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LETTRES ET MÉLANGES.

LETTRES DIVERSES..

LETTRE PREMIÈRE.

A S. VINCENT DE PAUL.

Il lui parle de la mission qui devoit se faire à Metz 1, et lui témoigne le désir qu'il a de seconder cette bonne œuvre.

MONSIEUR,

2

J'ai appris de M. de Champin la charité que vous aviez pour ce pays, qui vous obligeoit à y envoyer une mission considérable; qu vous l'aviez proposé à la compagnie, et que vous, et tous ces messieurs, aviez eu assez bonne opinion de moi pour croire que je m'emploierois volontiers à une œuvre si salutaire. Sur l'avis qu'il' m'en a donné, je le suppliois de vous assurer que je n'omettrois rien de ma part, pour y coopérer dans toutes les choses dont on me jugeroit capable. Et comme monseigneur l'évêque d'Auguste et moi devions faire un petit voyage à Paris, je le priois aussi de savoir le tempsde l'arrivée de ces messieurs, afin que nous pussions prendre nos mesures sur cela; jugeant bien, l'un et l'autre, que nous serions fort coupables devant Dieu, si nous abandonnions la moisson dans le temps où sa bonté souveraine nous envoie des ouvriers si fidèles et si charitables. Je ne sais, monsieur, par quel accident je n'ai reçu aucune réponse à cette lettre : mais je ne suis pas fâché que cette occasion se présente de vous renouveler mes respects, en vous assurant, avant toutes choses, de l'excellente disposition en láquelle est monseigneur l'évêque d'Auguste, pour coopérer à cette œuvre.

1 La reine mère ayant fait en 1657 un voyage à Metz, fut sensiblement touchée du triste état de cette ville. De retour à Paris, elle témoigna à S. Vincent de Paul, qu'elle honoroit de sa confiance, le désir qu'elle auroit de faire instruire son peuple de Metz; et pour cet effet, il fut conclu que S. Vincent y enverroit une mission. Il en choisit les ouvriers, principalements parmi les ecclésiastiques qu'on appeloit messieurs de la conférence des Mardis, parce qu'ils s'assembloient ce jour-là pour conférer entre eux sur les matières ecclésiastiques. S. Vincent. avoit formé cette espèce d'association, dans laquelle l'abbé Bossuet étoit entré. La mission fut ainsi composée de vingt prêtres d'un mérite distingué, qui avoient à leur tête M. l'abbé de Chandenier, neveu de M. le cardinal de La Rochefoucauld.

2 C'étoit un docteur de la conférence des Mardis.

3 A messieurs de la conférence des Mardis,

XVII.

1

Pour ce qui me regarde, monsieur, je me reconnois fort incapable d'y rendre le service que je voudrois bien : mais j'espère, de la bonté de Dieu, que l'exemple de tant de saints ecclésiastiques, et les leçons que j'ai autrefois apprises en la compagnie 1, me donneront de la force pour agir avec de si bons ouvriers, si je ne puis rien de moi-même. Je vous demande la grâce d'en assurer la compagnie, que je salue de tout mon cœur en Notre-Seigneur, et la prie de me faire part de ses oraisons et saints sacrifices.

S'il y a quelque chose que vous jugiez ici nécessairepour la préparation des esprits, je recevrai de bon cœur et exécuterai fidèlement, avec la grâce de Dieu, les ordres que vous me donnerez. Je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

A Metz, ce 12 janvier 1658.

BOSSUET, prêtre, grand archidiacre de Metz.

LETTRE II.

DE M. BEDACIER, ÉVÊQUE D'AUGUSTE, A S. VINCENT DE PAUL 3. Il lui témoigne combien il est disposé à favoriser la mission, et lui fait part d'une difficulté qui paroissoit s'opposer au plan des missionnaires.

La lettre de cachet de la reine, et celle que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire au sujet de la mission que sa majesté envoieen cette ville, m'ont été rendues en même jour; la première par M. de Monchy, et l'autre par M. Bossuet, grand archidiacre de cette Eglise. Je n'ai rien à dire sur l'une et sur l'autre, sinon que je vous supplie d'assurer sa majesté que j'emploierai de très-bon cœur tout ce que je puis avoir de crédit et d'autorité, au spirituel et temporel, en cette ville et diocèse, pour seconder ses saintes et pieuses intentions, et les faire ensuite réussir à la gloire de Dieu, à l'édification de nos peuples, au salut des âmes, et à la conversion des hérétiques et infidèles, que nous y avons en nombre fort considérable; et que je ferai, au surplus, tout ce qui me sera possible pour témoigner l'estime très-particulière que je fais de sa piété. Elle m'oblige trop, en vérité, par le soin qu'elle daigne prendre de soutenir le zèle que je dois avoir de mettre ce diocèse en l'ordre d'une bonne et parfaite discipline, par cet envoi, pour n'en porter pas mes reconnoissances au point qu'elle me témoigne le désirer. Je passerois aussi en effet

Il parle de la compagnie de messieurs de la conférence des Mardis, dont il étoit membre. 2 « On n'a pas trouvé, dit notre recueil, qui est fort ancien, la réponse de M. Vincent à » cette lettre mais on sait que depuis qu'il l'eut reçue, il s'adressa à M. l'abbé Bossuet pour >> disposer toutes choses. Il lui adressa la lettre qu'il écrivit à M. l'évêque d'Auguste, qui gou» vernoit le diocèse de Metz: c'est ce que prouve la réponse de ce prélat à M. Vincent, qu'il » est bon de transcrire ici, pour montrer de quelle importance étoit la mission de Metz. »

3 Cette lettre, relative à celle de Bossuet, et qui en explique même quelques points, s'étant arouvée dans le même recueil, nous avons cru devoir l'insérer ici.

pour prévaricateur en mon ministère, si je ne montrois pas, en cette occasion, combien l'œuvre de Dieu et le commandement de sa majesté m'est en considération. J'ajouterai à cela l'état particulier que je fais de votre conduite, qui paroît à l'avantage de toute l'Eglise en ces missions. Assurez-vous, s'il vous plaît, monsieur, que je n'omettrai rien de ce qu'on peut désirer de moi, pour en rendre le succès aussi heureux que vous le pouvez souhaiter.

