Que j'aime à voir l'autre à table, Sans morgue, le verre en main, Rendre la sagesse aimable !
Je veux, avec peu d'amis, Dont le goût exquis m'honore Faire voir qu'il est permis D'être à la cour libre encore, Malgré les temps ennemis; Que le volontaire hommage D'un cœur par son choix soumis Ne tient point de l'esclavage;
Surtout lorsque plus heureux Un air plus pur on respire Près d'un prince vertueux (1) Qui, par ses talents, attire Des plus sages tous les vœux; Dont le front, sans diadème, Le charme de tous les yeux, Est plus brillant par lui-même.
Esprit et corps, tout m'afflige: L'un languit sans mouvement; L'autre en vrai pédant s'érige, Et veut penser tristement.
Reviens avec tous tes charmes Et dissipe mes noirceurs, Amour, toi qui, jusqu'aux larmes, Sais tout changer en douceurs.
Je rentre dans ta milice; Et, comme ton vieux soldat, Je prétends à ton service Expirer dans le combat.
On écrira mon histoire Dans les fastes de Vénus, Comme on chantera ma-gloire Dans les fastes de Bacchus.
Là, dès que le bon Silène, Chatouillé par les Amours, Présentera sa bedaine, Riant et buvant toujours,
(1) M. le duc d'Orléans, régent.
En mémoire de la mienne, Dans le bachique transport, Chacun, à perte d'haleine, Voudra boire un rouge bord.
Reçois avec plaisir l'épître
De ton ami ressuscité,
Cher Rousseau, qui se sent flatté D'être par toi sur le regître De ceux dont la fidélité A le mieux mérité ce titre.
Au reste, je suis enchanté Par l'heureuse variété, La recherche, la nouveauté Et la noblesse de tes rimes; Plus encor par la vérité
Qui règne en toutes tes maximes, Et confond la malignité De ceux qui t'avoient imputé Insolemment leurs propres crimes. Que j'aime aussi la netteté, Le ton précis dont tu t'exprimes! Quelle rare fécondité D'images riantes, sublimes, Et de ces larcins légitimes Que tu fais à l'antiquité! Tu connois ma sincérité : Non, tu ne saurois assez croire Combien est utile à ta gloire Et par tous ses lecteurs vanté
Ton livre, qui sera porté, Sans doute, au temple de mémoire Par les muses qui l'ont dicté. Cette prophétie eût été Accomplie au siècle d'Horace : Or à présent que le Parnasse Est vilainement infesté,
Ce n'est plus qu'un mont déserté Où maint et maint corbeau croasse. N'espère pas de telle race
Le los qu'as si bien mérité, Toi qui par leurs vers à la glace
Ne pus jamais être imité.
Mais où donc me sens-je emporté Par un mouvement de colère Contre telle déloyauté ?
Puisse au moins le zèle sincère
D'un cœur exempt de fausseté Et te consoler et te plaire!
Que la douleur sur vous prend peu d'empire! Vous n'en quittez l'air serein, ni la lyre, N'en querellez le ciel trop rigoureux, Ni n'en avez l'esprit plus langoureux, Ains ne pensez qu'à flatter et bien dire. Onques ne vis un si poli goutteux.
Vous insultez, maître fripon,
Au peu d'imagination Que la nature m'a donnée :
Les traits brillants, la fiction,
Dont votre lettre est tant ornée, Vont à ma veine infortunée Faire abandonner Apollon. A mon esprit ce dieu n'inspire Que de tristes moralités.
C'est avec vous qu'il aime à rire; Il est toujours à vos côtés,
Et surtout lorsque vous buvez.
Là prendrez votre temps, beau sire,
Et pour moi lui demanderez
Le don d'égayer la satire De ce sel que vous y jetez.
Me l'accordant, je pourrai dire D'assez plaisantes vérités Au public qui se les attire. Mais jusque-là, sans me flatter, Je sens, sur ma foi, qu'au Parnasse J'aurois de la peine à monter Je perds haleine et je me lasse. Puis Pégase, sans hésiter, Considérant ma lourde masse, Sans un ordre et sans cette grâce, Refuseroit de me porter.
Autrefois la raillerie Étoit permise à la cour : On en bannit en ce jour Même la plaisanterie. Ah! si ce peuple important, Qui semble avoir peur de rire, Méritoit moins la satire,
Il ne la craindroit pas tant.
De l'homme voici la chimère.
Pour lui tout naît, pour lui tout se détruit, C'est pour lui que tourné la sphère ; Tout l'univers pour lui seul est construit. Sur un tel fait ses arguments plausibles Ne me sont pas sensibles: Mais je m'aperçoi
Que ce vin est fait pour moi, Lorsque je le boi.
« PrécédentContinuer » |