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« à tout propos, de son génie méconnu, de son immortalité surtout. « Il ne sort pas de l'immortalité. A-t-il un ennemi, il le rendra « immortel dans ses vers vengeurs. A-t-il un ami, il en fera un « immortel par les chants de sa reconnaissance. Tout cela est fort «, beau, fort pompeux, mais n'intéresse guère le spectateur qui se « soucie fort peu de l'immortalité des amis et des ennemis du << Dante.

« C'est le Dante qui ouvre la pièce; car je laisse de côté une « espèce d'introduction où les domestiques de Berthold nous ap<< prennent que leur maître est rongé de soucis, que le sommeil a <«< fui sa paupière, qu'il ne voit partout que fantômes effrayants. « Ils reçoivent assez mal le Dante; cependant par son ordre ils «<le laissent seul et vont prévenir le châtelain. Abandonné à ses «< réflexions, l'illustre poëte ne manque pas de déplorer sa destinée, sa vie errante, et sa misère. Il dit et redit qu'il a faim « et ne peut trouver de pain: M. Drouineau a voulu exciter « notre pitié pour ce grand homme, qui fut en effet très-malheu«reux. Mais au lieu de phrases communes et stériles, n'aurait-il « pas mieux fait de nous le montrer proscrit, sans asile, mendiant, « et partout repoussé? Je le vois, au contraire, accueilli avec en«thousiasme dans le château de Berthold; on lui parle sans cesse « de sa gloire; il marche l'égal des hauts seigneurs, et quand au « troisième acte on sert, je ne sais pourquoi, un excellent dîner, «< il s'assied à table près de la maîtresse de la maison. On ne plaint « guère le génie quand il dine si bien.

<< Berthold arrive, reconnaît le Dante, l'embrasse, lui offre sa « protection, et s'entretient avec lui de ses affaires; il ne lui caa che pas que de son naturel il est fort jaloux; et dans ce mo«ment il a de graves raisons pour l'être plus que jamais. La <«< belle Françoise, sa femme, consume ses jours dans les pleurs; << rien ne peut l'arracher à sa tritesse. Ses soupçons descendent « jusqu'au troubadour Sordel. Mais Françoise aimer un trouba<< dour! un chansonnier! Vraiment il ne peut le croire.

« Tout à coup la trompette sonne. Un chevalier se présente, la « visière baissée, le bouclier sans armoiries. On l'admet. C'est « Paolo, le frère de Berthold. Gibelin et proscrit par les Guelfes, << tout puissants alors, il est allé offrir son courage à l'empereur «de Bysance; malgré les dangers qui le menacent, l'amour du

« pays natal, après quatre ans, le ramène à Rimini. C'est du moins « ce qu'il dit à son frère. Dans la vérité, il n'est revenu que par amour pour Françoise. A la prise de Ravenne, il a été assez heureux pour sauver Françoise du pillage et de ses suites. Là na⚫ quit dans leur âme une mutuelle tendresse, que l'hymen aurait << sans doute couronnée, si quelques jours après, dans une rencontre, il n'avait tué involontairement le frère de Françoise. Pourtant il espère que quatre années d'exil auront fléchi la haine de Françoise et de sa famille. Mais que devient-il quand il apprend que son frère, que Berthold a épousé Françoise? I << veut partir, mais Berthold le retient, Au second acte, il a même la bonté de le présenter à sa femme, et d'exiger qu'elle lui ⚫ pardonne.

« Ici, malheureusement, la pièce est finie pour le spectateur; « il prévoit tout. A des soupirs étouffés, des mots incertains et un < trouble qui ne l'est pas, Berthold soupçonne l'amour de Françoise et de Paolo. Voilà les trois personnages réduits à tourner dans le même, cercle d'idées et de passions. Paolo aime Françoise, Françoise aime Paolo, Berthold est jaloux. Pendant trois actes, il faudra se traîner entre ces amours et cette jalousie : cela est clair. Comment Berthold punira-t-il la double trahison « d'un frère et d'une épouse? Voilà toute la question, »

Vous voyez par cet exemple, l'accent et le bon accoutrement de cet aimable critique; à quelle heureuse ironie il obéissait sans le savoir, sans le vouloir; quel tact habile à faire ressortir les vices de l'œuvre en question, et quelle sobriété dans tout le cours de son récit..... Il termine ainsi ce compte-rendu :

