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Saint-Martin, avec le plus complet insuccès d'ailleurs1. La vogue de l'auteur du Corsaire coïncidait avec celle de W. Scott, dont Defauconpret, renforcé de Pichot, venait d'entreprendre la traduction complète. On ne voyait plus que leurs portraits sur les boulevards, que leurs volumes dans les boudoirs. « Aujourd'hui, disait Pigoreau, les ouvrages en lettres sont frappés d'une proscription presque générale ; il faut ajouter enfin que l'anglomanie et le goût des romans d'outre-mer a prévalu. Lady Morgan, miss Porter, lord Byron, sir W. Scott, Auguste Lafontaine, voilà les auteurs à la mode. Si on y ajoute Charles Nodier et le vicomte d'Arlincourt, c'est parce qu'ils ont adopté le genre de la littérature étrangère 3. » La littérature indigène était

1. Marino Faliero, drame en cinq actes, en vers, représenté à la Comédie-Française le 1er octobre 1821. L'ouvrage disparut de l'affiche après la seconde représentation. Les auteurs en étaient Gosse et Merville, d'après les Débats du 9 novembre 1821; le même journal déclare le 13 novembre avoir «< acquis la certitude que M. Merville est entièrement étranger à cet ouvrage ». Le Doge de Venise, mélodrame en trois actes, par M***, représenté à la Porte-Saint-Martin le 7 novembre 1821. << Point de succès», dit à propos du premier l'Almanach des spectacles de 1822, et à propos du second : « Même succès que Marino aux Français. >> Même constatation dans les Débats du 9 novembre 1821.

2. « La foule se porte maintenant au Palais-Royal pour admirer chez le libraire Ladvocat les portraits de lord Byron et de W. Scott, tous deux d'une parfaite ressemblance et d'une exécution remarquable.» (Courrier français du 24 août 1820.) J.-J. Coulmann, faisant visite à Byron à Gênes, le 7 janvier 1823, lui disait : « W. Scott et vous faites fureur en France... Nos boulevards sont couverts de son portrait et du vôtre. » (Réminiscences, Paris, 1862-1869, II, p. 162.) - On vendait en 1820 deux portraits de Byron, l'un édité par Ladvocat : c'est une lithographie de Delorieux d'après le tableau original de G.-H. Harlowe; l'autre par Gihaut: c'est une lithographie d'Engelmann représentant Byron en pied, debout, en frac, adossé à un rocher sur le bord de la mer. Ces deux portraits se trouvent à la Bibliothèque Nationale, département des Estampes. 3. Pigoreau, Petite Bibliographie biographico-romancière, Paris, octobre 1821, p. 298. Cité par L. Maigron dans sa thèse sur le Roman historique à l'époque romantique, Paris, 1898, où la question de l'influence de W. Scott est étudiée à fond. — Voyez aussi les Lettres champenoises, t. I, 1820, p. 341: « Je m'empresse, Madame, de vous indiquer ce nouveau

dans le marasme et se plaignait amèrement. « Mylord Byron d'un côté, avec ses Vampires qui ont donné le cauchemar à tous nos faiseurs de vers, de l'autre sir Scott, sir Southey, sir je ne sais plus qui, et une suite vaporeuse de miss, de mistriss et de miladies se sont emparé de tous les débouchés de notre librairie. Pas un salon où l'on ne s'entende demander: « Avez-vous lu le nouveau chef-d'œuvre de lord Byron? C'est détestablement traduit, mais que cela doit être beau en anglais ! » Devant cette renommée conquérante qui menace à la fois leurs intérêts et leurs principes, les « défenseurs du Pinde » s'émeuvent. Baour-Lormian brandit le fouet de la satire, scandalisé de voir

.....cinquante benêts, transfuges de l'école,

Elever jusqu'au ciel, sans y comprendre un mot,
Thomas Moore, Southey, Byron et W. Scott,
Aux dépens de la Seine illustrer la Tamise,

Nous faire d'Albion une terre promise

Où fleurit seulement la palme des beaux vers,
S'épuiser pour l'Ecosse en éloges divers *.....

Le Journal des Débats sonne l'alarme : « Le poète favori de l'Angleterre compte aujourd'hui presque autant d'admirateurs sur les bords de la Seine que sur ceux de la Tamise. A peine un petit nombre de classiques, vieux Gaulois, toujours placés aux avant-postes du Parnasse pour repousser les continuelles attaques d'audacieux novateurs, se sont armés en ce péril extrême, et viennent défendre le temple saint que Corneille

roman qui vient de paraître, et qui, avant d'être imprimé, était déjà précédé d'une grande réputation; la mérite-t-il? C'est ce que je ne saurais vous dire, ne l'ayant pas encore lu; ce que je sais, c'est qu'il est d'un poète qui partage avec Walter Scott et lord Byron l'admiration de l'Angleterre. Ces deux derniers sont bien connus en France; lord Byron surtout fait fureur, les femmes en raffolent, et l'on trouve cela tout naturel quand on a lu le Corsaire et Lara. »

1. L'Abeille (ancienne Minerve littéraire), III, 1821, p. 76, article sur le château de Kenilworth, signé A. B., cité également par Maigron.

