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ne se tint nullement en garde. Ce fut donc sans arrière-pensée, non par faiblesse de cœur, mais par simple défaut de jugement qu'il permit à son ancienne favorite de rester près de lui dans la maison que devait habiter sa nouvelle épouse.

Galeswinthe se fit remarquer, durant les fètes de son mariage, par la bonté gracieuse qu'elle témoignait aux convives; elle les accueillait comme si elle les eût déjà connus: aux uns elle offrait des présents, aux autres elle adressait des paroles douces et bienveillantes; tous l'assuraient de leur dévouement, et lui souhaitaient une longue et heureuse vie.

Les premiers mois de mariage furent, sinon heureux, du moins paisibles pour la nouvelle reine; douce et patiente, elle supportait avec résignation tout ce qu'il y avait de brusquerie sauvage dans le caractère de son mari. D'ailleurs, Hilpérik eut quelque temps pour elle une véritable affection; il l'aima d'abord par vanité, joyeux d'avoir en elle une épouse aussi noble que celle de son frère; puis, lorsqu'il fut un peu blasé sur ce contentement d'amour-propre, il l'aima par avarice, à cause des grandes sommes d'argent et du grand nombre d'objets précieux qu'elle avait apportés. Mais après s'être complu quelque temps dans le calcul de toutes ces richesses, il cessa d'y trouver du plaisir, et dès lors aucun attrait ne l'attacha plus à Galeswinthe. Ce qu'il y avait en elle de beauté morale, son peu d'orgueil, la charité envers les pauvres, n'était pas de nature à le charmer; car il n'avait de sens et d'àme que pour la beauté corporelle. Ainsi le moment arriva bientôt où, en dépit de ses propres résolutions, Hilpérik ne ressentit auprès de sa femme que de la froideur et de l'ennui.

Ce moment, épié par Frédégonde, fut mis à profit avec son adresse ordinaire. Il lui suffit de se montrer comme par hasard sur le passage du roi. Frédégonde fut reprise

et fit éclat de son nouveau triomphe; elle affecta même envers l'épouse dédaignée des airs hautains et méprisants. Doublement blessée comme femme et comme reine, Galeswinthe pleura d'abord en silence; puis elle osa se plaindre, et dire au roi qu'il n'y avait plus dans sa maison aucun honneur pour elle, mais des injures et des affronts qu'elle ne pouvait supporter. Elle demanda comme une grâce d'être répudiée, et offrit d'abandonner tout ce qu'elle avait apporté avec elle, pourvu seulement qu'il lui fût permis de retourner dans son pays.

L'abandon volontaire d'un riche trésor, le désintéressement par fierté d'âme, étaient des choses incompréhensibles pour le roi Hilpérik; et, n'en ayant pas la moindre idée, il ne pouvait y croire. Aussi malgré leur sincérité, les paroles de la triste Galeswinthe ne lui inspirèrent d'autre sentiment qu'une défiance sombre et la crainte de perdre, par une rupture ouverte, des richesses qu'il s'estimait heureux d'avoir en sa possession. Maitrisant ses émotions et dissimulant sa pensée avec la ruse du sauvage, il changea tout-à-coup de manières, prit une voix douce et caressante, fit des protestations de repentir et d'amour qui trompèrent la fille d'Athanaghild. Elle ne parlait plus de séparation, et se flattait d'un retour sincère, lorsqu'une nuit, par l'ordre du roi, un serviteur affidé fut introduit dans sa chambre, et l'étrangla pendant qu'elle dormait. En la trouvant morte dans son lit, Hilpérik joua la surprise et l'affliction; il fit même semblant de verser des larmes, et, quelques jours après, il épousa Frédégonde.

