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En ce qui concerne la femme mariée, voir no 80-3°.

82. Le failli non réhabilité peut-il être gérant? - Le failli non réhabilité n'a pas l'exercice de tous les droits civiques (art. 5 de la Constitution du 22 frimaire an VIII; art. 15-17° de la loi du 2 février 1852; art. 2-8° de la loi du 21 novembre 1872); s'en suit-il qu'il ne puisse être le gérant d'un journal? Nous ne le pensons pas, car à la différence de la loi du 11 mai 1868 qui exigeait que le gérant eût à la fois la jouissance de ses droits civils et politiques, la loi de 1881 exige seulement que les gérants aient la jouissance de leurs droits civils et qu'ils ne soient pas privés de leurs droits civiques par une condamnation judiciaire. Or, si le failli est privé de ses droits civiques, il n'en est pas privé par une condamnation judiciaire; car il est impossible de considérer comme telle, le jugement déclaratif de faillite, qui peut intervenir dans des circonstances n'ayant rien de déshonorant, et qui sans prononcer aucune condamnation ne fait que constater l'état d'un commerçant qui a cessé ses paiements.

83. Les membres de la Chambre des députés et du Sénat peuvent-ils être gérants? L'affirmative ne peut faire aucun doute, en présence de la déclaration suivante de M. Lisbonne, dans son rapport : « Il ne nous a pas paru nécessaire de reproduire les dispositions (art. 9 de la loi du 27 juillet 1849 et 8 de la loi du 11 mai 1868) qui interdisent à un membre du Sénat ou de la Chambre des députés, de devenir le gérant responsable d'un journal. » Dans une matière où l'égalité et la célérité dans la répression sont choses nécessaires, on peut regretter que l'ancienne prohibition n'ait pas été reproduite et qu'un journal puisse ainsi bénéficier de l'immunité parlementaire.

84. Conditions de capacité intellectuelle du gérant. - Pour pouvoir obéir aux prescriptions matérielles qui lui sont imposées par les articles 8 et 10 de la loi de 1881, il est au moins nécessaire que le gérant sache signer; mais ne faut-il pas aller plus loin et exiger du gérant une culture intellectuelle suffisante pour qu'il puisse se rendre compte du sens et de la portée des articles qui se publient sous sa responsabilité.

Au point de vue pratique, cela revient à se demander si le ministère public pourrait attaquer (art. 9) comme mensongère et contraire à la loi la déclaration préalable faite en qualité de gérant par un individu complètement illettré et notoirement incapable de surveiller la rédaction d'un journal.

En faveur de l'affirmative, on pourrait être tenté d'invoquer l'arrêt de la cour d'Angers, du 7 décembre 1847 (Dall. 47, 2, 205); mais il faut remarquer que si cet arrêt, dans ses considérants, semble décider en principe qu'un homme complètement illettré ne peut être le gérant d'un journal, il paraît surtout donner pour base à la condamnation qu'il prononce pour fausse déclaration, l'inexactitude des énonciations relatives à la copropriété du journal et du cautionnement. Or, à la différence de la loi du 18 juillet 1828, la loi de 1881 (voir no 78) n'exige pas que le gérant soit pécuniairement intéressé dans l'en

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treprise; elle n'exige pas non plus, par une disposition expresse, qu'il surveille et dirige la rédaction. Du silence de la loi à cet égard et des explications fournies à ce sujet par M. Lisbonne dans son rapport (Celliez et Le Senne, p. 59 et 60), il résulte que le législateur se reconnaissant en quelque sorte impuissant à lutter contre l'abus des gérances fictives, considère comme gérant la personne quelconque qui, remplissant les conditions de nationalité, d'âge et de capacité exigées par le § 2 de l'article 6, est désignée à l'autorité dans la déclaration préalable comme assumant sur elle la responsabilité des publications. Dans ces conditions il semble qu'on doive admettre que le ministère public ne saurait attaquer comme fausse et fraudulense la déclaration signée par un gérant qui, à raison de sa personnalité et de son incapacité notoire, apparaîtrait ostentiblement comme un gérant fictif et un simple « procureur à la prison ». Sans doute la morale et la dignité de la presse sont intéressées à ce que la responsabilité des délits ne pèse que sur les vrais coupables; mais ce gérant fictif et ceux qui l'auraient pris pour plastron, pourraient, la loi en mains, soutenir qu'ils ont satisfait, sinon au vou, au moins aux prescriptions de cette loi, en désignant à l'autorité une personne prête à répondre d'office aux poursuites du ministère public.

