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confiance que vous avez dans son jugement : l'émulation le gagne, sa pénétration s'éveille, et vous le verrez quelquefois compléter une théorie dont vous ne lui aurez indiqué que les premiers éléments. Je ne veux pas que l'on étale devant des commençants les curiosités de la science, mais je veux qu'on leur en découvre les principes, » etc.........

(BURNOUF, Grammaire latine, p. vII.)

Je ne me suis point borné à donner, dans la limite du possible, l'explication des règles et des exceptions de la grammaire usuelle. J'ai également cherché à simplifier la syntaxe, et j'ai fait de mon mieux pour la débarrasser des puérilités scolastiques que les grammairiens philosophes y ont entassées à l'envi, depuis deux siècles, ainsi que des distinctions insaisissables dont ils surchargent, comme à plaisir, la mémoire des enfants.

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Ce n'est point assez d'être obligé de dire : Ce nouvel orgue est un des bonnes qui aient été faites en Europe, ou les sottes gens resteront toujours des gens sots, ou feu la reine est morte avant la feue impératrice, et tant d'autres bizarreries sur lesquelles il est impossible de revenir aujourd'hui nos grammairiens, depuis Vaugelas jusqu'à GiraultDuvivier, sont inépuisables en subtilités de ce genre. On doit dire: Cette foule d'enfants encombrait la rue, mais une foule d'enfants couraient dans la rue; un déluge de pleurs

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4. Il est en effet plus d'une exception que l'on ne peut justifier sans sortir des limites d'un enseignement élémentaire. Il est aisé, par exemple, de tracer dans les grandes lignes la théorie de formation de nos verbes irréguliers rien de plus facile que d'expliquer pourquoi finir fait au présent je finis, tandis que dormir fait je dors. Mais il est impossible de donner la raison de chaque irrégularité particulière, à moins d'exposer préalablement à l'élève les lois de changement des lettres latines en français dans leurs moindres nuances; sans ce secours, comment expliquer pourquoi dans savoir l'a du radical est ai au prés. (sais), u au prétérit (sus), a au subjonctif (sache)?

inondait son visage, mais une quantité de pleurs couvraient søn visage. Les grammairiens contemporains renchérissent, comme il est naturel, sur cette inextricable législation, et grâce à leurs efforts, nos règles d'accord seront bientôt incompréhensibles. L'un décrète qu'on dira leur nourriture est saine, mais leur nourriture sont des ignames? L'autre nous explique gravement qu'il faut dire: La conscience de bien faire suffit à l'homme juste, mais la conscience de bien faire sont les délices du juste.

Les successeurs dégénérés des scolastiques discutaient à l'infini pour savoir si un chien en laisse est tenu par l'homme ou par la corde qu'on lui a passée au cou, et comme deux négations latines valent une affirmation, ces logiciens intrépides jonglaient avec des négations tellement multipliées qu'il fallait employer des pois ou des fèves pour décider par leur nombre si la proposition était négative ou affirmative. Les discussions interminables des grammairiens sur les règles. d'accord et sur l'analyse logique ne rappellent-elles pas ces luttes oiseuses de la fin du moyen âge? En vain M. Fortoul en 18541, M. Rouland en 18572, M. Duruy en 18663 ont voulu réagir contre l'abus de ces subtilités byzantines qui doit infailliblement hébéter l'enfant soumis à un tel régime cette scolastique grammaticale reste encore, en dépit de toutes les circulaires ministérielles, la nourriture préférée d'un trop grand nombre de nos professeurs et de nos maîtres.

Tout en supprimant cet attirail métaphysique, j'ai donné d'autre part, pour rendre la grammaire plus réellement pratique, les règles de formation des différentes parties du discours. Quoi de plus stérile en apparence et de plus

1. Circulaire du 31 octobre.
2. Circulaire du 20 août.
3. Circulaire du 7 octobre.

dépourvu d'intérêt que la nomenclature des conjugaisons? Quand vous avez appris à l'enfant comment on construit le squelette des flexions, et suivant quelles règles les verbes que nous possédons forment leurs temps et leurs personnes, il reste encore à lui apprendre comment on crée des verbes nouveaux et à quelle source il faut puiser pour augmenter notre provision. Pour lui montrer les ressources de la langue française, dites-lui, par exemple, que nous formons des verbes nouveaux à l'aide des noms et des adjectifs, mais que notre langue les distingue facilement les uns des autres en ne formant que des verbes en er (table, attabler; front, affronter; tas, tass er; jardin, jardin er) avec les noms, tandis que les verbes tirés des adjectifs appartiennent à la conjugaison en ir (grand, grandir; maigre, maigrir; brun, brunir; lourd, alourd ir, etc.). Dites-lui que, depuis l'origine de la langue, le français n'a point ajouté un seul verbe en oir ou en re au petit nombre de ceux que le latin lui avait légués, que ces deux conjugaisons, incapables de servir à former des verbes nouveaux, sont dites à bon droit conjugaisons mortes, par opposition aux deux conjugaisons en er et en ir que l'on peut appeler vivantes, puisque c'est par elles seules que le français a créé tous les verbes qu'il a formés depuis buit siècles. Cette simple distinction des verbes français en conjugaisons mortes et conjugaisons vivantes expliquera en même temps à l'enfant pourquoi, sur les quatre mille verbes de notre langue, les deux conjugaisons en oir et en re ne possèdent pas ensemble quatre-vingts verbes, tandis que la conjugaison en ir nous en offre trois cents et la conjugaison en er plus de trois mille. Rien n'est plus utile aussi pour donner à l'élève le sens précis des mots et des nuances qui les séparent, que l'étude des préfixes et des suffixes: comment d'un mot simple, tel que chanson, tire-t-on toute une famille de dérivés, tels que chansonnier, chansonn ette, chansonn er, et quel changement chacune de ces terminaisons apporte-t-elle

