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HISTOIRE

DES VARIATIONS

DES

ÉGLISES PROTESTANTES.

LIVRE X.

Depuis 4558 jusqu'à 1570.

SOMMAIRE.

Réformation de la reine Elisabeth. Celle d'Edouard corrigée; et la présence réelle, qu'on avoit condamnée sous ce prince, tenue pour indifférente. L'Église anglicane persiste encore dans ce sentiment. Autres variations de cette Église sous Elisabeth. La primauté ecclésiastique de la reine, adoucie en apparence, en effet laissée la même que sous Henri et sous Edouard malgré les scrupules de cette princesse. La politique l'emporte partout dans cette réformation. La foi, les sacrements, et toute la puissance ecclésiastique est mise entre les mains des rois et des parlements. La même chose se fait en Écosse. Les calvinistes de France improuvent cette doctrine, et s'y accommodent néanmoins. Doctrine de l'Angleterre sur la Justification La reine Élisabeth favorise les protestants de France. Ils se soulèvent aussitôt qu'ils se sentent de la force. La conjuration d'Amboise sous François II. Les guerres civiles sous Charles IX. Que cette conjuration et ces guerres sont affaires de religion, entreprises par l'autorité des docteurs et des ministres du parti, et fondées sur la nouvelle doctrine qu'on peut faire la guerre à son prince pour la religion. Cette doctrine expressément autorisée par les synodes nationaux. Illusion des écrivains protestants, el entre autres de M. Burnet, qui veulent que le tumulte d'Amboise et les guerres civiles soient affaires politiques. Que la religion a été mêlée dans le meurtre de François, duc de Guise. Aveu de

Bèze et de l'amiral. Nouvelle Confession de foi en Suisse.

L'Angleterre, bientôt revenue après la mort de Marie à la réformation d'Édouard VI, songeoit à fixer sa foi, et à y donner la dernière forme par l'autorité de sa nouvelle reine. Élisabeth, fille de Henri VIII et d'Anne de Boulen, étoit montée sur le trône, et gouvernoit son royaume avec une aussi profonde politique que

les rois les plus habiles. La démarche qu'elle avoit faite du côté de Rome incontinent après son avénement à la couronne, avoit donné sujet de penser ce qu'on a publié d'ailleurs de cette princesse: qu'elle ne se seroit pas éloignée de la religion catholique, si elle eût trouvé dans le pape des dispositions plus favorables. Mais Paul IV, qui tenoit le siége apostolique, reçut mal les civilités qu'elle lui fit faire comme à un autre prince, sans se déclarer davantage, par le résident de la feue reine sa sœur. M. Burnet nous raconte qu'il la traita de bâtarde '. Il s'étonna de son audace de prendre possession de la couronne d'Angleterre, qui étoit un fief du SaintSiége, sans son aveu, et ne lui donna aucune espérance de mériter ses bonnes graces, qu'en renonçant à ses prétentions, et se soumettant au Siége de Rome. De tels discours, s'il sont véritables, n'étoient guère propres à ramener une reine. Elisabeth rebutée s'éloigna aisément d'un Siége dont aussi bien les décrets condamnoient sa naissance, et s'engagea dans la nouvelle réformation: mais elle n'approuvoit pas celle d'Édouard en tous ses chefs. Il y avoit quatre points qui lui faisoient peine 2; celui des cérémonies, celui des images, celui de la présence réelle, et celui de la primauté ou suprématie royale: et il faut ici raconter ce qui fut fait de son temps sur ces quatre points.

Pour ce qui est des cérémonies « elle aimoit, » dit M. Burnet 3, celles que le roi son père avoit >> retenues; et recherchant l'éclat et la pompe » jusque dans le service divin, elle estimoit que » les ministres de son frère avoient outré le re>> tranchement des ornements extérieurs, et trop

Burn. liv. II, p. 555. - 2 Ibid. p. 558. — Ibid., p. 557.

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» dépouillé la religion. » Je ne vois pas néanmoins qu'elle ait rien fait sur cela de considérable.

Pour les images « son dessein étoit, surtout, « de les conserver dans les églises, et dans le » service divin; elle faisoit tous ses efforts pour >> cela: car elle affectionnoit extrêmement les » images, qu'elle croyoit d'un grand secours » pour exciter la dévotion; et tout au moins elle » estimoit que les églises en seroient bien plus » fréquentées 1. » C'étoit en penser au fond tout ce qu'en pensent les catholiques. Si elles excitent la dévotion envers Dieu, elles pouvoient bien aussi en exciter les marques extérieures : c'est là tout le culte que nous leur rendons y être affectionné dans ce sens, comme la reine Élisabeth, n'étoit pas un sentiment si grossier qu'on veut à présent nous le faire croire; et je doute que M. Burnet voulût accuser une reine qui, selon lui, a fixé la religion en Angleterre, d'avoir eu des sentiments d'idolâtrie. Mais le parti des iconoclastes avoit prévalu: la reine ne leur put résister; et on lui fit tellement outrer la matière, que non contente d'ordonner qu'on stát les images des églises, elle défendit à tous ses sujets de les garder dans leurs maisons 2: il n'y eut que le crucifix qui s'en sauva; encore ne fut-ce que dans la chapelle royale, d'où l'on ne put persuader à la reine de l'arracher 3.

