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oculaire, cette histoire du sac de Saint-Germain-l'Auxerrois et du pillage de l'Archevêché. J'ai côtoyé cette rivière indignée, en cherchant dans ses eaux fangeuses tant de précieux débris que ces bandits avaient livrés au courant de l'eau rapide. « Ah! que de trésors, que de richesses, d'habits, et d'ornements précieux ! Ah! que de tableaux déchirés, que de meubles brisés, que de choses enfouies. Surtout, et c'était là ce qui faisait mal à voir, un nombre immense de livres jonchait la rivière; on les voyait jetés sur la rive par les vagues lassées, s'accrocher aux bateaux des ports, paraître un instant, puis s'enfoncer lentement, comme un homme qui se noie. C'étaient là les débris de cette belle collection de livres de théologie arrachés aux saturnales ignorantes de 1792, dont l'Archevêché avait été la sauve-garde, et dont la perte se fera vivement sentir dans les études théologiques, si on en fait encore. Là se trouvaient réunies ces superbes éditions des Pères de l'Église grecque et latine, devenues si rares, si coûteuses et qui ne seront pas remplacées. Certes, dans ces murailles consacrées par la piété et le souvenir de tant d'honnêtes gens, l'honneur de l'Église et de l'épiscopat français, elle devait se croire à l'abri de ces fureurs, cette immense bibliothèque, formée de toutes les controverses religieuses, de saint Augustin à M. de Saint-Cyran, de Luther à Bossuet, recueil précieux de ces temps de combats religieux, si pleins de foi et de génie. Hélas! tout a sombré! l'Archevêché avait été envahi, la vaste cour du palais était jonchée de débris, les salles, réparées naguères, étaient dévastées de nouveau, les boiseries étaient arrachées, les marbres brisés; les lustres étaient en morceaux on n'eût pas reconnu un tableau; pas un portrait n'était intact, même le portrait en pied de l'archevêque : nous l'avons vu en lambeaux ce portrait qui remplaçait le prélat fugitif, tomber sur les baïonnettes des factieux. »

Je racontais ainsi tout ce que j'avais vu dans cette foule, et sans oublier certains révolutionnaires, acharnés à la destruction des symboles, qui, par ce clair et riant soleil, tentaient de renverser la croix du dôme de Saint-Gervais. « Le soleil était beau comme un soleil de printemps, les rues étaient encombrées de curieux, et tour à tour, sur ce pont sous lequel passaient tant de débris, vis-à-vis ces domes ébranlés, passaient tour à tour ou tout à la fois, les masques fêtant; le joyeux mardi-gras, la garde nationale

au son du tambour, le bœuf gras entouré de fleurs, les jeunes gens de la ville portant le drapeau tricolore et chantant la Parisienne. A cette heure la ville oubliait tous ces crimes qui l'eussent arrachée à son plaisir, on aurait cherché vainement la foule qui s'était attaquée à des murailles sacrées; cette foule, elle était toute à la joie du carnaval qui s'en va! >>

LES EXILÉS.

Dans ces temps malheureux, chaque jour apportait son désordre et sa fièvre. A l'heure où succombait la Pologne, victime, encore une fois, du signal impuissant que lui avait donné la France, on entendit gronder dans nos rues l'antique émeute, et bientôt ce peuple infortuné vint augmenter, chez nous, le malaise et le désordre. On ne saurait croire le bruit et la gêne de toutes ces misères entassées, et les cris de ces malheureux qui pleuraient en se souvenant de Sion : Quum recordaremur Sion! Aux Polonais, se mélaient les proscrits de l'Allemagne et les proscrits de l'Italie. Parmi ces réfugiés de toutes sortes, ceux-ci donnaient l'exemple de la résignation, du courage, du respect qu'ils savaient porter à leurs propres malheurs; d'autres, restés frivoles en dépit de la vieillesse et de l'exil, racontaient à qui voulait les entendre, toutes sortes de contes en l'air. De ce nombre était un certain marquis ou baron, Palmieri de Mitciche, proscrit sicilien, qui a fait un livre intitulé: Pensées et souvenirs! et ce livre était tout rempli de petits mensonges charmants. Il est bien entendu que notre marquis était un prince, et qu'il appartenait aux meilleures familles de la Sicile. Il était beau, jeune, amoureux, intrépide et duelliste, autant qu'homme du monde. Il ne savait plus le nombre de ses bonnes fortunes, et surtout le nombre de ses duels. Pour qui n'avait-il pas tiré son épée impatiente? Il s'était battu pour ses chiens, pour son cocher, et même pour les yeux noirs de sa maitresse ; il s'était battu contre un insolent qui, devant lui, avait osé ramasser les gants de la duchesse Floridia, la digne favorite du roi de Naples. Il avait vu Naples, et il n'était pas mort; il s'était ruiné au jeu, après avoir été ruiné par le droit d'aînesse, et tout ruiné qu'il était, il avait visité l'Italie; on l'avait vu à Rome, à Pise, à Florence, à Tarente, à Ravenne; il avait parcouru la

