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vent aimer un autre homme sans trahir leur mari, Fernande n'avait jamais trompé un amant; mais elle avait toujours exigé qu'une indépendance absolue lui fût accordée il fallait se fier à sa parole ou la perdre. Elle voulait avoir la liberté d'admettre chez elle qui lui plaisait, de promener dans sa voiture qui lui paraissait agréable, de faire les honneurs de sa loge à qui bon lui semblait. Cette condition tacite qu'elle avait mise au marché qu'elle avait fait avec M. de Montgiroux désespérait le pauvre pair de France qui, tiraillé d'un côté par les craintes que lui inspirait toujours en pareil cas sa vieille liaison avec Mme de Barthèle, retenu de l'autre par une pudeur sociale, ne pouvait suivre Fernande dans tous ses plaisirs, et, se rendant justice en comparant ses vingt-deux ans à ses soixante années, était sans cesse poursuivi de l'idée qu'elle le trompait. Sa vie se passait donc en appréhensions continuelles, en craintes toujours renaissantes; la tranquillité morale, qui fait ce calme si nécessaire à la vieillesse, était détruite. A chaque heure du jour il arrivait chez Fernande, et chaque fois il la trouvait souriante, car Fernande était reconnaissante des attentions que M. de Montgiroux avait pour elle, et elle, qui était si jalouse, elle avait pitié de sa jalousie. Il en résultait que, tant que le comte était là, tenant la main de Fernande dans la sienne, il était confiant, il était heureux; mais dès qu'il l'avait quittée, l'idée de Fernande au milieu de ces beaux jeunes gens, pour lesquels elle devait avoir toutes les sympathies d'un même age, lui revenaient à l'esprit, et ses craintes, apaisées un instant, renaissaient plus vives et plus poignantes au fond de son cœur. Et cependant si, doué de la faculté de lire jusqu'au fond de l'ame, quelqu'un ent pu comparer la situation du comte à l'état de la femme qui la causait sans le vouloir et sans le savoir, il l'eût certes enviée.

En effet Fernande, comme nous l'avons dit, n'avait adopté cette vie de bruit et d'agitation que pour échapper à elle-même, et tant qu'elle volait emportée par deux vigoureux chevaux, tant qu'elle se laissait aller à l'enivrement de la voix de Duprez ou de Rubini, tant qu'elle souriait du délicieux sourire de Mlle Mars dans l'ancienne comédie ou qu'elle pleurait de ses larmes dans le drame moderne, tant qu'elle était adulée, fêtée, soit comme reine de son salon, soit comme l'ame d'un joyeux repas, elle arrivait encore tant bien que mal au but qu'elle s'était proposé; mais lorsqu'elle était seule, la réalité, suspendue sur sa tête comme l'épée de Damoclès. brisait le fil qui la retenait, et la pauvre femme retombait navrée par

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était-elle arrivée, quoique seule, à se distraire de l'éternelle préoccupa-
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ou atroces de désespoir; quand elle ne serrait pas Maurice dans ses
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réveillait, fiévreuse et glacée à la fois; elle sautait à bas de son lit, elle
quittait cette chambre banale pour se réfugier dans cette petite cel-
lule blanche, toute parfumée de ses plus doux souvenirs. Puis, vêtue
d'un simple peignoir, les pieds nus dans ses mules brodées, elle
s'agenouillait devant ce lit, que jamais une pensée vénale n'avait
souillé. La parfois les larmes lui revenaient, et les nuits où elle pou-
vait pleurer étaient ses heureuses nuits; car alors les larmes ame-
naient l'épuisement, et l'épuisement une espèce de calme.

C'était pendant ces courts instans de calme que Fernande s'interrogeait sur ce qu'elle avait fait, et se demandait si elle avait fait ce qu'elle devait faire; c'était alors qu'elle essayait de s'expliquer une conduite que l'instinct seul lui avait suggérée; c'était alors qu'elle cherchait à se rendre compte du passé.