Ainsi périt cette jeune femme, qu'une sorte de révélation intérieure semblait avertir d'avance du sort qui lui était réservé; figure mélancolique et douce qui traversa la barbarie mérovingienne, comme une apparition d'un autre siècle. Malgré l'affaiblissement du sens moral au milieu de crimes et de malheurs sans nombre, il y eut des âmes profondément émues d'une infortune si peu méritée, et leurs sympathies prirent, selon l'esprit du temps, une couleur superstitieuse. On disait qu'une lampe de cristal, suspendue près du tombeau de Galeswinthe, le jour de ses funérailles, s'était détachée subitement sans que personne y portàt la main, et qu'elle était tombée sur le pavé de marbre sans se briser et sans s'éteindre. On assurait, pour compléter le miracle, que les assistants avaient vu le marbre du pavé céder comme une matière molle, et la lampe s'y enfoncer à demi. De semblables récits peuvent nous faire sourire, nous qui les lisons dans de vieux livres, écrits pour des hommes d'un autre âge; mais, au sixième siècle, quand ces légendes passaient de bouche en bouche, comme l'expression vivante et poétique des sentiments et de la foi populaires, on devenait pensif, et l'on pleurait en les entendant raconter.

M. AUGUSTIN THIERRY, Récits des temps mérovingiens.

DIÈTE DE VARSOVIE EN 1 7 6 4.

EXTRAIT DE L'HISTOIRE

DE

L'ANARCHIE DE POLOGNE;

PAR RULHIÈRE.

C. C. DE RULHIÈRE, né en 1755, mort en 1791, attaché de bonne heure à des fonctions diplomatiques, se livra à la recherche des causes secrètes de quelques-uns des grands événements de l'histoire moderne. Son Histoire (anecdotique) de la révolution de Russie en 1762 (catastrophe dont il fut témoin), ses Éclaircissements sur les causes de la révocation de l'édit de Nantes, et surtout son Histoire de l'anarchie de Pologne, ouvrage resté incomplet, lui assignent un rang très-distingué parmi les historiens. On lui a reproché sa partialité pour les vaincus1; mais il serait difficilement égalé dans la patience des recherches et dans l'art de démêler les fils de ces intrigues tortueuses qui ont eu une si grande part aux événements des deux derniers siècles. Il sait, sans artifice de romancier, faire revivre dans leur individualité les hommes qui ont joué un rôle dans le grand drame de l'histoire. Son style, dont la gravité révèle un esprit mûr, sérieusement préoccupé de son sujet, rappelle, à quelques égards, le calme imposant de la narration antique; toutefois, sans se passionner jamais, il se pénètre du caractère du sujet; et on le trouvera sans doute rapide et dramatique dans le récit de la diète de Varsovie, pittoresque et imposant dans celui de la bataille de Tchesmé. L'art de narrer et de décrire nous semble porté à un degré remarquable dans ce dernier morceau.

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Pour l'intelligence du premier, quelques explications seront nécessaires. La Pologne, sous le nom de royaume, n'était qu'une confédération de gentilshommes, sous une royauté élective. 3 A la mort de chaque roi, la noblesse

4) V. la discussion de la classe de littérature et d'histoire ancienne de l'Institut de France, séance du 24 août 1810. Oeuvres de Rulhière. Édition de 1819. T. 1, p. xliij. 2) « Une diction pure, élégante, harmonieuse, est le moindre mérite de «<l'ouvrage de Rulhière; son style animé, pittoresque et flexible, réunit tous les "genres de beauté que permet, ou plutôt qu'exige l'histoire; et, soit qu'il ra«< conte, soit qu'il observe, soit qu'il décrive les événements, soit qu'il peigne «<les personnages, ou qu'il nous fasse entendre leurs discours, on reconnaît pardisciple, et souvent l'émule des grands historiens de l'antiquité. 3) Voir, sur cette singulière constitution, les Considérations de J. J. Rousseau sur le gouvernement de la Pologne, et l'Histoire de Sobieski, par M. de Salvandy.

« tout le Daunou.

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s'assemblait pour en élire un nouveau; et comme il suffisait d'une seule voix pour empêcher ou annuler une élection, c'était à la force à décider; ensorte que l'anarchie et la guerre civile renaissaient par accès périodiques à chaque élection. Le peuple était compté pour rien; instrument aveugle des passions de ses maîtres, il ne tient aucune place dans l'histoire du pays; aussi, quand l'historien de la Pologne parle de république et de liberté, il ne faut donner à ces mots qu'un sens très-relatif. La Russie, la Prusse et l'Autriche profitèrent des vices de cette constitution pour s'emparer de la Pologne. Ce fut sous l'influence de leurs intrigues et en présence de leurs soldats que s'assembla la diète de 1764, convoquée pour donner un successeur à Auguste III. Poniatowski fut élu, et, sous le titre de roi, ne fut que l'humble vassal de Catherine II. Cet état de choses prépara l'attentat politique, célèbre sous le nom de partage de la Pologne, qui eut lieu en 1772.