mer Adriatique et la mer Ligurienne, et toutes ces îles fameuses, et tout ce qu'il a vu, il le raconte dans son livre, et l'on est tenté de se dire à chaque instant: Quand aura-t-il tout vu?

En Sicile, la misère est plus hideuse que partout ailleurs, les lois sont mortes; la terre, ce grenier des vieux Romains, est d'un produit nul; plus d'art, plus de poésie, et plus d'honneur. On rit même de la lâcheté des hommes, on la consacre sans pudeur par des ex-voto de famille. M. Palmieri a vu dans le salon d'un prince, le portrait d'un fils de la famille; cet aimable jeune homme était représenté fuyant devant l'ennemi et jetant ses armes : Relicta non benè parmula, disait le poëte romain. Double infamie dans le lâche qui fuit, et dans son frère qui perpétue à ce point la honte fraternelle. Ils étaient chambellans du roi de Naples tous les deux.

A Naples, notre proscrit, qui voyait tant de choses, a vu des pères qui assassinaient leurs fils, par rivalité d'amour. Les couvents de Naples sont remplis de jeunes et malheureuses filles, vouées pour toute leur vie à l'obscurité et aux sottes intrigues du cloître; là, l'usure s'est emparée des biens de toute la noblesse; à Naples, le bourreau est un fonctionnaire public, la prison est une caverne humide; dans les bagnes, quand les forçats se disputent entre eux, l'officier de garde jette au hasard trois ou quatre baïonnettes par la lucarne, et voilà autant de morts. Bref! ce n'est plus que dans la patrie de Beccaria que la torture est en honneur.

A l'Université de Modène, il y eut une petite insurrection. Le duc de Modène envoya des aides de camp pour traiter avec les jeunes gens. Deux étudiants parviennent à calmer les esprits, et vont chez le prince exposer les griefs de l'école. - « Ah! s'écria le prince, ce sont ceux-là qui ont apaisé l'émeute! puisqu'ils ont tant d'autorité sur leurs camarades, qu'on les mette en prison! »>

Parfois le proscrit sicilien, pour obéir à l'humeur de ses hôtes, changeait le sujet de ses causeries et racontait de plus douces histoires, à propos de noms plus doux. Par exemple, il était trèslié, ce qui s'appelle très-lié avec madame la princesse de Vintimille; il a beaucoup connu le prince de Vintimille, enfermé à la Flavignana pour avoir soutenu, le premier, les droits du parlement de Sicile; il était le bienvenu chez la duchesse de Floridia, pour qui le poëte Meli a fait la plus jolie de ses chansons; il était l'allié de la princesse de Léon-Forté, Dans le temps où tout homme pré

voyant faisait son testament avant d'aller de Naples en Sicile ou de Sicile à Naples, c'était en grande partie pour voir la princesse de Léon-Forté que les étrangers entreprenaient ce périlleux voyage. - Il faut convenir, princesse, lui disait une dame française, que vous êtes la plus belle femme de l'Italie. De l'Italie! » répondit la duchesse de cet air insultant qui lui allait si bien.

Quant aux anecdotes sur la famille Butera, le comte de Palmieri était d'autant plus intarissable, que la duchesse de Léon-Forté n'était rien moins que la propre fille de ce célèbre prince de Butera, qui par son courage, sa fortune, sa bienfaisance, ses dettes, son luxe plus qu'anglais, est resté le type des anciens princes italiens.