» sous des termes trop précis ; qu'il falloit user » d'expressions plus générales, où les partis op» posés trouvassent leur compte. » Voilàses idées en général. En les appliquant à l'eucharistie, « son dessein étoit de faire concevoir en des paroles un peu VAGUES la manière de la présence » de Jésus-Christ dans l'eucharistie. Elle trou>> voit fort mauvais que par des explications si » subtiles on eût chassé du sein de l'Église ceux qui croyoient la présence corporelle. » Et encore: « Le dessein étoit de dresser un office pour la communion, dont les expressions fus» sent si bien ménagées, qu'en évitant de con» damner la présence corporelle, on réunit tous » les Anglois dans une seule et même Église. »

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C'étoit ici une étrange variation dans un des principaux fondements de la réformation anglicane. Dans la Confession de foi de 1551, sous Edouard, on avoit pris avec tant de force le parti contraire à la présence réelle, qu'on la déclara impossible et contraire à l'ascension de notre Seigneur. Lorsque sous la reine Marie, Cranmer fut condamné comme hérétique, il reconnut que le sujet principal de sa condamnation fut de ne point reconnoître dans l'eucharistie une présence corporelle de son Sauveur. Ridley, Latimer et les autres prétendus martyrs de la réformation anglicane, rapportés par M. Burnet, ont souffert pour la même cause. Calvin en dit autant des martyrs françois, dont il oppose l'autorité aux luthériens 2. Cet article paroissoit encore si important en 1549, et durant le règne d'Édouard, que lorsqu'on y voulut travailler à faire

Il est bon de considérer ce que les protestants lui représentèrent, pour l'obliger à cette ordonnance contre les images, afin qu'on en voie ou la vanité ou l'excès. Le fondement principal est quele deuxième commandement défend de faire des images à la similitude de Dieu : ce qui manifestement ne conclut rien contre les images ni de Jésus-Christ en tant qu'homme, ni des saints, ni en général contre celles où l'on déclare publiquement, comme fait l'Église catholique, qu'on ne prétend nullement représenter la Divinité. Le reste étoit si excessif que personne ne le peut soutenir car ou il ne conclut rien, ou il conclut à la défense absolue de l'usage de la peinture et de la sculpture; foiblesse qui à pré-un système de doctrine qui embrassát, dit M. Bursent est universellement rejetée de tous les chrétiens, et réservée à la superstition et grossièreté des Mahométans et des Juifs.

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net 3, tous les points fondamentaux de la religion, on approfondit surtout l'opinion de la présence de Jésus-Christ dans le sacrement. C'étoit donc alors non seulement un des points fondamentaux, mais encore parmi les fondamentaux un des premiers. Si c'étoit un point si fondamental, et le principal sujet de ces martyres tant vantés, on ne pouvoit l'expliquer en termes trop précis. Après une explication aussi claire

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que les symboles, fut pareillement retranché; et on prit soin de n'y conserver sur la présence réelle que ce qui pouvoit être approuvé par les catholiques et les luthériens.

Par la même raison on changea dans la liturgie d'Édouard ce qui condamnoit la présence corporelle. Par exemple, on y expliquoit qu'en se mettant à genoux, lorsqu'on recevoit l'eucharistie, « on ne prétendoit rendre par là aucune » adoration à une présence corporelle de la chair

» point ailleurs que dans le ciel '. » Mais sous Élisabeth on retrancha ces paroles, et on laissa la liberté tout entière d'adorer dans l'eucharistie la chair et le sang de Jésus-Christ comme présents. Ce que les prétendus martyrs et les auteurs de la réformation anglicane avoient regardé comme une grossière idolâtrie, devint sous Elisabeth une action innocente. Dans la seconde liturgie d'Édouard on avoit ôté ces paroles, qu'on avoit laissées dans la première : Le corps ou le sang de Jésus-Christ garde ton corps et ton ame pour la vie éternelle; mais ces mots, qu'Édouard avoit retranchés parcequ'ils sembloient trop favoriser la présence corporelle, furent rétablis par Élisabeth'. La foi alloit au gré des rois; et ce que nous venons de voir ôté dans la liturgie par la même reine, y fut depuis remis sous le feu roi Charles II.

