas juger de la doctrine par les miracles, mais des miracles par la doctrine. Il y avait deux partis entre ceux qui écoutaient JésusChrist: les uns qui suivaient sa doctrine par ses miracles; les autres qui disaient : Il chasse les démons au nom de Belzebut. Il y avait deux partis au temps de Calvin : celui de l'Eglise, et celui des sacramentaires qui la combattaient. Il y a maintenant les jésuites et ceux qu'ils appellent jansénistes qui contestent. Mais les miracles étant du côté des jansénistes, les jésuites ont recours à cette défaite générale des Juifs et des hérétiques, qui est qu'il faut juger des miracles par la doctrine.

Ce n'est point ici le pays de la vérité : elle est inconnue parmi les hommes. Dieu l'a couverte d'un voile qui la laisse méconnaître à ceux qui n'entendent pas sa voix. La porte est ouverte aux blasphèmes, et même sur les vérités les plus certaines de la morale. Si l'on publie les vérités de l'Evangile, on en publie de contraires, et on obscurcit les questions: en sorte que le peuple ne peut discerner. Aussi on demande : Qu'avez-vous pour vous faire plutôt croire que les autres, quel signe faites-vous? Vous n'avez que des paroles, et nous aussi. Si vous n'avez point de miracles, on dit que la doctrine doit être soutenue par les miracles; cela est une vérité dont on abuse pour blasphémer la doctrine. Et si les miracles arrivent, on dit que les miracles ne suffisent pas sans la doctrine; et c'est une autre vérité pour blasphémer les miracles.

Que vous êtes aises, mes pères, de savoir les règles générales, pensant par là jeter le trouble, et rendre tout inutile! On vous en empêchera, mes pères; la vérité est une et ferme.

X. Si le diable favorisait la doctrine qui le détruit, il serait divisé : Omne regnum divisum, etc. Car Jésus-Christ agissait contre le diable, et détruisait son empire sur les cœurs, dont l'exorcisme est la figure, pour établir le de Dieu. Et ainsi il ajoute: In digito royaume Dei, etc., Regnum Dei ad vos, etc. (Luc, XI, 17, 20).

Il était impossible qu'au temps de Moïse on réservât sa croyance à l'Antechrist qui leur était inconnu. Mais il est bien aisé au temps de l'Antechrist de croire en Jésus-Christ déjà

connu.

Quand les schismatiques (1) feraient des miracles, ils n'induiraient point à erreur. Et ainsi il n'est pas certain qu'ils ne puissent en faire. Le schisme est visible; le miracle est visible. Mais le schisme est plus marqué d'erreur que le miracle n'est marqué de vérité. Donc le miracle d'un schismatique ne peut induire à l'erreur. Mais hors le schisme, l'erreur n'est pas si visible que le miracle est visible. Donc le miracle induirait à l'erreur. Ainsi un miracle parmi les schismatiques n'est pas tant à craindre; car le schisme, qui est plus visible que le miracle, marque visiblement leur erreur. Mais quand il n'y a point de schisme, et que l'erreur est en dispute, le miracle discerne.

Il en est de même des hérétiques. Les miracles leur seraient inutiles; car l'Eglise, autorisée par les miracles qui ont préoccupé la croyance, nous dit qu'ils n'ont pas la vraie foi. Il n'y a pas de doute qu'ils ne l'ont pas; puisque les premiers miracles de l'Eglise excluent la foi des leurs, quand ils en auraient. Il y aurait ainsi miracles contre miracles, mais premiers et plus grands du côté de l'Eglise; ainsi il faudrait toujours la croire contre les miracles.

Voyons par là ce qu'on doit conclure des miracles de Port-Royal.

Les pharisiens disaient : Non est hic homo a Deo, qui sabbatum non custodit (Joan., IX, 16). Les autres disaient : Quomodo potest homo peccator hæc signa facere? Lequel est le plus clair?

Dans la contestation présente, les uns disent: Cette maison n'est pas de Dieu; car on n'y croit pas que les cinq propositions sont dans Jansénius. Les autres: Cette maison est de Dieu; car il s'y fait de grands miracles. Lequel est le plus clair?