« Au cinquième acte, Berthold est devenu fou. Françoise a été « transportée mourante dans son appartement; elle ne reprend ses ⚫ sens qu'en entendant la voix de Paolo, qui a voulu pénétrer jus« qu'à elle. Là, seconde scène d'amour, de désespoir, de larmes, qu'interrompt encore l'arrivée de Berthold. Paolo se cache dans un cabinet voisin; il pourrait rester, car Berthold a tout à fait < perdu la raison, et il ne la reprend que peu à peu pour reconnaitre Françoise. Avec sa raison reviennent ses fureurs jalouses, il veut immoler l'infidèle, quand Paolo s'élance du cabinet où il ⚫est caché. A sa vue, nouvelles fureurs, nouvelles imprécations, « nouvelle folie de Berthold, qui finit par les tuer tous deux; et

<< au même moment le tocsin annonce la révolte des Gibelins, « circonstance très-indifférente de la péripétie.

<< En général l'effet de cette représentation a été fort médiocre. << On a justement applaudi quelques scènes, ou plutôt quelques << tirades, écrites avec correction et une facilité élégante. Mais <«< jamais ni la terreur, ni la pitié du spectateur n'ont été vivement << excitées. Point de ces instants où la vérité des passions établisse << une vive sympathie du personnage au public, et du public au « personnage. On regardait ce qui se passait sur la scène, on ne « l'éprouvait pas. »

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Ce qui manquait à Bequet, c'était un peu de véhémence et de chaleur. Il avait sans cesse le sourire à la lèvre, et ce sourire était dans son esprit. Il ne s'est pas fâché deux fois dans toute sa vie; il haïssait à l'égal de la mort, les piaffes, les efforts, les éclairs et les bruits du style imagé qu'il comparait à ces torrents impétueux qui remplissent le paysage du bruit de leur onde effrénée et qui sont incapables de porter une barque. Il avait bien de la peine à se faire à ma façon d'écrire; un jour, entre autres, comme nous revenions ensemble d'un mélodrame de la Porte-Saint-Martin, intitulé la Cure et l'Archevêché : - Comment, me disait-il, vous raconterez tout au long de pareilles horreurs? Oui, j'en parlerai. Et vous en parlerez en détail? Et pourquoi n'en parlerais-je pas en détail? C'est mon droit, même il me semble que c'est un devoir. Si bien que vous allez pousser à ce triste spectacle une foule d'honnêtes gens qui ne songent pas à y aller. Croyez-moi, laissez dans l'ombre ces vaines choses, ne vous fiez pas à cet art matériel qui passe de l'œuvre à la critique, écrivez moins, avec moins de bruit, de recherche, de pétulance, votre style n'y perdra rien. » Parlant ainsi, il ne se doutait pas que le journal, poussé dans la voie ardente des discussions politiques de chaque jour, allait agrandir son format, à trois reprises diffé rentes! Comment faire alors, et comment remplir cet espace nouveau livré aux plumes vaillantes? On a beau dire, on a beau faire, la tribune a ses exigences; l'écho même à ses volontés; si je parle, il faut que j'étudie avec soin le lieu où je parle, et si j'écris l'espace où j'écris! Il avait de l'esprit et dans l'esprit bien de la grâce et de la finesse, Étienne Bequet, il n'eût pas résisté longtemps à ce journal, agrandi sans mesure. Il écrivait avec une

peine extrême, et cette peine était augmentée à l'infini par mille entraves imprudentes. Il avait, en effet, la mauvaise habitude, avant d'écrire un feuilleton, de poser, en guise de jalons, les différents traits de son discours; ces traits une fois trouvés, son travail consistait à remplir l'espace qui les séparait l'un de l'autre. Il avait été élevé ainsi par son maître, M. Planche, qui était un professeur très-savant, très-timide, et non moins fidèle au Gradus ad Parnassum qu'à son cahier de bonnes expressions.