Ce prince de Butera, que l'on pouvait appeler le Magnifique, s'était mis crânement à la bouche, d'un canon que les soldats allaient décharger sur le peuple! Il était plein, d'esprit, de cœur, d'amabilité; il s'appelait Hercule, et sous plus d'un rapport il n'était pas indigne de ce beau nom. Sa maison était ouverte à tous, la nuit aussi bien que le jour. Table plénière, et qui voulait vivre en ce lieu y vivait, sans qu'à peine il fût besoin de dire son nom au maître de céans. Il sortait, les poches pleines d'or qu'il distribuait d'un air grognon et maussade qu'il faisait adorer. Il avait quatre-vingts chevaux dans ses écuries, mais pour ses convives, car il ne montait jamais à cheval. Un jour, il acheta pour sa femme un habit de Chinoise qui coûtait 30,000 francs, et comme on riait quelque peu en voyant la princesse au supplice dans ses petits souliers, toute brochée d'or, entourée de clochettes retentissantes, et immobile comme sa robe «Eh bien ! qu'estce? disait ce prince, c'est une princesse chinoise, »

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A en croire M. Palmieri, les fêtes du prince de Butera auraient été aussi belles que celles de Louis XIV, seulement, entre le roi Louis XIV et le prince de Butera il y avait cette petite différence que le prince de Butera ne payait personne, à ce point que le roi Ferdinand, magnifique à peu de frais, fut obligé de lui accorder quatre-vingts années pour payer ses créanciers,

Le réfugié sicilien avait aussi de bonnes anecdotes sur ce même roi Ferdinand Ir, roi de Naples. Ferdinand Ier disait souvent qu'il ne fallait que trois F pour gouverner un peuple, festa, forca e farina (des fêtes, des échafauds et du pain); tel était son Contrat social, comme roi. Quant à sa personne, il était souvent jovial

compagnon, d'une grosse et épaisse gaieté; capricieux avec les dames, familier avec ses domestiques, habile chasseur et fier de son habileté; entêté et nul; bourgeois sans grâce; souverain sans noblesse ; plaisantant lui-même sur l'inconduite de sa femme qui était une gourgandine; quinteux; contre-révolutionnaire absurde, et dans tout le cours de son règne, prodiguant à son peuple, plutôt les deux premiers mots de sa Charte que le dernier : farina.

Quand les Français entrèrent dans Naples, le roi Ferdinand se sauva en Sicile sur le vaisseau de l'amiral Nelson. En Sicile, ce fut pour Ferdinand un triste exil. Plus de grosse gaieté, plus de gros mots, plus de jurons napolitains; de longues parties de chasse pour tout amusement. Au mois de juillet 1844, la Restauration accomplie, le trône de Murat chancelant, Ferdinand revint à Naples et voulut jouer, lui aussi, à la Constitution. Il la jura, la main levée, et à haute voix, cette Constitution qu'il devait violer si lâchement et si vite, ce misérable, et depuis ce serment royal on n'entendit plus parler de la Constitution.

Si facile à propos de Constitution, ce prince était inexorable dans les petites choses. Un soir, à sa campagne de la Favorita, le jeune marquis de Bracancio présente un siége à une dame; le roi s'emporte et s'écrie : « Je suis le maître, Monsieur; entendezvous? c'est moi seul qui suis le maître ! » Et il arracha la chaise aux mains du marquis.

En Sicile, il écumait de rage quand on se présentait chez lui les cheveux frisés et sans poudre. A ses yeux tout homme qui portait des favoris ou un pantalon était un jacobin; il fallait, pour être bienvenu de Sa Majesté, arriver en faux toupet, en longue queue, ailes de pigeon, souliers, bas de soie, grandes boucles d'argent. Un jeune homme s'étant présenté avec des favoris, le roi lui saute au visage comme une bête féroce, et lui tire ses favoris, en criant : « Porco, briccone! » cochon, fripon ! et autres aménités qu'il avait apprises de ses palfreniers. Mais quoi! en voilà assez sur Ferdinand VII et son sujet.

PAGANINI.

Sur ces entrefaites arrivaient à Paris, l'un portant l'autre ou peu s'en faut, deux hôtes étranges, deux hôtes inattendus dans la cité bouleversée, Paganini et le choléra, le choléra asiatique, comme

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