que celle qu'on avoit donnée sous Édouard, en revenir, comme vouloit Élisabeth, à des expressions générales qui laissassent la chose indécise, et où les partis opposés trouvassent leur compte, en sorte qu'on en pût croire tout ce qu'on voudroit, c'étoit trahir la vérité et lui égaler l'erreur. En un mot ces termes vagues dans une Confession de foi n'étoient qu'une illusion dans la matière du monde la plus sérieuse, et qui demande le plus de sincérité. C'est ce que les réformés d'Angleterre eussent dû représenter à» et du sang; cette chair et ce sang n'étant Élisabeth. Mais la politique l'emporta contre la religion, et l'on n'étoit plus d'humeur à tant rejeter la présence réelle. Ainsi l'article xxix de la Confession d'Édouard, où elle étoit condam née, fut fort changé on y ôta tout ce qui montroit la présence réelle impossible, et contraire à la séance de Jésus-Christ dans les cieux. « Toute cette forte explication, dit M. Burnet, » fut effacée dans l'original avec du vermillon.» » L'historien remarque avec soin qu'on peut en core la lire mais cela même est un témoignage contre la doctrine qu'on efface. On vouloit qu'on la pût lire encore, afin qu'il restât une preuve que c'étoit précisément celle-là qu'on avoit voulu retrancher. On avoit dit à la reine Élisabeth, sur les images, que a la gloire des pre» miers réformateurs seroit flétrie, si l'on ve» noit à rétablir dans les églises ce que ces zélés » martyrs de la pureté évangélique avoient pris » soin d'abattre ". Ce n'étoit pas un moindre at» tentat de retrancher de la Confession de foi de ces prétendus martyrs ce qu'ils y avoient mis contre la présence réelle, et d'en ôter la doctrine pour laquelle ils avoient versé leur sang. Au lieu de leurs termes simples et précis, on se contenta de dire selon le dessein d'Élisabeth, a en termes » vagues, que le corps de notre Seigneur Jésus>> Christ est donné et reçu d'une manière spiri- | »tuelle, et que le moyen par lequel nous le re>> cevons est la foi 3. » La première partie de l'article est très véritable, en prenant la manière spirituelle pour une manière au-dessus des sens et de la nature, comme la prennent les catholiques et les luthériens; et la seconde n'est pas moins certaine, en prenant la réception pour la réception utile, et au sens que saint Jean disoit en parlant de Jésus-Christ, que les siens ne le recurent pas, encore qu'il fût au monde en personne au milieu d'eux: c'est-à-dire, qu'ils ne recurent ni sa doctrine ni sa grace. Au surplus ce qu'on ajoutoit dans la Confession d'Édouard sur la communion des impies, qui ne reçoivent

* Burn. liv. III. p. 601, 4 Joan. 1. 10, 11,

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Malgré tous ces changements dans des choses si essentielles, M. Burnet veut que nous eroyions qu'il n'y eut point de variations dans la doctrine de la réformé en Angleterre. On y détruisoit, ditil", alors, tout de même qu'aujourd'hui, le dogme de la présence corporelle; et seulement on estima qu'il n'étoit ni néccessaire ni avantageux de s'expliquer trop nettement là-dessus: comme si on pouvoit s'expliquer trop nettement sur la foi. Mais il faut encore aller plus avant. C'est varier manifestement dans la doctrine, non seulement d'en embrasser une contraire, mais encore de laisser indécis ce qui auparavant étoit décidé. Si les anciens catholiques après avoir décidé, en termes précis, l'égalité du Fils de Dieu avec son Père, avoient supprimé ce qu'ils en avoient prononcé à Nicée, pour se contenter simplement de l'appeler Dieu, en termes vagues, et au sens que les ariens n'avoient pu nier, en sorte que ce qu'on avoit si expressément décidé devint indécis et indifférent, n'auroient-ils pas manifestement changé la foi de l'Église, et fait un pas en arrière? Or c'est ce qu'a fait l'Église anglicane sous Elisabeth; et on ne peut pas en

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convenir plus clairement que M. Burnet en est que ce n'étoit pas sans quelques remords qu'elle convenu dans les paroles que nous avons rap- abandonnoit son autorité à la puissance sécuportées, où il paroît en termes formels que ce ne lière : mais la politique l'emporta encore en ce fut ni par hasard ni par oubli qu'on omit les ex- point. Avec toute la secrète honte que la reine pressions, du temps d'Édouard; mais par un des- avoit pour sa qualité de chef de l'Église, elle sein bien médité de ne rien dire qui censurát l'accepta, et l'exerça sous un autre nom. Par la présence corporelle, et au contraire de lais- une loi publiée en 1559, « on attacha de nouser ce dogme indécis, en sorte que chacun eút » veau la primauté ecclésiastique à la couronne: la liberté de l'embrasser ou de le rejeter : ainsi,» on déclara que le droit de faire les visites eccléou sincèrement ou par politique, on revint de» siastiques, et de corriger ou de réformer les la foi des réformateurs, et on laissa pour in- » abus de l'Église, étoit annexé pour toujours à différent le dogme de la présence corporelle, contre lequel ils avoient combattu jusqu'au sang.