85. Le gérant doit-il nécessairement avoir certains droits dans l'administration et la rédaction du journal? - Cette question est intimement liée à la précédente. Sous l'empire de la loi du 18 juillet 1828, un arrêt de cassation du 10 juillet 1845 (Dall. 45, 1, 386) a pu décider avec raison qu'on ne pouvait considérer comme gérant, un individu qui se trouvait placé, quant à l'administration du journal, sous la dépendance d'un tiers et qui ne pouvait exercer aucune surveillance sur sa rédaction; mais aujourd'hui, et pour les raisons que nous avons déduites sous le numéro précédent, il faut admettre que le ministère public ne saurait attaquer comme faite en contravention de la loi une déclaration qui désignerait comme gérant d'un journal, une personne qui, en fait, ne pourrait exercer aucune surveillance ni sur son administration commerciale, ni sur sa rédaction.

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86. Un journal peut-il avoir plusieurs gérants? L'affirmative n'était pas douteuse sous la législation précédente (art. 4 de la loi du 18 juillet 1828 et art. 7 de la loi du 11 mai 1868). L'article 6 de la loi de 1881 dit simplement: « Tout journal ou écrit périodique aura un gérant »; mais on ne saurait voir dans l'emploi de ce singulier la prohibition de la pluralité des gérants, cette pluralité ne faisant que donner des garanties supplémentaires à la répression, et la loi de 1881 elle-même, dans son article 8, disposant que « les déclarations seront faites.... et signée des gérants. » Toutefois, le nombre des gérants ne saurait être indéfini; et l'on peut sans arbitraire le limiter à trois, ce nombre étant celui que fixait la loi du 18 juillet 1828 (art. 4), à laquelle les lois subséquentes ne semblent pas avoir voulu déroger.

ART. 7.

Avant la publication de tout journal ou écrit périodique, il sera fait, au parquet du procureur de la République, une déclaration

contenant :

1o Le titre du journal ou écrit périodique et son mode de publication;

2o Le nom et la demeure du gérant;

3° L'indication de l'imprimerie où il doit être imprimé.

Toute mutation dans les conditions ci-dessus énumérées sera déclarée dans les cinq jours qui suivront.

87. Moment où doit avoir lieu la déclaration. - D'après l'article 2 de la loi du 11 mai 1868, la déclaration devait précéder de quinze jours au moins la publication du journal; en l'absence de tout délai imparti par la loi nouvelle, il n'est pas douteux que la publication puisse suivre immédiatement la déclaration.

88. Autorité compétente pour recevoir la déclaration. - Aux termes de la loi du 11 mai 1868 (art. 2), la déclaration de publication devait être faite à Paris à la préfecture de police, et dans les départements à la préfecture. La loi de 1881, qui a voulu soustraire la presse d'une façon absolue au régime administratif, ordonne, au contraire, que cette déclaration sera faite au parquet du procureur de la République ; il est à peine besoin de faire remarquer que le parquet compétent est celui du lieu où le journal ou écrit périodique doit être publié.

En constatant cette innovation législative, M. le Garde des sceaux, dans sa circulaire du 9 novembre 1881, adressée aux procureurs généraux, présente les observations suivantes : « Si l'autorité administrative ne reçoit plus ellemême les déclarations, elle n'en est pas moins intéressée à les connaître, quand ce ne serait que pour assurer l'exécution de l'article 10, qui prescrit le dépôt de deux exemplaires entre ses mains. La loi ne contient aucune prescription à cet égard, mais il vous appartient d'y suppléer. Vos substituts devront porter à la connaissance de MM. les préfets ou sous-préfets les déclarations et les mutations. Dans les villes où ces actes seraient trop nombreux pour que des copies en puissent être transmises régulièrement, sans surcharger, outre mesure, le service des parquets, vos substituts se concerteront avec l'autorité administrative pour qu'elle puisse en prendre elle-même communication sur place. >>

89. Les diverses éditions d'un même journal sont-elles soumises à des déclarations particulières? Si les diverses éditions du journal sont

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la reproduction exacte l'une de l'autre, la négative n'est pas douteuse, car aucune disposition de la loi ne s'oppose à ce qu'un journal soit tiré à plusieurs éditions. Mais la question devient délicate quand les feuilles publiées par un même gérant, sous le même titre et sortant des mêmes presses, présentent cependant entre elles des différences, et il y a lieu de se demander si ces feuilles doivent être juridiquement considérées comme les diverses éditions d'un même journal, ou si, au contraire, elles ne constituent pas des journaux différents, à l'égard de chacun desquels une déclaration préalable doit être faite.

Voici à cet égard quelles sont les règles tracées par une jurisprudence qui n'a rien perdu de son autorité depuis la loi de 1881: Les diverses feuilles publiées ne peuvent être considérées comme les diverses éditions d'un mème journal, que lorsqu'elles sont la reproduction principale l'une de l'autre, sauf les seules additions que comportent les actes, faits et nouvelles qui ont pu se produire dans l'intervalle des divers tirages; que, si au contraire, ces diverses feuilles différent dans leurs conditions de périodicité, si l'une, par exemple, est quotidienne et l'autre hebdomadaire, si elles diffèrent dans leur rédaction, si elles ont des prix distincts et sont vendues et distribuées séparément, elles doivent être considérées comme deux journaux différents (Cass. ch. réun., 13 avril 1852, Dall. 52, 1, 123; Cass. 27 mai 1843, Dalloz. Presse, n° 277; Privas, 27 juin 1873, Gaz. Trib., 30 juin 1873).