Ainsi la même raison qui rend coupables les Juifs de n'avoir pas cru en Jésus-Christ rend les jésuites coupables d'avoir continué de persécuter la maison de Port-Royal.

Il avait été dit aux Juifs, aussi bien qu'aux chrétiens, qu'ils ne crussent pas toujours les prophètes. Mais néanmoins les pharisiens et . les scribes font grand état des miracles de Jésus-Christ et essaient de montrer qu'ils sont faux ou faits par le diable : étant nécessités d'être convaincus s'ils reconnaissaient qu'ils fussent de Dieu.

Nous ne sommes pas aujourd'hui dans la peine de faire ce discernement; il est pouriant bien facile à faire. Ceux qui ne nient ni Dieu ni Jésus-Christ ne font point de miracles qui ne soient sûrs; mais nous n'avons point à faire ce discernement. Voici une relique sacrée : voici une épine de la couronne

(1) Pascal veut parler d'un schisme ouvert et reconna

de part et d'autre, tel, par exemple, que celui des de natístes, des calvinistes, etc. Il ne faut point prendre la change.

du Sauveur du monde, en qui le prince de ce monde n'a point de puissance; qui fait des miracles par la propre puissance de ce sang répandu pour nous! Dieu choisit luimême cette maison pour y faire éclater sa puissance.

Ce ne sont point des hommes qui font ces miracles par une vertu inconnue et douteuse, qui nous oblige à un difficile discernement. C'est Dieu même; c'est l'instrument de la passion de son Fils unique, qui, étant en plusieurs lieux, a choisi celui-ci, et fait venir Je tous côtés les hommes pour y recevoir ces soulagements miraculeux dans leurs langueurs.

La dureté des jésuites surpasse donc celle des Juifs, puisqu'ils ne refusaient de croire Jésus-Christ innocent que parce qu'ils doutaient si ses miracles étaient de Dieu. Au lieu que les jésuites ne pouvant douter que les miracles de Port-Royal ne soient de Dieu, ils ne laissent pas de douter encore de l'innocence de cette maison.

Mais, disent-ils, les miracles ne sont plus nécessaires, à cause qu'on en a déjà; et ainsi ils ne sont plus des preuves de la vérité de la doctrine. Oui mais quand on n'écoute plus la tradition; qu'on a surpris le peuple, et qu'ainsi, ayant exclu la vraie source de la vérité, qui est la tradition, et ayant prévenu le pape, qui en est le dépositaire, la vérité n'a plus de liberté de paraître : alors les hommes ne parlant plus de la vérité, la vérité doit parler elle-même aux hommes. C'est ce qui arriva au temps d'Arius.

Ceux qui suivent Jésus-Christ à cause de ses miracles honorent sa puissance dans tous les miracles qu'elle produit: mais ceux qui, en faisant profession de le suivre pour ses miracles, ne le suivent en effet que parce qu'il les console et les rassasie des biens du monde, déshonorent ses miracles quand ils sont contraires à leurs commodités.

C'est ce que font les jésuites. Ils relèvent les miracles, ils combattent ceux qui les convainquent. Juges injustes, ne faites pas des lois sur l'heure; jugez par celles qui sont établies par vous-mêmes, vos qui conditis leges iniquas.

La manière dont l'Eglise a subsisté est que la vérité a été sans contestation : ou si elle a été contestée, il y a eu le pape; et sinon, il y a eu l'Eglise.

Le miracle est un effet qui excède la force naturelle des moyens qu'on y emploie, et le non-miracle est un effet qui n'excède pas la force qu'on y emploie. Ainsi ceux qui guérissent par l'invocation du diable ne font pas un miracle; car cela n'excède pas la force naturelle du diable.

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ARTICLE XVII.

Pensées diverses sur la religion.

I. Le pyrrhonisme a servi à la religion; car, après tout, les hommes avant JesusChrist ne savaient où ils en étaient, ni s'ils étaient grands ou petits. Et ceux qui ont dit l'un ou l'autre n'en savaient rien, et devinaient sans raison et par hasard et même ils croyaient toujours, en excluant l'un ou l'autre (1).