Pourquoi l'avoir chassé? disait-elle. Quel était son crime? De m'aimer, de m'avoir caché qu'il était marié, parce qu'il m'aimait, de me préférer par conséquent à sa femme, à celle que l'orgueil et les conventions sociales lui avaient impose avant qu'il me connût, trois années avant! Et à quel moment, fule que je suis, ai-je été rompre avec lui, lorsque cet amour était devenu une partie de mon ame, une portion de ma propre vie pani? moi d'abord, lui ensuite; car qui dit qu'il m'aime autant que je l'aime qui dit qu'il souffre ce que j'ai souffert ime comme je l'aime, comme je souline, et c'est jus at qur, quran

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Et Maurice souffrait .~

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vent aimer un autre homme sans trahir leur mari, Fernande n'avait jamais trompé un amant; mais elle avait toujours exigé qu'une indépendance absolue lui fût accordée il fallait se fier à sa parole ou la perdre. Elle voulait avoir la liberté d'admettre chez elle qui lui plaisait, de promener dans sa voiture qui lui paraissait agréable, de faire les honneurs de sa loge à qui bon lui semblait. Cette condition tacite qu'elle avait mise au marché qu'elle avait fait avec M. de Montgiroux désespérait le pauvre pair de France qui, tiraillé d'un côté par les craintes que lui inspirait toujours en pareil cas sa vieille liaison avec Mme de Barthèle, retenu de l'autre par une pudeur sociale, ne pouvait suivre Fernande dans tous ses plaisirs, et, se rendant justice en comparant ses vingt-deux ans à ses soixante années, était sans cesse poursuivi de l'idée qu'elle le trompait. Sa vie se passait donc en appréhensions continuelles, en craintes toujours renaissantes; la tranquillité morale, qui fait ce calme si nécessaire à la vieillesse, était détruite. A chaque heure du jour il arrivait chez Fernande, et chaque fois il la trouvait souriante, car Fernande était reconnaissante des attentions que M. de Montgiroux avait pour elle, et elle, qui était si jalouse, elle avait pitié de sa jalousie. Il en résultait que, tant que le comte était là, tenant la main de Fernande dans la sienne, il était confiant, il était heureux; mais dès qu'il l'avait quittée, l'idée de Fernande au milieu de ces beaux jeunes gens, pour lesquels elle devait avoir toutes les sympathies d'un même age, lui revenaient à l'esprit, et ses craintes, apaisées un instant. renaissaient plus vives et plus poignantes au fond de son cœur. Et cependant si, doué de la faculté de lire jusqu'au fond de l'ame, quelqu'un eût pu comparer la situation du comte à l'état de la femme qui la causait sans le vouloir et sans le savoir, il l'eût certes enviée. En effet Fernande, comme nous l'avons dit, n'avait adopté cette vie de bruit et d'agitation que pour échapper à elle-même, et tant qu'elle volait emportée par deux vigoureux chevaux, tant qu'elle se laissait aller à l'enivrement de la voix de Duprez ou de Rubini, tant qu'elle souriait du délicieux sourire de Mlle Mars dans l'ancienne comédie ou qu'elle pleurait de ses larmes dans le drame moderne, tant qu'elle était adulée, fêtée, soit comme reine de son salon, soit comme l'ame d'un joyeux repas, elle arrivait encore tant bien que mal au but qu'elle s'était proposé; mais lorsqu'elle était seule, la réalité, suspendue sur sa tête comme l'épée de Damoclès. brisait le fil qui la retenait, et la pauvre femme retombait navrée par

TOME XXV.

JANVIER.

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sa douleur sous le rocher de Sisyphe, qu'elle ne pouvait repousser jusqu'à la cime de l'oubli.

Et alors c'était quelque chose d'effrayant que l'abattement de Fernande, et elle-même craignait si fort la solitude, qu'elle retenait autour d'elle même les plus ennuyeux, même les plus antipathiques de ses adorateurs, pour ne pas se sentir rouler dans les abîmes de sa pensée. Rien n'avait plus de prise sur ce marasme, ni lecture, ni musique, ni peinture; la puissance de sa volonté la soutenait-elle parfois, était-elle arrivée, quoique seule, à se distraire de l'éternelle préoccupation qui l'obsédait : sa conscience, plus forte que sa volonté, l'attendait dans le sommeil. Alors c'étaient des rêves, ou délirans de bonheur ou atroces de désespoir; quand elle ne serrait pas Maurice dans ses bras, elle voyait Maurice serré aux bras d'une autre. Bientôt elle se réveillait, fiévreuse et glacée à la fois; elle sautait à bas de son lit, elle quittait cette chambre banale pour se réfugier dans cette petite cellule blanche, toute parfumée de ses plus doux souvenirs. Puis, vêtue d'un simple peignoir, les pieds nus dans ses mules brodées, elle s'agenouillait devant ce lit, que jamais une pensée vénale n'avait souillé. La parfois les larmes lui revenaient, et les nuits où elle pouvait pleurer étaient ses heureuses nuits; car alors les larmes amenaient l'épuisement, et l'épuisement une espèce de calme.