Au dernier conseil que tinrent les républicains, avant l'époque fixée pour ouvrir la diète, une jeunesse impétueuse proposa d'attaquer les troupes russes, et de délivrer la capitale. Un chef de Tartares lithuaniens arriva dans cette assemblée, et vint dire au grand-général qu'il avait passé la journée entière, déguisé en paysan, dans le camp des Russes; qu'il avait observé tous leurs postes, et qu'il s'engageait, ou à périr du dernier supplice, ou à leur faire mettre les armes bas. Mokranouski, la plus sûre espérance des républicains, prit aussitôt la parole. «Il compara l'état «< actuel des deux partis, dont l'un, soutenu par plus de quinze « mille hommes aguerris et disciplinés, était maître de la ville et << de tous les postes aux environs, et dont l'autre avait à peine << rassemblé trois mille hommes, parmi lesquels les seuls Tar<< tares lithuaniens avaient quelque usage de la guerre, le reste <«< étant composé de troupes domestiques, de nouvelles recrues, « d'anciens gardes de châteaux, à qui, depuis leur naissance, la << guerre était inconnue; il ajouta que le succès même de cette « témérité, en le supposant possible, ne servirait qu'à attirer en <«< Pologne de nouvelles armées russes et prussiennes, et pouvait << occasionner l'oppression éternelle de la patrie; que le seul parti « à prendre était de refuser constamment de tenir la diète tant <«< que les troupes russes seraient en Pologne; que cette opposition « ferme et constante était un parti plus courageux que la témé«rité d'un coup de main; que, si la faction opposée tentait de <«< tenir une diète illégale, il se chargeait d'y porter lui-même un

<«<manifeste pour la dissoudre et pour la rompre ; enfin que, s'ils << s'obstinaient malgré cette opposition, et contre toutes les lois, << à tenir une assemblée, il faudrait sortir de Varsovie en s'ou<< vrant le passage de vive force, rassembler la noblesse dans un <«< camp près de cette ville, et se faire appuyer par les armées polonaises; attendre les secours promis par le kan des Tartares, <«<et ceux que les réclamations adressées aux cours alliées donnaient << droit d'espérer, et prêter la main à toutes les confédérations «particulières dont la confédération générale doit être formée.>> Ce plan de conduite fut agréé; on dressa le manifeste; on y protesta « que la diète de convocation ne pouvait être tenue ni en « présence d'une armée étrangère, ni sans le concours de la no<«< blesse de Prusse.» Il fut signé par vingt-deux sénateurs, et << quarante cinq nonces1.

Le 7 de mai, jour fixé pour l'ouverture de la diète, les Russes, dès le point du jour, se rangèrent en bataille hors de la ville; cinq cents grenadiers se tinrent sous les armes dans la cour de l'ambassadeur de Russie; un autre détachement dans celle du prince Repnine; des corps de cavalerie occupèrent les places publiques; des sentinelles et des vedettes furent placées dans tous les carrefours. Poniatouski avait fait faire des embrasures dans les murailles de son palais, et garni de soldats toutes ses fenêtres. Il fut escorté au château de la république par une compagnie de gardes. Plus de deux mille hommes de troupes de la maison Czartorinski escortèrent pareillement les principaux chefs; et tout ce parti, pour se reconnaître, avait arboré une cocarde des couleurs de cette maison.

La salle des sénateurs, celle des nonces, tout le château fut rempli de leurs soldats. Les uns furent placés aux portes, d'autres dans les tribunes ouvertes au public, et sur les bancs mêmes destinés aux nonces. Dans ce formidable appareil, ils prétendaient que la diète serait libre. Ils faisaient inviter tous les nonces à s'y rendre. Leurs émissaires assuraient de leur part qu'on ne commettrait aucune violence, et que tous ces soldats n'étaient présents que pour la sûreté du comte Poniatouski. Malgré cette assurance, leur parti fut le seul qui se rendit à cette assemblée. On n'y comptait que huit sénateurs, de cinquante qui étaient à Varsovie. Le vieux comte Malakouski, maréchal des précédentes

4) Nonce, député à la diète de Pologne.

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