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II.

Ne te chagrine pas à mon sujet, je fais attention du mieux que je peux. Nous avons trouvé partout le rouge à boudin qui nous gêne un peu.

III.

Mon cher ami, c'est avec bien de la peine que je te fais savoir par mon honorée de ce jour que, ainsi que je te l'avais promis, je ne peux me trouver à Tours à la fin du mois, il m'est impossible, mais, en revanche, je compte bien m'y trouver le 15 février.

La cause en est que l'on va procéder à une opération à ma tante et qu'il faut que je m'y trouve, je te fais savoir aussi que Louis est bien malade (en jugement). Quand tu m'écriras, écris-n.oi toujours poste restante à Bordeaux (Gironde.)

Plus rien à te dire, je te salue, ainsi que ta femme.

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Je te souhaite une bonne santé, quant à moi je vais bien.

Chère femme,

IV.

Je fais réponse à ta lettre que j'ai reçue à Saint-Pourçain. Je me porte bien et je désire que la présente vous trouve de même, quant à celle de Moulins, je n'ai pu l'avoir faute d'occasion.

Je te dirai que je pars pour Fontainebleau, tu me feras réponse à Paris, Loiset, pour le 23. — Les affaires sont toujours les mêmes; ça ne va pas, il y a de quoi se dégouter; mais ma foi ça changera bien, il le faudra. Ne te chagrine pas à mon sujet; je fais attention du mieux que je peux; nous avons trouvé partout le rouge à boudin qui nous grime (chagrine) un peu. Je ne t'en mets pas davantage. Je suis pressé, je pars par le train de midi pour Fontainebleau, sans ça je te mettrais quelques lignes de plus. Bien des compliments de ma part à M. et Mme Louis. Je finis ma lettre en t'embrassant de tout cœur pour la vie ton homme qui t'aime.

EMILE.

Je te demande (donne) des nouvelles de la Mina (bande) très mauvaises. Madame Jean trois pige (a trois ans de prison), ainsi que les deux Juliettes; la mère quatre et les autres une au moins Ainsi, tu vois les affaires. M. Baron est malade (en jugement) il y a six mois, mais ça ne sera rien; Jean le mari de madame Jean aussi. J'ai vu Laurent.

P. S.

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Bien des compliments de la part de mon beau-frère à tous, et s'il y passe pas trop loin je sais qu'il viendra.

Comme cette correspondance édifiante le prouve, les malfaiteurs de province composent une vraie famille trop bien unie, dont les membres dispersés par les nécessités du métier ne descendent du chemin de fer que pour aller prendre leurs lettres à la poste restante. De vrais commis voyageurs en vols et en assassinats!...

Je ne sais si le lecteur partagera notre impression, mais la dernière lettre signée Émile nous paraît plus particulièrement sinistre que toutes les autres. Cette phrase: « Les affaires sont toujours les mêmes, ça ne va pas, mais, ma foi, ça changera bien, il le faudra, » suinte le crime par chaque mot. On sent que celui qui l'a écrite est prêt à tout, dans l'intérêt de

son commerce.

HARMONIES IMITATIVES.

Nous pouvons citer ici fanffe et fonfe (prise), qui simulent bien le reniflement du priseur; bouis-bouis (polichinelle) imite le cri de la pratique; cri-cri celui du grillon; frou-frou rend le bruissement de la soie; faffe, celui du billet de banque; toquante rend le toc-toc de la montre en marche; fric-frac le bruit produit par une effraction; gilbocq celui de la bille qui va en frapper une autre en roulant sur le tapis du billard; branque rappelle le braiment de l'âne; toc rappelle le son mat du doublé; tam-tam et fla-fla font une allusion retentissante aux coups de grosse caisse et aux coups de fouet dont ne sauraient se passer ceux qui abusent de la réclame et qui aiment à faire grand bruit, ceux qu'on appelle les faiseurs d'esbrouffe. - Encore un mot de même famille. Qu'il vienne ou non d'Italie, esbrouffe rend bien le fracas de la vanité.

Humble et doux au contraire est le bruit de la larme qui dégouline le long de la joue.

Dégouline... On croit presque l'entendre tomber.

JEUX DE MOTS.

Oui, le calembour lui-même s'en est mêlé, et de bonne heure encore. Auber (argent) n'est qu'un jeu de mots du moyen âge, temps où la maille était une monnaie, et où le naubert était une cotte de mailles. Avoir de l'aubert, c'était donc être couvert de mailles, ou d'argent si vous aimez mieux. Ne disons-nous pas encore d'un riche: Il est couvert d'or? Comme jeux de mots nécessitant moins d'explications, citons l'habillé de soie (cochon), le cloporte (portier), le pendu glacé (réverbère), la salade (réponse), le billet de parterre (chute), le numéro 100 (latrines), le tirant radouci (bas de soie), la fièvre cérébrale (accusation entraînant la perte de la tête), la main courante (le pied), pincer de la harpe (être en prison), l'amendier fleuri (régisseur de théâtre, donnant des amendes), le monseigneur (fausse-clef), devant lequel s'ouvrent toutes les portes.