Je n'ai qu'une difficulté qui me presse, et que je ne pense pas pouvoir surmonter, si vous n'avez la bonté de considérer l'accommodement aisé qu'on peut prendre pour la lever. Ces messieurs disent que, selon l'ordre de vos missions, lorsqu'ils sont dans leurs fonctions, toutes prédications cessent, hors celles qu'ils font à leurs heures; et que, partant, notre prédicateur ordinaire du carême seroit obligé de cesser et de se retirer ce que je vous supplie de considérer, et de voir l'inconvénient auquel cela nous pourroit jeter. Celui que nous avons pour le prochain carême est un fort honnête et habile religieux de l'ordre de saint Dominique, docteur de Sorbonne, qui a déjà prêché l'avent avec applaudissement et recommandation, et lequel j'ai retenu ici sur la bonne foi, n'étant point averti de cet ordre, l'ayant même fait refuser la chaire d'Angers qui lui étoit offerte. Il y auroit une espèce d'affront de le congédier à l'entrée du carême. Nous pourrons, si vous le trouvez bon, concilier cela en lui faisant remettre les lundi, mardi et jeudi de la semaine ; et ainsi ces messieurs auront quatre jours sur semaine pour prêcher en la cathédrale le matin; ayant au surplus, tout le reste du temps, ladite cathédrale libre pour leurs exercices. Je suis bien fàché qu'on n'ait pas prévenu cet inconvénient : mais puisque la chose est ainsi, ils pourront fort bien prêcher trois jours dans une autre Eglise que nous leur désignerons, fort propre pour cela.

Il ne reste, au surplus, aucune difficulté, sinon de pourvoir à ce qui est nécessaire pour recevoir et loger ceux que vous nous envoyez. Ils seront les très-bien venus, venant au nom du Seigneur et de la part de sa majesté. M. de La Contour nous a donné le logis du roi, à la Haute-Pierre, où ils seront très-commodément logés. Pour ce qui est des meubles et pour leur nourriture, nous aviserons aux moyens de leur faire tout administrer: on vous en rendra raison au premier jour. Cependant je vous supplie de croire que je suis trop heureux d'avoir cette occasion de vous assurer de la continuation de mes services et obéissances, étant, monsieur, votre très-humble et obéissant serviteur,

De Metz, le 29 janvier 1658.

J. BEDACIER, év. d'Auguste.

LETTRE III.

DE BOSSUET A S. VINCENT DE PAUL.

Hui apprend avec quel respect les lettres de la reine avoient été reçues à Metz; lui marque la violence exercée par les protestants de cette ville, à l'égard d'une servante catholique, malade à l'extrémité; et lui fait connoître les artifices de ces hérétiques:

J'ai été extrêmement consolé que celui de vos prêtres, qui est venu ici, ait été M. de Monchy: mais j'ai beaucoup de déplaisir qu'il y ait fait si peu de séjour. Il pourra, monsieur, vous avoir appris que les lettres de la reine ont été reçues avec le respect dû à sa majesté, et que M. l'évêque d'Auguste et M. de La Contour ont fait leur devoir en cette rencontre.

Je rends compte à M. de Monchy de l'état des choses depuis son départ; et je me remets à lui à vous en instruire, pour ne pas vous. importuner par des redites: mais je me sens obligé, monsieur, à vous informer d'une chose qui s'est passée ici depuis quelque temps, et qui sera bientôt portée à la cour.

Une servante catholique, qui est décédée chez un huguenot, marchand considérable et accommodé, a été étrangement violentée dans sa conscience. Il est constant, par la propre déposition de son maître, qu'elle avoit fait toute sa vie profession de la religion catholique : il paroit même certain qu'elle avoit communié peu de temps avant que de tomber malade. Elle n'a jamais été aux prêches, ni n'a fait aucun exercice de la religion prétendue réformée. Son maître prétend que, cinq jours avant sa mort, elle a changé de religion: il lui a fait, ditil, venir des ministres pour recevoir sa déclaration, sans avoir appelé à cette action ni le curé, ni le magistrat, ni aucun catholique. qui pût rendre témoignage du fait. Le jour que cette pauvre fille mourut, un jésuite, averti par un des voisins de la violence qu'on lui faisoit, se présente pour la consoler. On lui refuse l'entrée; et il est certain qu'elle étoit vivante. Il retourne, quelque temps après, avec l'ordre du magistrat, et il la trouve décédée dans cet intervalle. Tous ces faits sont constants et avérés: il y a même des indices si forts qu'elle a demandé un prêtre, et les parties ont si fort varié dans leurs réponses sur ce sujet-là, que cela peut passer pour certain.

Je ne vous exagère pas, monsieur, ni les circonstances de cette affaire, ni de quelle conséquence elle est; vous le voyez assez de vous-même, et quelle est l'imprudence de ceux qui, ayant reçu, par grâce du roi, la liberté de conscience dans son état, la ravissent dans leurs maisons à ses sujets leurs serviteurs. Certainement cela

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