2. Epitre à un satirique anonyme, dans Les Trois mots, satires, nouvelle édition, 1821, p. 57.

et Voltaire, Racine et Boileau élèvent en France au bon goût et à la raison. Cependant la tempête approche, et le monstre romantique devient plus redoutable1... » Contre cette nouvelle invasion de Normands, il se prépare une levée générale de boucliers. Le nom de Byron, jeté dans la mêlée comme un cri de guerre, rallie les partis pour l'attaque et pour la défense et surexcite les dernières énergies des classiques, avant de guider les romantiques à la victoire.

1. 9 décembre 1820, article « Mélanges », signé R. (Et. Béquet).

CHAPITRE IV

L'INVASION.

ROMANTISME ET PHILHELLÉNISME

(1820-1824).

I

Les premières escarmouches, comme on peut s'y attendre, ne sont pas en général favorables à Byron. Les grands journaux et les revues les plus importantes sont pour la plupart à la dévotion des classiques, et les critiques qui tiennent garnison dans ces forteresses ont juré de ne jamais se rendre. « Je suis tellement attaché à mes vieilles admirations, s'écrie Viennet au début de l'article où il examine l'œuvre de Byron, je suis si fortement encroûté d'aristotélisme, tranchons le mot je suis un ultra si déterminé en littérature, que la moindre innovation dans les lois du Pinde me semble le présage d'une épouvantable anarchie 1.» «Le critique, renchérit Béquet dans les Débats, doit faire la guerre à tous ces insectes que le vent du septentrion nous apporte dans ses ailes, et son état n'est-il pas en quelque sorte d'écheniller le Parnasse ? ? » Tous les moyens sont bons contre l'ennemi. La Minerve littéraire s'empare triomphalement d'un article de la Literary Gazette, pour lancer contre Byron la redoutable accusation de plagiat, avec preuves incontestables à l'appui 3. Mais, d'ordinaire, les partisans de la tradition ont assez de confiance dans la bonté de leur cause et dans la vertu des immortels principes

1. Minerve littéraire, t. I, 1820, p. 293.

2. Débats des 23-24 avril 1821.

3. T. II, 1821, p. 478.

d'Aristote, ils sont assez intimement persuadés eux-mêmes de l'absurdité de la poésie romantique en général et de celle de Byron en particulier, pour n'en appeler qu'à la raison et au bon goût de leurs lecteurs.

Ce n est pas du reste que les plus farouchement hostiles aux novateurs soient absolument insensibles au charme du génie de Byron. Viennet confesse qu'il a été ému, mais il s'en veut de l'avoir été. « Je n'ai vu que des idées sans ordre; je n'ai reçu que des impressions fugitives. Le cœur est ému de quelque chose qu'il ne conçoit pas. » La grosse affaire, à ses yeux, c'est que Byron ne compose pas ses ouvrages. « Le Pèlerinage de Childe Harold n'est autre chose que l'assemblage informe des inspirations poétiques, des réflexions philosophiques et morales et des souvenirs de lord Byron pendant ses promenades en Espagne, en Portugal, en Grèce et en Italie. Il était tout simple de faire une, deux ou trois compositions suivies de ces notes..., d'y mettre quelque liaison dans les idées, d'y subordonner son génie à la chaîne naturelle des événements que ces voyages avaient fait naître..... Mais cela eût été naturel et raisonnable, et il fallait que ce fût romantique. » Le Corsaire et Lara « sont les plus beaux fleurons de la couronne poétique de mylord ». Mais pourquoi ne dit-il pas nettement si Lara est la suite du Corsaire ? « Si, pour être romantique, il faut cacher la moitié de ce que le lecteur aurait du plaisir à savoir, si on peut négliger les transitions, isoler un fait de tous ses antécédents, faire sortir de dessous terre des personnages de fantasmagorie et bâtir des palais dans les nuages, je le répète, le romantisme est une absurdité. » Et Viennet de s'évertuer à démontrer que s'il y a quelques bons passages dans les poèmes de Byron, ceux-là ne sont point romantiques. « Au milieu de ce jargon, brillent parfois des idées sublimes; au milieu de ce dévergondage d'une imagination délirante, se rencontrent des fragments dont les plus grands poètes auraient droit de s'enorgueillir. Les grandeurs anéantics, les gloires éclipsées, les empires détruits,

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