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> Pour la première, qu'il ne suffisoit pas d'avoir une grande et profonde connoissance des sciences, ni une facilité de parler agréablement en conversation, ni une imagination vive et prompte, capable de beaucoup inventer; mais qu'il falloit comme un génie particulier et une lumière naturelle capable de juger de ce qu'il y avoit de plus fin et de plus caché dans l'éloquence; qu'il falloit · enfin comme un mélange de toutes ces autres qualitez, en un tempéramment égal, assujetti sous la loi de l'entendement et sous un jugement solide. Quant à leurs fonctions, qui étoient la seconde chose dont on avoit promis de traiter, qu'elles seroient de nettoyer la langue des ordures qu'elle avoit contractées, ou dans la bouche du peuple, ou dans la foule du palais et dans les impuretez de la chicane, ou par les mauvais usages des courtisans ignorans, ou par l'abus de ceux qui la corrompent en l'écrivant, et de ceux qui disent bien dans les chaires ce qu'il faut dire, mais autrement qu'il ne faut; que pour cet effet il seroit bon d'établir un usage certain des mots; qu'il s'en trouveroit peu à retrancher de ceux dont on se servoit aujourd'hui, pourvu qu'on les rapportât à un des trois genres d'écrire auxquels ils se pouvoient appliquer; que ceux qui ne vaudroient rien, par exemple, dans le style sublime, seroient soufferts dans le médiocre et approuvez dans le plus bas et dans le comique; qu'un des moyens dont les académiciens se serviroient pour parvenir à la perfection seroit l'examen et la correction de leurs propres ouvrages; qu'on en examineroit sévèrement le sujet et la manière de le traiter, les argumens, le style, le nombre, et chaque mot en particulier; qu'après de si exactes observations on laisseroit faire ceux qui voudroient prendre la peine d'y ajouter les leurs, peut-être avec un

succès aussi ridicule que ceux qui pensoient avoir remarqué des taches dans le soleil ; qu'aussi bien l'Académie ne désiroit plaire qu'au plus sage de tous les hommes, et non pas à des foux qui commençoient d'être éblouis de la gloire qu'elle recevoit d'un si grand protecteur; que, si ces résolutions ne pouvoient servir de règles à l'avenir, au moins pourroient-elles bien servir de conseils, puisqu'il n'y avoit point d'apparence que tant d'hommes assemblez n'eussent pu décider des choses dont on ne pouvoit nier qu'ils n'eussent fait voir une assez heureuse pratique ; que cette compagnie avoit pris le nom de l'Académie Françoise parce qu'il étoit le plus modeste et le plus propre à sa fonction; que, pour le sceau dont elle se serviroit et les priviléges dont elle jouiroit, elle s'en remettroit à son fondateur et à son autorité, qui seule ayant donné la forme à cette institution la pouvoit élever sur des fondemens assez forts pour durer autant que la monarchie. »

Ce projet, accompagné de la lettre dont je vous ai parlé, fut présenté au Cardinal par les trois députez de la compagnie. Il se fit lire la lettre deux fois, l'une par le cardinal de la Valette, qui se trouva auprès de lui, l'autre par monsieur de Boisrobert même, et répondit aux députez en ces propres termes, comme je l'ai trouvé dans les regîtres: « Qu'il estimoit toute la compagnie en général et chacun de ceux qui la composoient en particulier; qu'il lui savoit gré de ce qu'elle lui demandoit sa protection, et qu'il lui accordoit de bon cœur. » Il se fit aussi lire le projet, leur marqua quelques endroits qu'il jugeoit devoir être corrigés, et promit de l'approuver quand il auroit été mis au net.

Ce rapport ayant été fait à la compagnie, on commit pour examiner ce discours, premièrement messieurs

Silhon et Sirmond, et depuis encore messieurs Chapelain, Godeau, Habert, des Marests. Enfin, comme chacun des académiciens y trouvoit toujours quelque chose à redire, il fut résolu que chacun d'eux l'examineroit en particulier, que pour cela on en feroit imprimer trente copies qui leur seroient distribuées, mais qu'ils jureroient de n'en point parler et de ne les montrer à personne.