Le lendemain, sans plus attendre, en dépit de Bequet et de ses conseils, je rendis compte, ab irato, de ce mélodrame : la Cure et l'Archevêché, et je puis dire que ce fut là vraiment mon premier feuilleton, et que ce jour-là je trouvai peut-être l'accent d'une indignation vraie et bien sentie. On était encore aux jours de désordre; toutes les lois que la révolution de juillet n'avait pas brisées, étaient endormies; le théâtre, abandonné à luimême et délivré de toute censure, n'avait plus rien qui l'arrêtât dans ces excès où le pousse nécessairement l'absence de toute répression.- La liberté des théâtres ! un rêve ! Elle nous a menés, tout droit, à deux reprises différentes, à des excès, tout semblables au mélodrame incroyable que je racontais sans vergogne, à mon public de 1833.

LA CURE ET L'ARCHEVÊCHÉ.

«L'action se passe de nos jours, non loin de Paris. Il y a à Paris, un archevêque traître, faussaire, conspirateur, débauché, immensément riche, suborneur de jeunes filles, incendiaire, par dessus tout, incendiaire pour favoriser l'élection d'un député ministériel. Dans la fable que les auteurs ont inventée, ils ne disent pas, les bonnes gens! le nom de ce furieux archevêque, ils vous permettent de le deviner. Au lieu d'un, vous en aurez dix, à choisir ! Ainsi, pour faire un drame vous mentez, vous calomniez de gaieté de cœur tout le haut clergé; vous l'accusez de plus de crimes aujourd'hui que jamais les tyrans de l'histoire antique n'en n'ont pu commettre; vous livrez en masse les archevêques de France à l'exécration publique. Allons, du courage, renforcez vos couleurs, taillez dans le vif, frappez à mort les vaincus, malheur aux vain. cus! Il est donc convenu que dans ce drame le scélérat sera un

prélat de l'église catholique, et vous verrez qu'on n'aura pas lésiné sur les crimes, cette fois. >>

Ceci dit, je racontais cette histoire extraordinaire qui vous peut donner une juste idée des excès dans lesquels le théâtre était tombé, lorsque la jeune critique eut l'honneur de prendre la férule en ses mains :

« Donc en France existe un archevêque presque marié avec une comtesse qu'il appelle sa nièce. Cet archevêque a des bas bleus, la parole brève, une croix en or sur la poitrine, le sourire hypocrite, une large calotte sur la tête, et la rage dans le cœur. C'est un homme galant, dont sa nièce est fort jalouse; c'est un grand politique, qui reçoit des lettres de Montrouge et qui donne de beaux diners. A ce diner se trouvent beaucoup de jeunes femmes, un procureur du roi, un maire et un gendarme. Après le diner, on prend le café, on joue au piquet; le piquet fini, on parle politique, le prélat s'emporte contre les libéraux, il règle les élections, et il dissimule le reste de ses projets. Vous allez savoir ses projets. Il faut vous dire que la pièce commence dans une salle à manger. Les auteurs de cette abominable tragédie ont volé à M. Théodore Leclercq le commencement d'un charmant proverbe, où M. Leclercq, avec cette grâce et cette délicatesse qu'on lui connaît, s'est amusé à saisir sur le fait les petites délicatesses de la vie archiepiscopale, ses petits bonheurs, ses voluptés innocentes. Le proverbe de M. Théodore Leclercq est plein de gaieté, de malice et d'esprit, mais c'est tout. Arrivent les harpies qui s'emparent de ces mots pleins de grâce et de folle gaieté, et qui salissent tout ce qu'elles touchent. Dans le drame de la Porte-Saint-Martin, l'archevêque de M. Leclercq, qui n'était qu'un bon homme, un vrai chanoine de la Sainte-Chapelle, au temps de Despréaux, devient tout à coup le plus grand des scélérats. Les dramaturges ont cousu, sans façon, le lambeau de pourpre au morceau de bure. Cette fois, les voilà lancés ! ils frappent à droite et à gauche, à tort et à travers, sauve qui peut! Entre Louise, enfin, dans le palais archiepiscopal; Louise, crédule, ascétique, rêveuse, qui aime son amant et qui craint le courroux du ciel! L'archevêque prend un soin tout particulier de Louise: il lui parle quand elle est à son ouvrage; il lui prend la main; il a voulu la confesser lui-même, honneur insigne et bizarre, aut

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