II. Qui blâmera les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur croyance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison? Ils déclarent au contraire, en l'exposant aux Gentils, que c'est une sottise, stullitiam, etc.; et puis vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole c'est en manquant de preuves qu'ils ne manquent pas de sens. Oui; mais encore que cela excuse ceux qui l'offrent telle, et que cela les ôte du blâme de la produire sans raison, cela n'excuse pas ceux qui, sur l'exposition qu'ils en font,refusent de la croire.

III. Croyez-vous qu'il soit impossible que Dieu soit infiui sans parties? Oui. Je veux donc vous faire voir une chose infinie et indivisible: c'est un point se mouvant partout d'une vitesse infinie; car il est en tous lieux, et tout entier dans chaque endroit.

Que cet effet de nature, qui vous semblait impossible auparavant, vous fasse connaître qu'il peut y en avoir d'autres que vous ne connaissez pas encore. Ne tirez pas cette conséquence de votre apprentissage, qu'il ne vous reste rien à savoir; mais qu'il vous reste infiniment à savoir.

IV. La conduite de Dicu, qui dispose toutes choses avec douceur, est de mettre la religion dans l'esprit par les raisons et dans le cœur par sa grâce. Mais de vouloir la mettre dans le cœur et dans l'esprit par la force et par les menaces, ce n'est pas y mettre la religion, mais la terreur. Commencez par plaindre les incrédules; ils sont assez malheureux. Il ne faudrait les injurier qu'au cas que cela servit; mais cela leur nuit.

Toute la foi consiste en Jésus-Christ et en Adam, et toute la morale en la concupiscence et en la grâce (2).

V. Le cœur à ses raisons, que la raison ne connaît pas on le sent en mille manières. Il aime l'Etre universel naturellement, et soimême naturellement, selon qu'il s'y adonne; et il se durcit contre l'un et l'autre à son choix. Vous avez rejeté l'un et conservé lautre, est-ce par raison?

VI. Le monde subsiste pour exercer misé

(1) En lisant les premières pensées de cet article on y trouve de l'obscurité, et on s'aperçoit que l'auteur ne leur a pas donné le développement dont elles étaient susceptibles. On y découvre aussi une teinte de la doctrine de Jansénius, dont les solitaires de Port-Royal faisaient publiquement profession (Edit. de 1822).

(2) L'auteur veut dire que toute la foi consiste à connaître quels maux nous a causés le péché d'Adam, et quels biens nous a préparés Jésus-Christ; toute la morale, à'éviter les maux que nous avons à craindre de la concu; scence, et à chercher les biens que nous ne pouvons atLendre que de la grâce (Edit de 1822).

ricorde et jugement, non pas comme si les hommes y étaient sortant des mains de Dieu; mais comme des ennemis de Dieu, auxquels il donne, par sa grâce, assez de lumière pour revenir, s'ils veulent le chercher et le suivre : mais pour les punir, s'ils refusent de le chercher et de le suivre.

VII. On a beau dire, il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d'étonnant. C'est parce que vous y êtes né, dirat-on tant s'en faut; je me roidis contre par cette raison-là même, de peur que cette prévention ne me suborne.Mais quoique j'y sois né, je ne laisse pas de le trouver ainsi.

VIII. Il y a deux manières de persuader les vérités de notre religion : l'une par la force de la raison, l'autre par l'autorité de celui qui parle. On ne se sert pas de la dernière, mais de la première. On ne dit pas: Il faut croire cela, car l'Écriture, qui le dit, est divine; mais on dit qu'il faut le croire par telle et telle raison qui sont de faibles arguments, la raison étant flexible à tout.

Ceux qui semblent les plus opposés à la gloire de la religion n'y seront pas inutiles pour les autres. Nous en ferons le premier argument, qu'il y a quelque chose de surnaturel car un aveuglement de cette sorte n'est pas une chose naturelle; et si leur folie les rend si contraires à leur propre bien, elle servira à en garantir les autres par l'horreur d'un exemple si déplorable et d'une folie si digne de compassion.