J'ai appris là-dessus une chose que j'estime assez remarquable: c'est qu'on prit, pour avoir ces trentes copies, la voie de l'impression, non-seulement parce qu'on la jugea la plus facile et la plus prompte, mais encore parce que, suivant l'opinion commune, moins les yeux ont de peine à lire un ouvrage, plus l'esprit à de liberté pour en juger; qu'on y void plus clair et qu'on en remarque mieux les graces et les défauts quand il est écrit d'un bon caractère que s'il étoit d'un mauvais, et mieux aussi quand il est imprimé que s'il étoit écrit à la main ; que de fait le cardinal du Perron, qui n'épargnoit ni peine, ni soin, ni dépense pour ses livres, les faisoit toujours imprimer deux fois : la première pour en distribuer sculement quelques copies à des amis particuliers sur lesquelles ils pussent faire leurs observations, la seconde pour les donner au public en la dernière forme où il avoit résolu de les mettre, et qu'afin qu'ils ne fussent pas divulguez contre son gré de cette première sorte, il n'y faisoit travailler que dans sa maison de Bagnolet, où il avoit une imprimerie exprès.

Quoi qu'il en soit, les trente copies imprimées furent rapportées par les académiciens avec leurs notes, et, ce qui est considérable d'un si grand nombre, il n'y en eut pas un qui ne gardât le secret. Le discours fut exa

miné ensuite avec grand soin en diverses assemblées, dont il y en eut même plusieurs d'extraordinaires pour ce sujet. Enfin monsieur Faret le mit en état d'être présenté pour une seconde fois au Cardinal, de quoy lui et monsieur de Boisrobert furent chargez. Le Cardinal retint la copie qu'ils lui en donnèrent, et, l'ayant approuvé pour la matière, le renvoya bientôt après à la compagnie avec ses apostilles de la main de Charpentier son secrétaire, qui ne regardoient que la forme et les expressions. On ordonna qu'il seroit très humblement remercié de cette faveur, et qu'on corrigeroit suivant son intention les endroits qu'il avoit marquez. Seulement, par une liberté assez louable en un temps où toute la cour étoit idolâtre de ce ministre et où c'eût été un crime que d'oser lui contredire, il fut arrêté sur deux de ces endroits «qu'il seroit supplié de dire s'il vouloit absolument qu'on les changeât, parce que son apostille étoit conçue en termes douteux, et que les phrases sembloient assez nobles et assez françoises à toute la compagnie. »

Je ne trouve point qu'on ait changé ces endroits depuis, et cela suffit pour croire que le Cardinal ne s'y obstina pas davantage. Or le dessein de l'Académie étoit de faire imprimer ce projet avec ses statuts quand ils auroient été dressez et qu'on en seroit demeuré d'accord; mais cela ne s'est point fait depuis, soit que cette première ardeur pour la gloire de la compagnie se soit ralentie avec le temps, soit, comme je le croirois plus volontiers, qu'il arrivât alors à un corps si judicieux ce qui arrive tous les jours en particulier aux plus grands hommes, de ne pouvoir eux-mêmes se contenter lorsqu'ils contentent tous les autres. Peutêtre que l'Académie, approuvant chaque partie de ce

discours, y trouva je ne sais quoi à redire en gros pour l'ordre et pour la conduite. J'oserois presque le soupçonner ainsi, non-seulement parce qu'après l'avoir lu deux fois, et avec beaucoup de plaisir, il m'a semblé pencher plus vers ce défaut que vers aucun autre, mais encore parce qu'en une des conférences où il fut examiné, comme je le vois dans les regitres, il fut fait une règle générale pour l'avenir, qui doit aussi à mon avis servir d'une leçon générale à ceux qui écrivent, « qu'on ne liroit plus dans la compagnie aucun discours sans en apporter en même temps l'analyse à part, afin que l'Académie pût juger du corps aussi exactement que des parties. >>

On n'avoit pas oublié cependant à délibérer sur la principale occupation de l'Académie, sur ses statuts et sur les lettres qu'il falloit pour son établissement. Dès la seconde assemblée, sur la question qui fut proposée de sa fonction, monsieur Chapelain représenta « qu'à son avis elle devoit être de travailler à la pureté de notre langue et de la rendre capable de la plus haute éloquence, » comme vous avez vu qu'il est dit dans le projet; « que pour cet effet il falloit premièrement en régler les termes et les phrases par un ample dictionnaire et une grammaire fort exacte, qui lui donneroient une partie des ornemens qui lui manquoient, et qu'ensuite elle pourroit acquérir le reste par une rhétorique et une poétique que l'on composeroit pour servir de règle à ceux qui voudroient écrire en vers et en prose.» Cet avis, qui tomboit dans le sentiment de tous les autres académiciens, fut généralement suivi; et parce que monsieur Chapelain s'étoit étendu sur la manière dont on devoit travailler au dictionnaire et à la grammaire, il fut prié d'en dresser un plan qui fut vu

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