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Et d'ailleurs il avoit la Voix fort agréable.

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Sa Chanfon achevée ils chantent tous en gros:

Un Son harmonieux fe mêle au bruit des Pots;
Harmonieux, s'entend pour cette noble Clique;
Pour Campra ç'eût été chose diabolique.

Le Soleil excitant fes Courfiers ralentis,
Avoit plongé fes feux dans le fein de Thetis,
Lorfqu'un grave Vieillard à mine venerable
Arrive, les entend, les trouve encore à Table:
Et voyant que chacun trop long-tems aime & boit,
Il leur tient ce difcours d'auffi loin qu'il les voit ;
Qu'est-ceci, mes Enfans? écoutez-vous vos flames?
Et perdez-vous ainfi le tems avec des Femmes ?
C'eft boire trop long-tems, aimer & babiller ;
Il eft, vous le favez, heure de (a) Maquiller :
Levez-vous, finiffez bonne Chere & Mufique,
Partez, & travaillez pour le bien de la Clique;
C'est trop, indignes cœurs, vous devriez rougir
D'un fi lâche repos, quand il eft tems d'agir.

Cartouche lui répond: Si la joye eft un crime,
Non; un cœur genereux n'en eft point la victime :
Qu'au Travail au plûtôt chacun foit affidu
Et reparons le tems que nous avons perdu.

Quand j'ai bû, dit Gripaut, il n'eft rien que je crai

gne,

Je tuerois maintenant un Archer pour un Peigne
S'il s'en prefente à Nous, que ces vils Combatans :
Tombent comme la feuille éparfe au gré des vents.

(a) Travailler.

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DANs mec euros on
ANS certaine Cité qu'en mille endroits on prône,

Par fon Esprit adroit, brillant depuis long-tems,
Peliffier faifoit la Pluïe & le Beau-tems.

Il paffoit dans ce lieu pour Homme d'importance:
Il joüoit, regaloit, faifoit groffe dépense.
A fon air de candeur les plus fins étoient pris.
Il paffoit quelquefois les Etés à Paris,
Puis revenoit l'Hyver dans cette aimable Ville.
C'étoit là qu'à la Clique il étoit plus utile.
Dans chaque occafion propre à faire un bon Coup,
Il les avertiffoit : c'étoit faire beaucoup.
Ils favoient sûrement par cette intelligence,
Le lieu, l'heure où devoit paffer la Diligence
Quand elle tranfportoit de l'Or ou de l'Argent.
Alors à l'attaquer nul n'étoit négligent.
Ils étoient graffement bien païés de leurs peines,
Et revenoient toûjours à Paris les Mains pleines.

Parmi ceux de la Bande étoit certain Voleur,
Nommé le Févre, aiant jadis eu de l'Honneur.
Il avoit beau fe voir dequoi vivre à fon aife,
Il lui venoit parfois certaine finderefe.
Cependant il n'ofoit demander fon Congé,
Et la peur, malgré lui, le tenoit engagé.
Il avoit eu déja quelque legere envie
De les découvrir tous pour conferver fa vie,

Etant sûr de fa Grace après cette Action,
Et d'exercer après quelque Profeffion.

Le pénétrant Cartouche, avec fa défiance,
Résolut, fans tarder, d'en faire la vengeance,
Etant très-convaincu que dans l'état present
Le plus leger foupçon devenoit fuffifant,

Et qu'il valoit bien mieux, dans un doute femblable
Perdre cent Innocens que fauver un Coupable.
Revenant de fouper, le pauvre Malheureux
Trouve en chemin Cartouche affez près des Chartreux:
Lequel acompagné de Gripaut, de la Branche
Et de Duchâtelet; au-deffus de la hanche
Lui Plonge fon poignard, & fecondé des Siens,
Le fait galoper vîte aux Champs Elifiens.
Son ame en un inftant de fon corps se sépare.
Soudain Duchâtelet, d'une façon barbare,
Vous lui tire le Cœur, l'atache fur fon Sein,
Puis met un Ecriteau grifoné de sa main,
Avec ces mots qu'avoit dictés le Capitaine.

QU'ON NE NOUS TAXE POINT DE FUREUR INHU-
MAINE.

L'EQUITE' SEULE A FAIT CE QUE VOUS POUVEZ

VOIR,

POUR APRENDRE A CHACUN A REMPLIR SON DE

VOIR.