On peut encore rattacher indirectement à la classe des jeux de mots quelques transpositions comme Lontou (Toulon), linspré (prince), nibergue (non, bernique), sans oublier arsouille, dans lequel nous avons retrouvé le souillart (artsouille), qui, au moyen âge comme aujourd'hui, avait absolument le même air canaille.

SOUVENIRS.

Encore une classe importante que celle des mots formés par nos souvenirs. Ils sont de tout genre, de tout âge: historiques, politiques, dramatiques, littéraires.

Makach, bazar, smalah, razzia, fourbi, gourbi, mazagran, sont des conquêtes d'Afrique; bachi-bouzouk vient de la Crimée. Bismarquer restera pour nous un souvenir éternel.

Cavour, Bolivar et Morillo, Garibaldi introduisent la politique dans le domaine de la chapellerie.

Antony, Bertrand, Macaire, Demi-monde, Camélia, Fille de marbre, Benoîton, Calino, et en dernier lieu Alphonse, témoignent de l'influence du théâtre moderne.

Du théâtre ancien, nous avons conservé Basile, Tartufe, Polichinelle, Arlequin, Carline et Pierrot.

Victor Hugo a produit pour sa part Quasimodo, Pieuvre, Gavroche.

Mayeux et Chauvin rappellent les gloires de la carica

ture.

A la mythologie, on peut renvoyer Pallas, Cerbère et Cupidon.

Faire sa Sophie est de l'hellénisme raffiné.

Aux temps bibliques remontent Balthazar, Philistin, faire son Joseph, putipharder; - à l'antiquité, Laïus, Romain, Bucéphale.

A la politique nous devons gauche, droite, voltigeur de Louis XIV, frère et ami, démoc-soc, aile de pigeon, centre et juste-milieu, ventru et satisfait, communeux et communard, purs et pourris, blancs et rouges, badinguiste, henriquinquiste, gambettiste, thiériste, intransigeant, opportuniste... Et Dieu sait ce que nous lui devrons encore !

IMPORTATIONS.

Le cosmopolitisme toujours croissant de la vie parisienne a singulièrement accru cette section depuis le second Empire.

Le Sport peut être considéré comme une colonie anglaise (V. dandy, turf, rider, betting, ring, handicap, bookmaker, cab, racer, four in hand, mail coach, et une foule d'autres). L'industrie a subi depuis longtemps l'influence étrangère. La politique a ses leader. Le journalisme lui-même paraît trouver plus drôle de dire racontar que racontage, et reporter que nouvelliste.

Dans ces nobles étrangers, on reconnaît de temps à autre de vieux Français qui ont passé la Manche avec les Normands de Guillaume. Entre notre tunnel de chemin de fer et notre tonnelle de jardin, il n'y a pas l'épaisseur d'une feuille. Le mess de la garde impériale n'était que le repas pris en commun par nos moissonneurs du moyen âge.

Les Italiens, amis des arts, nous ont donné brio, piano, rin

forzando, in petto, in fiocchi, a giorno, intermezzo, bravo, bravi, brava! etc., etc.

Mais que les langues vivantes ne nous fassent pas négliger les langues mortes! L'argot a aussi sa classe de latin. Et ce n'est pas dommage (c'est justice), comme on dit à Belleville et autres lieux où le quibus jouit de la considération qu'il mérite. Aussi avons-nous recueilli avec respect les latinismes ayant cours,

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Nous venons de voir comment l'argot est un langage composé moins de mots nouveaux que d'interprétations nouvelles.

Si la matière n'est pas neuve, reconnaissons qu'elle rachète ce défaut par une singulière richesse. L'abondance, la variété et, disons-le bien, la précision de beaucoup de termes ne s'auraient s'imaginer.

S'agit-il, par exemple, de suivre tous les degrés de la soulographie, remarquez la progression parfaite indiquée par les quarante-six termes qui suivent, dont nous avons justifié l'existence par de nombreux exemples. Sans rentrer l'un dans l'autre, ils ont leur signification propre. Chacun indique, dans l'état, une nuance.

-

Au début, nous rencontrons les neuf verbes être bien, avoir sa pointe, avoir un grain, être monté, en train, poussé, parti, lancé, en patrouille.

Un peu plus loin, nous voyons l'homme légèrement ému; - il sera tout à l'heure attendri, il verra en dedans, et se tiendra des conversations mystérieuses. Cet autre est éméché; il aura certainement demain mal aux cheveux.

Pour dépeindre les tons empourprés par lesquels va passer cette trogne de Silène, vous n'avez que la liberté du choix entre: teinté, allumé, pavois, poivre, pompette, ayant son coup de soleil, ayant son coup de sirop, son coup de bouteille, son plumet, sa cocarde, se piquant ou se rougissant le nez. De la figure passons à la marche. L'homme ivre a quatre de port qui sont également bien saisis. Ou il est raide

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