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qui parle a eu en vue tout ce qu'elles désignent dans ce sens étendu; et au contraire, on doit en resserrer la signification, s'il paraît que l'auteur a borné sa pensée à ce qui est compris dans le sens le plus resserré. Supposons qu'un mari ait légué à sa femme tout son argent. Il s'agit de savoir si cette expression marque seulement l'argent comptant, ou si elle s'étend aussi à à celui qui est placé, qui est dû par billets et autres titres. Si la femme est pauvre, si elle était chère à son mari, s'il se trouve peu d'argent comptant, et que le prix des autres biens surpasse de beaucoup celui de l'argent tant en comptant qu'en papiers, il y a toute apparence que le mari a entendu léguer aussi bien l'argent qui lui est dû, que celui qu'il a dans ses coffres, Au contraire, si la femme est riche, s'il se trouve de grosses sommes en argent comptant, et si la valeur de celui qui est dû excède de beaucoup celle des autres biens, il paraît que le mari n'a voulu léguer à sa femme que son argent comptant.

On doit encore, en conséquence de la même règle, donner à une disposition toute l'étendue qu'emporte la propriété des termes, s'il paraît que l'auteur a eu en vue tout ce qui est compris dans cette propriété; mais il faut restreindre la signification, lorsqu'il est vraisemblable que celui qui a fait la disposition n'a point entendu l'étendre à tout ce que la propriété des termes peut embrasser. On en donne cet exemple : un père qui a un fils unique, lègue à la fille d'un ami toutes ses pierreries. Il a une épée enrichie de diamants, qui lui a été donnée par un roi. Certainement il n'y a aucune apparence que le testateur ait pensé à faire passer ce gage honorable dans une famille étrangère. Il faudra donc excepter du legs cette épée avec les pierreries dont elle est ornée, et restreindre la signification des termes aux pierreries ordinaires. Mais si le testateur n'a ni fils ni héritier de son nom; s'il institue pour son héritier un étranger, il n'y a aucune raison de restreindre la signification des termes : il faut les prendre suivant toute leur propriété, étant vraisemblable que le testateur les a employés de même.

§ 271. - On doit expliquer les termes conformément à l'usage commun.

Les contractants sont obligés de s'exprimer de manière qu'ils puissent s'entendre réciproquement. Cela est manifeste par la nature même de l'acte. Ceux qui contractent, concourent dans la même volonté, ils s'accordent à vouloir la même chose; et comment s'y accorderont-ils s'ils ne s'entendent pas parfaitement? Leur contrat ne sera plus qu'un jeu ou qu'un piége. Si donc ils doivent parler de manière à être entendus, il faut qu'ils emploient les mots dans le sens que l'usage leur attribue, dans leur sens propre; qu'ils attachent aux termes dont ils se servent, à toutes leurs expressions, une signification reçue. Il ne leur est pas permis de s'écarter à dessein, et sans en avertir, de l'usage et de la propriété des termes; et l'on présume qu'ils s'y sont conformés, tant que l'on n'a pas des raisons pressantes de présumer le contraire; car la présomption est en général, que les choses ont été faites comme elles ont dû l'être. De toutes ces vérités incontestables, résulte cette règle: Dans l'interprétation des traités, des pactes et des promesses, on ne doit point s'écarter du commun usage de la langue, à moins que l'on n'en ait de très-fortes raisons. Au défaut de la certitude, il faut suivre la probabilité dans les affaires humaines. Il est ordinairement très-probable que l'on a parlé suivant l'usage; cela fait toujours une présomption très - forte, laquelle ne peut être surmontée que par une présomption contraire, plus forte encore. CAMDEN (a) rapporte un traité dans lequel il est dit expressément que le traité doit être entendu précisément suivant la force et la propriété des termes. Après une semblable clause, on ne peut, sous aucun prétexte, s'écarter du sens propre que l'usage attribué aux ter

(a) Histoire d'Elisabeth, partie II.

mes; la volonté des contractants y étant formelle, et déclarée de la manière la plus précise.

§ 272.

- De l'interprétation des traités anciens.

L'usage dont nous parlons est celui du temps auquel le traité, ou l'acte en général, a été conclu et dressé. Les langues varient sans cesse, la signification, la force des termes change avec le temps. Quand on a à interpréter un acte ancien, il faut donc connaître l'usage commun du temps où il a été écrit; et l'on découvre cet usage dans les actes de la même date, dans les écrivains contemporains, en les comparant soigneusement ensemble. C'est l'unique source où l'on puise avec sûreté. L'usage des langues vulgaires étant très - arbitraire, comme chacun le sait, les recherches étymologiques et grammaticales, pour découvrir le vrai sens d'un mot, dans le commun usage, ne formeraient qu'une vaine théorie, aussi inutile que destituée de preuves.

