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plus haut rang nous disait qu'il lui était souvent arrivé, pendant qu'il dînait avec sa famille, de voir se précipiter dans la salle un malheureux esclave, poursuivi l'épée dans les reins par l'un des hommes de Mariano.

Les atrocités de ce scélérat, qualifié à juste titre de bandit et d'assassin par le gouverneur de Quilimané, étaient devenues intolérables; et chacun parlait de Mariano comme d'un monstre d'inhumanité. D'où vient que les métis sont beaucoup plus cruels que les Portugais? c'est inexplicable; mais le fait est certain.

On affirme que Mariano se plaisait à frapper lui-même ses captifs à coups de lance, afin de répandre la terreur dans le pays, et de rendre son nom redoutable. D'après ce que l'on raconte, il aurait tué de cette manière, en un seul jour, quarante malheureux qu'il avait fait placer devant lui. Nous avons refusé de croire d'abord à ce qui nous était rapporté, sachant combien les Portugais en voulaient à ce rebelle de ce qu'il entravait leur commerce et accueillait les esclaves fugitifs. Mais plus tard nous avons appris de la bouche des indigènes que les récits des Portugais n'avaient rien d'exagéré, et que Mariano était bien l'affreux scélérat qu'ils nous avaient décrit.

Il est tout simple de penser que le propriétaire d'esclaves a pour son cheptel humain les soins que partout ailleurs on accorde au bétail; mais ce trafic odieux semble engendrer, sinon la soif du sang, toujours une férocité aveugle qui ne connaît même plus l'intérêt.

La guerre fut déclarée à Mariano et des troupes furent envoyées contre lui avec ordre de s'emparer de sa personne. Il résista d'abord; puis craignant une défaite qui était probable, sachant d'autre part que les autorités portugaises sont peu rétribuées, il pensa qu'elles seraient disposées à entendre raison et il partit pour Quilimané, « afin, disait-il, de s'arranger avec le gouverneur. » Mais le colonel da Silva, le fit saisir, et l'envoya à Mozambique pour y être jugé.

A notre arrivée au Zambèze, les gens de Mariano étaient commandés par le frère de celui-ci, un nommé Bonga ; et les hostilités continuaient. Cette guerre, qui durait depuis six

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David Livingstone et ses trois compagnons en voyage dans l'Afrique australe.

tribu nègre; chariot ou wagon traîné par des bœufs.

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mois, avait suspendu toute espèce de commerce. Ce fut le 15 juin que nous nous trouvâmes pour la première fois en contact avec les rebelles. Ils formaient une troupe bien armée, vêtue de la manière la plus fantastique, et pour le moment, étaient groupés sous les arbres de Mazaro.

Nous leur expliquâmes que nous étions Anglais. Sur ce, quelques-uns vinrent à bord en criant à leurs camarades de déposer les armes. Débarqués parmi eux nous vîmes sur la poitrine d'un grand nombre l'empreinte du fer qui les avait marqués comme esclaves. Ils connaissaient l'opinion du peuple anglais relativement à l'esclavage, et approuvèrent chaudement le but de notre expédition. Des cris joyeux, bien différents des questions soupçonneuses qu'on nous avait adressées d'abord, saluèrent notre départ ; et désormais nous fûmes tenus pour amis dans les deux camps.

Janvier 1862. On nous dit au village de Mboma, que l'affreux Mariano, ce voleur, ce rebelle, cet assassin, était revenu de Mozambique; qu'il avait repris son ancien métier de chasseur d'hommes, et qu'il était alors chez les Manganjas, où il faisait des captifs qu'il envoyait à Quilimané. Il avait déjà désolé une partie de la rive droite, et les gens de Mboma, s'attendant à la visite de ce rapace, vivaient dans des transes continuelles.