C'était pendant ces courts instans de calme que Fernande s'interrogeait sur ce qu'elle avait fait, et se demandait si elle avait fait ce qu'elle devait faire; c'était alors qu'elle essayait de s'expliquer une conduite que l'instinct seul lui avait suggérée; c'était alors qu'elle cherchait à se rendre compte du passé.

Pourquoi l'avoir chassé? disait-elle. Quel était son crime? De m'aimer, de m'avoir caché qu'il était marié, parce qu'il m'aimait, de me préférer par conséquent à sa femme, à celle que l'orgueil et les conventions sociales lui avaient imposée avant qu'il me connût, trois années avant! Et à quel moment, folle que je suis, ai-je été rompre avec lui, lorsque cet amour était devenu une partie de mon ame, une portion de ma propre vie! Qui ai-je puni? moi d'abord, lui ensuite; car qui dit qu'il m'aimait, lui, autant que je l'aime! qui dit qu'il souffre ce que j'ai souffert! Oh! il m'aime comme je l'aime, il est puni comme je suis punie, il souffre comme je souffre, et c'est ma consolation. Oh! mon Dieu! qui m'eût jamais dit que j'éprouverais le besoin de le voir souffrir?

Et Maurice souffrait effectivement comme le disait Fernande.

Chaque jour, depuis le jour où elle l'avait consigné à sa porte, il était revenu à l'heure où il avait l'habitude de venir. Alors il y avait pour Fernande un moment de douloureuse satisfaction; Maurice, pâle et tremblant, venait s'assurer que l'ordre qui le proscrivait subsistait toujours, et chaque jour elle voyait s'éloigner Maurice plus pâle et plus tremblant que la veille: cependant aucune plainte ne s'échappait de sa bouche; il remontait en voiture, la voiture disparaissait à l'angle de la rue, et tout était dit. Fernande, cachée derrière un rideau, la main sur son cœur, qui tantôt se resserrait comme s'il avait cessé de battre, tantôt se dilatait comme s'il allait lui briser la poitrine, ne perdait pas un de ses mouvemens, et, s'approchant de la porte de l'antichambre, aspirait le son de sa voix. Puis, lui parti, la voiture disparue, elle tombait sur un fauteuil, l'appelant du fond de son cœur et cependant ne cédant pas. Pourquoi? parce que la vue de Maurice avait fait naître un autre ordre d'idées dans son esprit, en y éveillant les mystères les plus secrets de la jalousie. En effet, si, avec la connaissance du mariage de Maurice, Fernande n'avait pas cessé de le voir, ce bonheur qu'elle regrettait n'eût-il pas été plus terrible que la souffrance même? Le plus léger retard au moment de son arrivée, son départ dix minutes avant l'heure accoutumée, l'altération de ses traits, un sourire moins doux, une préoccupation involontaire, un de ces mille riens imprévus auxquels, dans un autre temps, elle n'eût pas même songé, eussent altéré à chaque instant cette sécurité sur laquelle elle appuyait nonchalamment son existence. Entre la femme d'en haut et la femme d'en bas, sa conscience n'eût pas supporté le parallèle. Cette terreur soudaine, cette répulsion invincible que le secret révélé avait fait naître en elle, c'était donc une sainte inspiration, que le ciel lui avait envoyée, et qu'elle devait suivre. Toute vérité vient de Dieu, quelle que soit la cause qui la met au jour et l'effet qu'elle produit. Si elle eût continué à voir Maurice, Maurice n'eût pas été malheureux, Maurice n'eût pas souffert, et il fallait que Maurice fût malheureux et souffrît, c'était la consolation des nuits sans sommeil de Fernande, c'était la compensation de ses jours voués au rire. Un dernier lien existait encore entre elle et Maurice, celui d'une triste sympathie : tout n'était pas détruit entre eux, une douleur commune leur restait.

Mais bientôt un tourment plus affreux attendait Fernande. Un matin, à l'heure où Maurice avait l'habitude de venir s'assurer que son malheur était toujours le même, Maurice ne parut pas. Alors une jalousie inouie, inconnue, dévorante, s'empara de Fernande.

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