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née, surtout aux fêtes de Bacchus. C'était dans ces jours solemnels que les poètes tragiques et comiques disputaient la palme du talent : les premiers donnaient leurs ouvrages quatre à quatre, excepté Sophocle, qui, fatigué bientôt d'un si pénible exercice, se contenta d'offrir une seule pièce au concours.

Chez les Grecs et les Romains, le goût des spectacles s'unissait à la magnificence. Leurs théâtres étaient de vastes enceintes, accompagnées de portiques, de galeries couvertes et d'allées plantées d'arbres; mais, comme ils étaient en plein air, on les défendait des ardeurs du soleil, par des voiles que soutenaient des mâts et des cordages. Plus de soixante mille spectateurs occupaient les différens étages de ces immenses théâtres; et, pour remédier à l'odeur de la transpiration, le luxe avait imaginé des jets d'eau de senteur, qui, serpentant à travers les statues dont le sommet était garni, s'épanchaient de toutes parts en forme de rosée.

Sophocle donna l'idée des théâtres magnifiques, que l'on construisit à Athènes. Les dépenses que l'on fit pour l'agrandissement de ces édifices, et pour l'acquisition des objets nécessaires à la représentation d'une pièce, furent portées si loin, qu'on reprochait aux Athéniens de n'avoir pas employé des sommes aussi considérables à la

guerre, qu'ils eurent à soutenir contre les Barbares.

Aucun édifice de ce genre n'égala le théâtre de l'Édile M. Æmilius Scaurus. Il était composé de trois ordres d'architecture, et soutenu par trois cent soixante colonnes, dont les plus élevées étaient de bois doré; celles du milieu, de crystal de roche; et les dernières, de marbre de Crète, toutes de trente-huit pieds d'élévation. Dans les intervalles étaient rangées des statues de bronze au nombre de trois mille; et tout l'édifice contenait quatrevingt mille spectateurs. Les tapisseries, les tableaux, les décorations qui ornaient le fond de ce théâtre, étaient si précieux, qu'étant devenu, quelque tems après sa construction, la proie d'un incendie, on en estima la perte à cent millions de sesterces, ou douze millions de notre monnaie.

Curion fit aussi construire deux grands théâtres en bois, si ingénieusement imaginés, qu'en les faisant mouvoir sur des pivots, on déplaçait à volonté, et la scène et les spectateurs; invention qui tient du prodige, et qu'il est difficile de se représenter (1).

Voilà le grand, voilà l'immense, dont les siècles modernes sont fort éloignés; et néanmoins le drame des Anciens était bien inférieur au nôtre.

(1) Voy. l'art. Théâtre.

Avant Thespis, la tragédie n'était qu'un tissu de contes bouffons, débités en style comique, et mêlés aux chants du choeur, qui entonnait les louanges de Bacchus.

La tragédie, informe et grossière en naissant,
N'était qu'un simple chœur, où chacun, en dansant,
Et du Dieu des raisins entonnant les louanges,
S'efforçait d'attirer de fertiles vendanges.

Là, le vin et la joie éveillant les esprits,
Du plus habile chantre un bouc était le prix.
BOILEAU.

Thespis y fit plusieurs changemens, qu'Horace, d'après Aristote, a cités dans son Art poétique. Sous Eschyle, la tragédie prit une forme nouvelle.

Eschyle dans le chœur jeta les personnages,
D'un masque plus honnête habilla les visages;
Sur les ais d'un théâtre, en public exhaussé,
Fit paraître l'acteur, d'un brodequin chaussé.

Il donna à la tragédie un ton beaucoup plus pompeux que celui du Poëme épique : c'est le magnum loqui, c'est l'os magna sonaturum, dont parle Horace. Son style, trop fier et quelquefois gigantesque, semble plutôt imiter le bruit des tambours et les cris des guerriers, que la noble harmonie des trompettes.

Rapprochant sa diction de celle d'Homère,

Sophocle entendit mieux le langage de la nature. Son style, dont la douceur le fit appeler l'abeille de l'Attique, avait cependant assez de dignité, pour donner à la tragédie un air à-la-fois touchant et majestueux.

Celui d'Euripide, quoique plein de noblesse, était plus naturel encore. Il parut aimer mieux y répandre de la tendresse et de l'élégance, que de la force et de la grandeur.

La Grèce, du tems de Philippe et d'Alexandre, fit ériger trois statues d'airain à Eschyle, Sophocle et Euripide. Elle ordonna que leurs tragédies fussent conservées dans les archives publiques. On les en tirait de tems en tems pour en faire la lecture, parce qu'il n'était pas permis aux comédiens de les représenter (1).

C'est avec raison que les Anciens, accoutumés à consulter en tout la nature, et à la prendre pour guide, out cru que la terreur et la pitié étaient les deux grands mobiles, propres à remuer l'âme des spectateurs. En effet, comme nous rapportons tout à nous-mêmes, quand nous voyons des personnes, respectables par leur rang ou par leur vertu, accablées de grands malheurs, la crainte de pareilles infortunes, dont nous savons que la vie est assiégée de toutes parts, saisit notre cœur; et, par un relour

(1) Voy. Tragédie, Eschyle, Sophocle, Euripide.

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secret de l'amour personnel, nous nous sentons vivement émus du malheur des autres : la nature a d'ailleurs formé entre nous et nos semblables une touchante union, qui nous rend sensibles à tout ce qui leur arrive.

Homo sum, humani nihil à me alienum puto.

TÉR.

Pendant que la tragédie se perfectionnait dans Athènes, la comédie, qui jusqu'alors y avait été fort négligée, s'y vit cultivée avec plus de soin. L'une et l'autre doivent également leur origine à la nature. On est vivement touché des inquiétudes, des dangers, des malheurs, en un mot, de tout ce qui intéresse les personnages illustres ; c'est ce qui a donné naissance à la tragédie. L'homme n'est pas moins curieux d'apprendre les aventures, la conduite, les travers et les ridicules de ses égaux, qui lui fournissent un sujet de rire, et de se divertir à leurs dépens: telle est la source de la comédie.

Elle prit dans Athènes différentes formes, selon le génie des poètes et la volonté des magistrats. Celle, qu'Horace appelle l'ancienne comédie, tenait quelque chose de sa première origine, et de la liberté, qu'elle se donnait, de dire des bouffonneries et des injures aux passans, du haut du chariot de Thespis. Nul n'était épargné, dans une

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