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de la Justice criminelle plusieurs suicides de ce genre dont le point d'honneur exagéré avait été le seul mobile. Qu'y a-t-il, en effet, de plus humiliant pour le vieux soldat qui a assisté à plusieurs batailles, qui a conquis, par sa bravoure, les récompenses dévolues au courage, que d'être insulté publiquement et quelquefois même battu devant ses camarades? Lui qui pas tremblé devant l'ennemi, il aime mieux venger sur lui-même la blessure faite à son cœur de soldat que de passer pour un assassin ou pour un làche.

n'a

Souvent aussi le suicide a pour motif un arrêt dans l'avancement. Que cet arrêt soit motivé par l'inconduite, qu'il tienne à l'insuffisance de l'instruction, soit enfin que le militaire ait dépassé la limite d'âge réglementaire, l'orgueil personnel non satisfait crie à l'injustice et fait naître des idées noires qui fréquemment conduisent au suicide.

Une autre cause qui a une grande analogie avec la précédente, c'est la perte de l'espoir d'être un jour décoré. On a vu également, dans l'armée, des hommes mettre fin à leurs jours en voyant décorer de leurs camarades, tandis qu'eux-mêmes, qui avaient mieux mérité de la patrie, n'avaient obtenu aucune récompense.

Craintes de poursuites disciplinaires. - Punitions. Retrait d'emploi. Inconduite et libertinage.— Ce groupe de causes est, sans contredit, un de ceux qui, dans l'armée, produisent annuellement le plus de suicides. La crainte des poursuites disciplinaires, seule, donne, d'après les Comptes-rendus de la Justice criminelle, la moyenne annuelle de 16 suicides

militaires sur un total variant de 120 à 240 par année. La condamnation à une peine, quelquefois trop sévère, entraînant la prison, la dégradation et le déshonneur ; le repentir de sa faute et la perspective d'un avenir compromis, sont autant de motifs suffisants pour déterminer le militaire à mettre fin à ses jours. Quelle honte, en effet, pour l'homme gradé, de se voir enlever ses galons ou ses épaulettes, qu'il avait gagnés par son travail et ses bons services? Ce n'est pas seulement son grade, c'est son avenir qu'il a perdu, et le voilà au rang des simples soldats, soumis aux gardes et aux corvées, souvent contraint d'obéir à ceux-là même que jadis il commandait. On s'explique que, dans une telle situation, celui qui possède encore quelques nobles sentiments préfère se donner la mort que de subir une pareille humiliation. Il peut être escroc, voleur, assassin même, mais lâche, jamais : à ses yeux, le suicide est un moyen de réhabilitation.

L'inconduite et la débauche, par les punitions qu'elles provoquent, la dissipation, par la ruine et la misère qu'elle entraîne, ont souvent, dans l'armée comme dans le civil, pour conséquence fatale le suicide. Il est, en effet, fort difficile après avoir longtemps mené ce genre de vie d'y renoncer, et c'est cependant ce qu'on est forcé de faire lorsqu'on a épuisé ses ressources et qu'on est tombé dans le dénûment. Combien de fois n'a-t-on pas vu des remplaçants recourir au suicide après avoir gaspillé l'argent au prix duquel ils s'étaient vendus? Ajoutons que ces causes agissent encore en retentissant sur les facultés intellectuelles qu'elles émoussent à la longue.

Elles préparent ainsi un champ dans lequel germeront mieux les idées de suicide sans que l'énergie morale puisse les en chasser.

Détournements de

Dettes et embarras d'argent. fonds. Les suicides déterminés par une quelconque de ces trois causes sont relativement nombreux. C'est surtout dans le corps des sous-officiers qu'elles font des victimes. Par un vice de notre organisation militaire, leur position est très-précaire au point de vue de la solde (1), et s'ils se trouvent dans une ville, l'appât du plaisir et leur jeunesse les poussent à se servir des sommes qui leur ont été confiées, pour satisfaire leurs désirs. Sans doute, ils se promettent de restituer le plus tôt possible ce qu'ils enlèvent, mais qu'une révision des comptes inopinée-survienne, et ces malheureux s'exagérant eux-mêmes leur faute et redoutant la juste sévérité du règlement, se voient déshonorés, dégradés et mettent un terme à leurs angoisses en se donnant la mort.