§ 273.- Des chicanes sur les mots.

Les paroles ne sont destinées qu'à exprimer les pensées; ainsi la vraie signification d'une expression, dans l'usage ordinaire, c'est l'idée que l'on a coutume d'attacher à cette expression. C'est donc une chicane grossière que de s'attacher aux mots pris dans un sens particulier, pour éluder le vrai sens de l'expression entière. Mahomet, empereur des Turcs, ayant promis à un homme, à la prise de Négrepont d'épargner sa tête, le fit couper en deux par le milieu du corps. TAMERLAN, après avoir reçu à composition la ville de Sébaste, sous promesse de ne point répandre de sang, fit enterrer tout vifs les soldats de la garnison (a); grossières échap

(a) Voyez PUFENDORF, Droit de la nat. et des gens, liv. V, chap. XII, § III. LA-CROIX, histoire de Timur-Bec, liv. V, chap. XV, parle de cette cruauté de Timur-Bec, ou Tamerlan, envers 4000 cavaliers Arméniens; mais il ne dit rien de la perfidie que d'autres lui attribuent.

patoires, qui ne font qu'aggraver la faute d'un perfide: suivant la remarque de Cicéron (a). Epargner la tête de quelqu'un, ne point répandre de sang, sont des expressions, qui, dans l'usage ordinaire, et surtout en pareille occasion, disent manifestement la même chose que donner la vie sauve.

§ 274. - Règle à ce sujet.

Toutes ces misérables subtilités sont renversées par cette règle incontestable : Quand on voit manifestement quel est le sens qui convient à l'intention des contractants, il n'est pas permis de détourner leurs paroles à un sens contraire. L'intention suffisamment connue fournit la vraie matière de la convention, ce qui est promis et accepté, demandé et accordé. Violer le traité, c'est aller contre l'intention qu'il manifeste suffisamment, plutôt que contre les termes dans lesquels il est concu. Car les termes ne sont rien, ans l'intention qui doit les dicter.

$275.- Des réservations mentales.

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Est-il nécessaire, dans un siècle éclairé, de dire que les réservations mentales ne peuvent être admises dans les traités? La chose est trop manifeste, puisque, par la nature même du traité, les parties doivent s'énoncer de manière qu'elles puissent s'entendre réciproquement (§ 271). Il n'est guère personne aujourd'hui, qui n'eût honte de se fonder sur une réservation mentale. A quoi tend une pareille finesse, si ce n'est à endormir quelqu'un sous la vaine apparence d'un engagement? C'est donc une véritable friponnerie.

§ 276. - De l'interprétation des termes techniques. Les termes techniques, ou les termes propres aux arts et aux sciences, doivent ordinairement s'inter

(a) Fraus enim adstringit, non dissolvit perjurium. De Offic., lib. III, c. 32.

préter suivant la définition qu'en donnent les maítres de l'art, les personnes versées dans la connaissance de l'art ou de la science à laquelle le terme appartient. Je dis ordinairement; car cette règle n'est point si absolue, que l'on ne puisse, ou que l'on ne doive même s'en écarter, quand on a de bonnes raisons de le faire; comme, par exemple, s'il était prouvé que celui qui parle dans un traité, ou dans tout autre acte, n'entendait pas l'art ou la science dont il a emprunté le terme, qu'il ne connaissait pas la force du mot pris comme terme technique, qu'il l'a employé dans un sens vulgaire, etc.

§ 277. - Des termes dont la signification admet des degrés.

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Si toutefois les termes d'art, ou autres, se rapportent à des choses qui admettent différents degrés, il ne faut pas s'attacher scrupuleusement aux définitions, mais plutôt on doit prendre ces termes dans un sens convenable au discours dont ils font partie. Car on définit régulièrement une chose dans son état le plus parfait; et cependant il est certain qu'on ne l'entend pas dans cet état le plus parfait, toutes les fois qu'on en parle. Or l'interprétation ne doit tendre qu'à découvrir la volonté des contractants (§ 268); elle doit donc attribuer à chaque terme le sens que celui qui parle a eu vraisemblablement dans l'esprit. Ainsi, quand on est convenu dans un traité de se soumettre à la décision de deux ou trois habiles jurisconsultes, il serait ridicule de chercher à éluder le compromis, sous prétexte qu'on ne trouvera aucun jurisconsulte accompli de tout point, ou de presser les termes jusqu'à rejeter tous ceux qui n'égaleront pas CUJAS, OU GROTIUs. Celui qui aurait stipulé un secours de dix mille hommes de bonnes troupes, serait-il fondé à prétendre des soldats, dont le moindre fût comparable aux vétérans de JULESCÉSAR? Et si un prince avait promis à son allié un bon général, ne pourrait-il lui envoyer qu'un MARLBOROUGH, ou un TURENNE.

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