DE SES REMORDS LE FEVRE A REÇU LE SALAIRE ; AINSI PUISSE PERIR TOUT TRAITRE, TOUT FAUX

FRERE.

Après cette Action le Chef revient content.
Il nous faloit, dit-il, ce Suplice éclatant;
Il importe au Salut de nôtre République.
Or un jour qu'il faifoit chez lui Leçon publique
Certain jeune Garçon fe prefente à fes yeux,
Qui d'abord adreffant la parole au plus vieux :

Eft-ce là le Seigneur Cartouche ? c'eft lui-même.
Monfieur, je fuis tout vôtre, & ma joie eft extrême
De pouvoir faluer en toute humilité

Cet Homme dont le nom eft par-tout fi vanté :
Je brûle dès longtems d'être de vos Confreres,
Et de m'initier dans vos facrés Mysteres.

Mon pere jufqu'ici (c'eft un ladre, un vieux fou)
Ne m'a jamais, Monfieur, lâché le moindre fou;
Mais j'efpere avec vous gagner force Pistoles.
Cartouche à ce difcours répond par ces paroles.
C'est en vain, mon Enfant, qu'un timide Voleur
Croit de l'Art de voler atteindre la hauteur,
S'il ne fent point du Ciel l'influence admirable
* Si fon Aftre, en naissant, ne l'en forma capable
Dans les moindres Dangers il est toujours craintif;
Pour lui Laverne eft fourde & Mercure eft rétif.
O vous donc ! qui brûlant d'une ardeur perilleuse,
Courez des grands Voleurs la carriere épineuse ;
Ne venez pas ici ce bel Art ravaler,

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Ni prendre pour Valeur une ardeur de piller;
Craignez, craignez du gain les trompeufes amorces,
Et confultez long-tems votre cœur & vos forces,
Si vous prétendez être un Voleur achevé :
Il y faut longue étude & travail cultivé ;
Ce Métier-ci n'eft pas fi facile qu'on pense,
Mon Fils, la vie eft courte, & longue eft la Science.
Pourquoi faut-il que l'Homme au trépas destiné,
Pour devenir favant ait un tems fi borné !
Pendant qu'un double fiecle en fa vile nature,
Une Corneille, un Cerf, paît, vole, vit, pâture.

Vous avez, j'y confens, quelques Sots détrouffés Reçû quelques coups, foit, mais ce n'est pas affés: Détrompez-vous ; tel croit être Homme de courage, Qui n'en a que le nom. Que c'est un rare ouvrage

Qu'un Voleur achevé ! qu'un Heros tel que
Mais on en voit fi peu ! je creve de couroux,

Nous !

Quand je vois cent Poltrons dans le fiecle où nous fom

mes,

Auprès de nos Pareils fe croire de grands Hommes.
Voyons fi vous avez bonne Vocation,

Et contez-nous un peu quelque rare Action.

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Je ne vous dirai point, répondit le jeune Homme, Que j'aye encore atteint à quelque groffe Somme : J'ai fait de petit Vols que je compte pour rien; Mais j'en crois mon Courage, & j'en augure bien : D'une noble chaleur je fens mon ame atteinte. Jeune & dans l'âge heureux qui méconnoît la crainte Je fuis prêt d'affronter les perils les plus grands; Ma jeunesse, mon cœur m'en font de sûrs garands: Avant que deux Moiffons jauniffent les Campagnes Avant que deux Hyvers blanchiffent les Montagnes De tous vos Ennemis je veux être l'Effroi : Vôtre Exemple eft d'ailleurs une regle pour moi. On dit, vous le favez, que vôtre Destinée Dans la Gréve, en fa fleur doit être moiffonnée 3 Malgré le pronoftic, on voit vôtre grand cœur, Courir après la Gloire. Ah! voulez-vous, Monfieur, Que méprifant Honneur, & Valeur & Richeffe, J'attende chez mon Pere une obfcure vieilleffe? Je fais faire à propos un coup d'Eftramaçon, C'eft un Mort bien complet qu'un Mort de ma façon; Mais, vous pouvez perir voulant fuivre Bellonne : Eh bien ! je perirai, file Delin l'ordonne"`; C'eft un point réfolu, l'on m'en détourne en vain Je ne faurois pér r pour un plus beau dessein.

Vous promettez affés, repart le Capitaine;

Mais chez vous, mon Enfant, je veux qu'on vous re

mene:

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