Amour et jalousie. Une cause fréquente de

suicide dans l'armée comme dans le civil c'est...... la femme. Combien de suicides, de duels ou de rixes sanglantes n'ont pas eu d'autres causes que l'amour ou la jalousie? Des soldats ont attenté à leurs jours en apprenant soit la mort, soit le mariage de la femme qu'ils aimaient. Parfois cette funeste déter

(1) Dans ces dernières années cependant, la solde des sous-ɔfficiers a été notablement augmentée; mais c'est surtout les anciens sous-officiers, ceux qui possèdent des chevrons, qui bénéficient de cett emesure. La position des sous-officiers non rengagés, c'est-à dire, ceux appartenant aux classes actives, n'a pas été sensiblement modifiée, du moins au point de vue de la solde.

mination est amenée par la nécessité ou la crainte de se séparer, et souvent alors c'est sur deux cadavres que la police a à verbaliser. Les exemples pris dans l'armée ne sont pas rares, et il n'est pas d'année que les feuilles publiques n'aient à enregistrer des faits de ce genre ayant eu pour théâtre le milieu militaire. Rappelons le fait bien connu de Bancal, chirurgien de marine, et de sa maîtresse qui avaient résolu de mourir ensemble; Bancal fut ramené à la vie, mai sa maîtresse succomba (1).

La pensée delaisser au pouvoir d'un rival la emme que l'on aime, le désir de se venger d'une trahi son

(1) Bancal était convenu avec sa maîtresse qu'avant de se donner a mort, il lui ouvrirait les veines des pieds, et qu'il profiterait de l'évanouissement que devait provoquer la perte du sang, pour lui ouvrir aussi une artère: qu'au besoin. ils s'empoisonneraient en outre tous deux avec de l'acétate de morphine qu'il s'était procuré, et qu'il lui plongerait et se plongerait à lui-même dans le cœur un long bistouri à lame fine..... Le 24 mars 1835, ils exécutent leur funeste projet A onze heure du soir, Bancal lui ouvre les veines. Ce premier moyen trompe leur attente; ils prennent tous deux une forte dose d'acétate de morphine et Bancal ouvre à sa maîtresse une artère du bras gauche. Le poison est rejeté par les vomissements et la mort semble vouloir tarder. Le jour approchant, la maîtresse de Bancal demande à son amant de mettre fin à' son agonie en faisant usage du bistouri; Bancal le lui plonge deux fois dans le cœur, et achève ainsi, à six heures du matin, l'attentat commencé à onze heures du soir. Puis il se frappe lui-même de plusieurs coups de bistouri dans la région du cœur sans pouvoir atteindre cet organe. Bientôt après, il est trouvé mourant. Les chirurgiens appelés constatent les horribles blessures qu'il s'était faites avec l'intention évidente de se donner la mort; et, rappelé à la vie, il introduit encore ses doigts dans ses plaies. Traduit le 25 juillet 1835 devant la cour d'assises, pour homicide, Bancal, sur l'habile plaidoirie de son avocat, fut acquitté. Briant et Chaudé, Manuel de médecine légale, t. 1, page 412.

entrainent parfois à l'assassinat avant de conduire au suicide.

Patriotisme, dévouement, etc. Nous avons rapporté dans le chapitre II les suicides les plus remarquables inspirés par l'amour de la patrie et l'exaltation de passions généreuses. Nous avons cité, parmi ceux qui appartiennent à l'armée française, le suicide du commandant Beaurepaire, la fin héroïque de l'équipage du Vengeur et les nombreuses morts volontaires qui marquèrent le retour des Bourbons, inspirées par le dévouement au glorieux vaincu de Vaterloo.

Notre armée est encore le théâtre de suicides semblables, moins bruyants peut-être, mais inspirés par les mêmes sentiments généreux. Nos derniers désastres ont été marqués par plusieurs de ces immolations volontaires, et de nos jours plusieurs suicides de nos soldats n'ont pas d'autre cause que le départ ou la retraite d'un chef sympathique et regretté.

Alcoolisme. L'alcoolisme, aigu ou chronique, est certainement une des causes dont la triste influence se fait le plus sentir sur la production du suicide. Dans la population civile elle provoque le huitième du chiffre total des suicides; dans notre armée, elle rend compte de leur fréquence chez les vieux soldats.

L'alcoolisme a été pendant longtemps l'un des vices radicaux des militaires, non pas seulement des militaires français, de ceux-là moins que d'autres peut-être, mais de ceux de toutes les armées. Un grand nombre de causes concouraient à y pousser,

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