IX. Sans Jésus-Christ, le monde ne subsisterait pas; car il faudrait ou qu'il fût détruit, ou qu'il fût comme un enfer.

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égarement bien visible de l'homme. Le voilà tombé de sa place, et il la cherche avec inquiétude.

Après la corruption, il est juste que tous ceux qui sont dans cet état le connaissent, et ceux qui s'y plaisent, et ceux qui s'y déplaisent. Mais il n'est pas juste que tous voient la rédemption.

L'orgueil contre-pèse et emporte toutes les misères. Voilà un étrange monstre, et un

Quand on dit que Jésus-Christ n'est pas mort pour tous, vous abusez d'un vice des hommes qui s'appliquent incontinent cette exception; ce qui favorise le désespoir, au lieu de les en détourner pour favoriser l'espérance.

XI. Les impies, qui s'abandonnent aveuglément à leurs passions sans connaître Diea et sans se mettre en peine de le chercher, vérifient par eux-mêmes ce fondement de la foi qu'ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans la corruption. Et les Juifs, qui combattent si opiniâtrément la religion chrétienne, vérifient encore cet autre fondement de cette même foi qu'ils altaquent, qui est que Jésus-Christ est le véri– table Messie et qu'il est venu racheter les hommes, et les retirer de la corruption et de la misère où ils étaient, tant par l'état où on les voit aujourd'hui et qui se trouve prédit dans les prophéties, que par ces mêmes prophéties qu'ils portent et qu'ils conservent inviolablement comme les marques auxquelles on doit reconnaître le Messie. Ainsi les preuves de la corruption des hommes et de la rédemption de Jésus-Christ, qui sont les deux principales vérités qu'établit le christianisme, se tirent des impies qui vivent dans l'indifférence de la religion et des Juifs qui en sont les ennemis irréconciliables.

XII. La dignité de l'homme consistait, dans son innocence, à dominer sur les créatures et à en user; mais aujourd'hui elle consiste à s'en séparer et à s'y assujettir.

XIII. Il y en a plusieurs qui errent d'antant plus dangereusement qu'ils prennent une vérité pour le principe de leur erreur. Leur faute n'est pas de suivre une fausseté, mais de suivre une vérité à l'exclusion d'une autre.

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Nous croyons que la substance du pain étant changée en celle du corps de NotreSeigneur Jésus-Christ, il est présent réellement au saint sacrement. Voilà une des vérités. Une autre est que ce sacrement est aussi une figure de la croix et de la gloire et une commémoration des deux. Voilà la foi catholique, qui comprend ces deux vérités qui semblent opposées.

L'hérésie d'aujourd'hui, ne concevant pas que ce sacrement contienne tout ensemble, et la présence de Jésus-Christ et sa figure, et qu'il soit sacrifice et commémoration de sacrifice, croit qu'on ne peut admettre l'une de ces vérités sans exclure l'autre.

Par cette raison ils s'attachent à ce point, que ce sacrement est figuratif; et en cela ils ne sont pas hérétiques. Ils pensent que nous excluons cette vérité; et de là vient qu'ils nous font tant d'objections sur les passages des pères qui le disent. Enfin, ils nient la présence réelle; et en cela ils sont hérétiques.

C'est pourquoi le plus court moyen pour empêcher les hérésies est d'instruire de toutes les vérités; et le plus sûr moyen de les réfuter est de les déclarer toutes.

La grâce sera toujours dans le monde, et aussi la nature. Il y aura toujours des pélagiens et toujours des catholiques, parce que la première naissance fait les uns, et la seconde naissance fait les autres.

C'est l'Eglise qui mérite avec Jésus-Christ, qui en est inséparable, la conversion de tous ceux qui ne sont pas dans la véritable religion; et ce sont ensuite ces personnes converties qui secourent la mère qui les a délivrées.

Le corps n'est non plus vivant sans le chef que le chef sans le corps. Quiconque se sépare de l'un ou de l'autre n'est plus du corps et n'appartient plus à Jésus-Christ. Toutes les vertus, le martyre, les austérités et toutes les bonnes œuvres sont inutiles hors de l'Eglise et de la communion du chef de l'Eglise, qui est le pape.