au sens primitif du radical? Cette étude constituera pour le maître et pour l'élève un exercice utile et attrayant qui, sous le nom d'analyse étymologique, prendra place dans nos classes à la suite de l'analyse grammaticale et de l'analyse logique 1.

Nous avons dit les avantages multiples de la, méthode historique et de son application à l'enseignement élémentaire du français. Mais cette méthode, précisément parce qu'elle est moins brutale que la méthode purement mécanique, offre aussi plus de dangers en des mains malhabiles. Croire que l'explication historique remplacera pour les enfants l'étude des règles, donner prématurément à ceux-ci une dose de science qu'ils ne peuvent porter, enfin leur transmettre des idées philologiques erronées, tels sont, pour n'en point signaler d'autres, les plus graves écueils de la méthode nouvelle.

Il faudrait bien peu connaître l'esprit de l'enfant pour s'imaginer qu'au début l'explication historique des règles pourra être aux élèves de quelque utilité, et qu'on remplacera un jour par la seule intelligence des faits l'effort nécessaire de la mémoire croire que les commençants retiendront mieux les irrégularités du verbe envoyer, si on leur explique pourquoi le futur est enverrai, tandis que celui de nettoyer est nettoierai, serait la plus nuisible des erreurs. Ne demandez point à l'enfant pourquoi le fran

1. Cette méthode de décomposition des mots, si précieuse pour rendre familières aux enfants les ressources de la langue, et que les Allemands emploient journellement dans leurs écoles, était jusqu'à ces dernières années si peu connue chez nous, qu'en 1865 un instituteur d'Alsace, que le Manuel général de l'instruction primaire (t. III, no 42, 1866) ne nomme pas, fut dénoncé par son inspecteur aux foudres ministérielles, pour n'avoir pas craint (horresco referens): « d'enseigner, dit le rapport, des aperçus sur la terminaison des substantifs et des adjectifs, et sur le rapport de ces terminaisons avec le sens et le genre des mots. »

çais forme son pluriel en s, et non pas en 6 ou en m; pourquoi son féminin en e, et non pas en o ou en u; pourquoi le féminin de chanteur est chanteuse, quand celui d'enchanteur est enchanteresse, et celui de spectat eur, spectatrice? Toutes ces formes sont pour lui des faits qu'il accepte sans songer à les discuter, et qui ne provoquent dans son esprit aucun étonnement. Si vous attirez trop tôt son attention sur ces différences, l'enfant hésite, sa mémoire devient craintive, et se trouble sans profit pour l'intelligence. Quand l'élève possédera pratiquement et par le seul effort mnémonique les faits grammaticaux, alors, et seulement alors, il sera temps pour le maître d'éveiller par degrés la curiosité de l'enfant : pourquoi les adverbes de qualité sont-ils terminés en ment? pourquoi le verbe neutre ne peut-il avoir de complément direct? pourquoi l'e qui est muet dans acheter devient-il un e ouvert dans j'achète, et redevient-il un e muet dans nous achetons? L'étonnement une fois né dans ces jeunes esprits, le maître satisfera avec discrétion leur curiosité, en commentant les explications en petit texte, que j'ai placées, dans cette Grammaire, à la suite des différentes règles. S'il est essentiel, pour que l'enfant soit touché des lumières de la grammaire historique, de respecter au préalable les droits de la mémoire et de n'introduire les explications des règles que dans la révision du cours, il est une autre précaution tout aussi importante à observer : c'est de graduer les explications suivant l'intelligence de l'enfant et selon sa connaissance du latin ce sera la tâche la plus difficile du maître que d'échelonner, depuis la classe de septième jusqu'à la quatrième, les éclaircissements historiques, en profitant chaque année de la connaissance plus familière de la langue latine, et en atteignant ainsi le but par des révisions annuelles et des retouches successives.

La curiosité chez l'enfant est un élément d'émulation trop rare et un ressort trop précieux pour que le maître le tienne

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