Un arrêt de cassation du 23 novembre 1839 (Dalloz. Presse, n° 277) a décidé que la publication de trois éditions d'un même journal destinées à trois départements différents et ne présentant que de légères différences de rédaction ne dépassait pas les limites que comporte la faculté d'émettre diverses éditions du même écrit périodique, et que le juge du fait avait pu valablement reconnaître que l'auteur de cette publication n'avait réellement mis en circulation qu'un seul et même journal (Voir no 91-2° et n° 93-2°).

90. Une déclaration nouvelle est-elle nécessaire quand un journal, après avoir cessé de paraître pendant un certain temps, reprend sa publication? Cette question a été résolue négativement par un arrêt de la Cour de Besançon du 2 août 1833 (Dalloz, Presse, nos 255 et 278), rendu dans une espèce où le journal n'avait cessé de paraitre que pendant trois mois, et où il était reconnu en fait que l'entreprise du journal n'avait jamais cessé d'exister. La Cour de cassation (30 nov. 1833) a rejeté le pourvoi formé par le procureur général contre cet arrêt.

91. Énonciations que doit contenir la déclaration.

1° Titre. Si le journal ou l'écrit périodique a plusieurs titres ou un titre et des sous-titres, la déclaration doit les indiquer. Ainsi, suivant Dalloz (Presse, no 239), un journal qui prendrait pour titre le Spectateur, journal politique et du commerce, ne serait pas suffisamment désigné par le premier nom (Voir ci-dessous, n° 93).

2° Mode de publication. - La mention relative au mode de publication doit consister simplement dans l'indication des époques auxquelles doit paraître le

journal ou écrit périodique. C'est ce qui résulte du rapport même de M. Lisbonne (Celliez et Le Senne, p. 61), et telle était la règle tracée par la législation antérieure (art. 6 de la loi de 1828 et 2 de la loi de 1868). M. Dutruc (p. 15) critique avec raison l'interprétation de MM. Faivre et Benoît-Lévy (p. 50) qui enseignent que la déclaration doit indiquer, en outre, le format du journal et le genre de publication, en faisant connaître, par exemple, s'il s'agit d'une publication illustrée ou non. Cette interprétation est aussi bien contredite par le sens qui s'attache naturellement à l'expression « mode de publication », que par la législation antérieure et les travaux préparatoires.

Mais nous pensons que si le même journal doit publier plusieurs éditions, il est très utile, sinon indispensable, de signaler ce fait dans la déclaration. Notons même que si ces éditions multiples ne devaient pas être la reproduction principale les unes des autres, et qu'elles dussent présenter des différences soit dans leur périodicité, soit dans leur rédaction, il y aurait lieu pour se mettre à l'abri de toute poursuite de faire des déclarations séparées pour ces diverses éditions qui pourraient, d'après la jurisprudence, être considérées comme constituant des journaux différents (Voir no 89).

En ce qui concerne l'indication des époques, la déclaration fera connaître si la publication est quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, etc., et le jour ou les jours de la semaine ou du mois où elle doit avoir lieu, si elle se fait à jour fixe; si la publication doit se faire irrégulièrement, il suffira d'indiquer cette irrégularité.

3° Nom et demeure du gérant. Si le journal ou l'écrit périodique a plusieurs gérants responsables, il va sans dire que la déclaration devra indiquer les noms et demeures des divers gérants.

4° Indication de l'imprimerie. -La loi (art. 9, 11, 42, 43) faisant peser sur l'imprimeur certaines responsabilités, il était utile d'exiger dans la déclaration l'indication de l'imprimerie où doit s'imprimer le journal. Cette indication générale permettrait de retrouver l'imprimeur, au cas où celui-ci négligerait d'indiquer son nom et son domicile sur le journal même, comme le lui impose l'article 2.

Un arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 1873 (Dall. 73, 1, 268) a considéré comme incomplète et insuffisante la déclaration se bornant à faire connaître que le journal serait imprimé dans une imprimerie spécialement affectée à sa publication, sans localiser et préciser la situation de cette imprimerie. On peut inférer de cette décision que la déclaration satisfait aux prescriptions de la loi, quand elle désigne avec précison le local où doit s'imprimer le journal, sans faire connaître le nom de l'imprimeur (Contra: Cass., 3 janvier 1884).

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92. La loi n'exige aucune indication concernant les propriétaires du journal, ni aucun dépôt des titres de propriété. Critique. D'après le projet de la commission, la déclaration devait énoncer en outre « le nom et la demeure des propriétaires », et elle devait être « accompagnée du dépôt des titres de propriété du journal ou écrit périodique ». La première de ces dispositions fut votée par la Chambre des députés avec cette addition

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