C'est là encore l'état présent de l'Église d'Angleterre, si nous en croyons M. Burnet. Ç'a été sur ce fondement que l'évêque Guillaume Bedel, dont il a écrit la vie, crut qu'un grand nombre de luthériens, qui s'étoient réfugiés à Dublin, pouvoient communier sans crainte avec l'Église anglicane', « qui en effet, dit M. Bur» net, a eu une telle modération sur ce point » (de la présence réelle), que, n'y ayant aucune » définition positive de la manière dont le corps » de Jésus-Christ est présent dans le sacrement, » les personnes de différent sentiment peuvent » pratiquer le même culte sans être obligées de » se déclarer, et sans qu'on puisse présumer » qu'elles contredisent leur foi. » C'est ainsi que l'Église d'Angleterre a réformé ses réformateurs et corrigé ses maîtres.

Au reste, ni sous Édouard, ni sous Élisabeth, la réformation anglicane n'employa jamais dans l'explication de l'eucharistie ni la substance du corps, ni ces opérations incompréhensibles tant exaltées par Calvin. Ces expressions favorisoient trop une présence réelle, et c'est pourquoi on ne s'en servit ní sous Édouard où on la vouloit exclure, ni sous Élisabeth où on vouloit laisser la chose indécise; et l'Angleterre sentit bien que ces mots de Calvin, peu convenables à la doctrine du sens figuré, n'y pouvoient être introduits qu'en forçant trop visiblement leur sens naturel.

» la royauté; et qu'on ne pourroit exercer au» cune charge publique, soit civile, ou militaire, » ou ecclésiastique, sans jurer de reconnoître la >> reine pour souveraine gouvernante dans tout » son royaume, en toutes sortes de causes sécu» lières et ecclésiastiques'. » Voilà donc à quoi aboutit le scrupule de la reine ; et tout ce qu'elle adoucit dans les lois de Henri VIII, sur la primauté des rois, fut qu'au lieu que sous ce roi on perdoit la vie en la niant, sous Élisabeth on ne perdoit que ses biens2.

Les évêques catholiques se souvinrent à cette fois de ce qu'ils étoient; et attachés invinciblement à l'Église catholique et au Saint-Siége, ils furent déposés pour avoir constamment refusé de souscrire à la primauté de la reine3, aussi bien qu'aux autres articles de la réforme. Mais Parker, archevêque protestant de Cantorbéri, fut le plus zélé à subir le joug. C'étoit à lui qu'on adressoit les plaintes contre le scrupule qu'avoit la reine sur sa qualité de chef: on lui rendoit compte de ce qu'on faisoit pour engager les catholiques à la reconnoitre; et enfin la réformation anglicane ne pouvoit plus compatir avec la liberté et l'autorité que Jésus-Christ avoit donnée à son Église. Ce qui avoit été résolu dans le parlement, en 1559, en faveur de la primauté de la reine, fut reçu dans le synode de Londres, en 1562, du commun consentement de tout le clergé, tant du premier que du second ordre.

Là on inséra en ces termes la suprématie, parmi les articles de foi : « La majesté royale a Il reste que nous expliquions l'article de la » la souveraine puissance dans ce royaume d'Ansuprématie. Il est vrai qu'Élisabeth y répugnoit; » gleterre et dans ses autres domaines; et le et ce titre de chef de l'Église, trop grand à son » souverain gouvernement de tous les sujets, avis, même dans les rois, lui parut encore plus » soit ecclésiastiques ou laïques, lui appartient insupportable, pour ne pas dire plus ridicule, » en toutes sortes de causes, sans qu'ils puissent dans une reine2. Un célèbre prédicateur protes-» être assujettis à aucune puissance étrantant lui avoit, dit M. Burnet, suggéré cette dé- » gère3, » On voulut exclure le pape par ces licatesse ; c'est-à-dire qu'il y avoit encore quel- derniers mots; mais comme ces autres mots en que reste de pudeur dans l'Église anglicane, et

Fie de Guill. Bedel, p. 432, 155. —2 Burn. liv 11, p. 58,571.

Burn. liv. III, p. 570 et seq.572, 586, etc.— Ibid. p. 571 et seq. XXXVII. Synt. Gen. I. part. p. 407.

Ibid. p. 571. - Ibid.

Syn. Lond. art.

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