Ce sera une des confusions des damnés de voir qu'ils seront condamnés par leur propre raison par laquelle ils ont prétendu condamner la religion chrétienne.

XIV. Il y a cela de commun entre la vie ordinaire des hommes et celle des saints, qu'ils aspirent tous à la félicité; et ils ne diffèrent qu'en l'objet où ils la placent. Les uns et les autres appellent leurs ennemis ceux qui les empêchent d'y arriver.

Il faut juger de ce qui est bon ou mauvais par la volonté de Dieu, qui ne peut être ni injuste ni aveugle, et non pas par la nôtre propre, qui est toujours pleine de malice et

d'erreur.

veautés de la terre en ce que les choses du monde, quelque nouvelles qu'elles soient, vieillissent en durant, au lieu que cet esprit nouveau se renouvelle d'autant plus qu'il dure davantage. L'homme extérieur se détruit, dit saint Paul (II Cor., IV, 16), et l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour; et il ne sera parfaitement nouveau que dans l'éternité, où l'on chantera sans cesse ce cantique nouveau dont parle David dans ses Psaumes Ps. XXXII, 3): c'est-à-dire ce chant qui part de l'esprit nouveau de la charité.

XV. Jésus-Christ a donné dans l'Evangile cette marque pour reconnaître ceux qui ont la foi, qui est qu'ils parleront un langage nouveau; et en effet le renouvellement des pensées et des désirs cause celui des discours. Car ces nouveautés, qui ne peuvent déplaire à Dieu, comme le vieil homme ne peut lui plaire, sont différentes des nou

XVI. Quand saint Pierre et les apôtres (Act., XV) délibèrent d'abolir la circoncision, où il s'agissait d'agir contre la loi de Dieu, ils ne consultent point les prophètes, mais simplement la réception du Saint-Esprit en la personne des incirconcis. Ils jugent plus sûr que Dieu approuve ceux qu'il remplit de son esprit, que non pas qu'il faille observer la loi: ils savaient que la fin de la loi n'était que le Saint-Esprit; et qu'ainsi, puisqu'on l'avait bien sans circoncision, elle n'était pas nécessaire.

XVII. Deux lois suffisent pour régler toute la république chrétienne mieux que toutes les lois politiques : l'amour de Dieu et celui du prochain.

La religion est proportionnée à toutes sortes d'esprits. Le commun des hommes s'arrête à l'état et à l'établissement où elle est; et cette religion est telle, que son seul établissement est suffisant pour en prouver la vérité. Les autres vont jusqu'aux apôtres. Les plus instruits vont jusqu'au commencement du monde. Les anges la voient encore mieux et de plus loin; car ils la voient en Dieu même.

Ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment de cœur sont bienheureux et bien persuadés. Mais pour ceux qui ne l'ont pas, nous ne pouvons la leur procurer que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur imprime lui-même dans le cœur, sans quoi la foi est inutile pour le salut.

Dieu, pour se réserver à lui seul le droit de nous instruire, et pour nous rendre la difficulté de notre être intelligible, nous en a caché le nœud si haut ou, pour mieux dire, si bas, que nous étions incapables d'y arriver de sorte que ce n'est pas par les agitations de notre raison, mais par la simple soumission de la raison, que nous pouvons véritablement nous connaître.

XVIII. Les impies qui font profession de suivre la raison doivent être étrangement forts en raison. Que disent-ils donc? Ne voyons-nous pas, disent-ils, mourir et vivre les bêtes comme les hommes, et les Turcs comme les chrétiens; ils ont leurs cérémonies, leurs prophètes, leurs docteurs, leurs saints, leurs religieux comme nous, etc. Cela est-il contraire à l'Ecriture, ne dit-elle pas tout cela? Si vous ne vous souciez guère de savoir la vérité, en voilà assez pour demeurer en repos : mais si vous désirez de tout votre cœur de la connaître, ce n'est pas assez; regardez au détail. C'en serait peut

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