On n'a pas oublié que ce rebelle avait été envoyé à Mozambique pour y être jugé. Il paraît qu'il s'était vu condamner à trois ans de prison, et qu'on lui avait imposé une amende dont nous ignorons le chiffre. La sentence était douce à l'égard d'un homme qui avait été trouvé en révolte ouverte contre le gouvernement, et dont personne n'ignorait les meurtres et les rapines. Toujours est-il que n'ayant par sur lui de quoi payer son amende, le rebelle avait obtenu la permission d'aller à Quilimané toucher certaines créances. Arrivé dans cette ville, notre homme ne rencontra pas ses débiteurs, qui avaient quitté la côte; mais il y trouva des créanciers qui adressèrent une pétition au gouvernement, pour qu'il fût permis au dit Mariano de se rendre dans l'intérieur, afin qu'il se procurât l'ivoire nécessaire pour payer son amende et ses dettes.

La permission fut accordée, et Mariano partit avec plusieurs centaines de mousquets et une charge énorme de munitions. Au lieu de recueillir de l'ivoire, il est allé rejoindre ses bandes, leur a donné des armes, a repris avec elles ses< tueries et ses rapts, et il brave de nouveau les autorités portugaises.

Le gouverneur de Quilimané lui a déclaré la guerre ; il a envoyé contre lui tout ce qu'il avait de soldats et d'esclaves. Une flottille de bateaux et de pirogues a remonté le Chiré pour aller prendre le rebelle; mais elle ne l'a pas trouvé et a redescendu la rivière.

Pour que Mariano ait pu sortir, avec des centaines de mousquets, d'un village où tout le monde connaît les affaires des autres, il a fallu que cela convînt au gouverneur. Le jugement est peu charitable; mais il nous paraît impossible qu'il n'en soit pas ainsi. Il est vrai qu'on a poursuivi le rebelle; mais comme un enfant avec lequel on joue, et naturellement on ne l'a pas attrapé.

A cette époque (1862), tous les gens de Têté, à commencer par le gouverneur, faisaient la traite sur une grande échelle. Leur commerce suivait deux routes opposées : une partie de leurs esclaves remontaient le Zambèze; nous en avons rencontré plus d'une fois que l'on expédiait dans l'intérieur, où les jeunes femmes étaient troquées pour de l'ivoire. D'un mérite ordinaire, elles se vendaient deux arrobas, qui font soixante-quatre livres ; une beauté se payait le double.

On gardait les hommes pour rapporter les dents d'éléphant; ou bien on les plaçait dans les fermes situées au bord du Zambèze, où ils attendaient l'arrivée d'un négrier. Quand approchait le moment où celui-ci devait venir, les esclaves étaient enchaînés, placés dans des canots, et envoyés à la côte.

Cela se faisait ouvertement, surtout depuis que le système français de l'émigration libre était en pleine activité. Ce double courant d'affaires donnait plus de bénéfices que l'exportation pure et simple. Nous avons vu un marchand de Têté expédier trois cents femmes manganjas dans l'intérieur; un autre en envoya cent cinquante; et tous deux recueillirent en échange une énorme quantité d'ivoire.

Le genre de traite qui approvisionnait d'ouvriers l'île de la Réunion s'exerçait encore plus effrontément que les razzias du Chiré. Ayant appris qu'une femme, perdue de réputation, conduisait à la côte une cargaison d'esclaves, le commandant de Têté la fit poursuivre, mais simplement pour la forme; l'officier chargé de courir après cette femme la rejoignit et revint sans elle.

Nous avons parlé de cette affaire au commandant qui nous a répondu d'un air de triomphe : « Les Anglais n'ont plus rien à dire; nous sommes couverts par le pavillon français,>> et ce pavillon a protégé la traite jusqu'en mai 1864.

De tous les actes bienfaisants du règne de Napoléon III, il n'en est pas qui lui fasse plus d'honneur que celui qui a mis un terme à cet odieux commerce. Il avait bien fait tout ce qui dépendait de lui pour régulariser l'exportation des travailleurs africains, en nommant des fonctionnaires chargés de prévenir les abus qui pourraient s'y glisser; mais en dépit de toutes les mesures préventives, le système des engagés n'était ni plus ni moins que la traite de l'homme avec toutes ses horreurs. Tant que la lumière n'aura pas été répandue parmi ces populations, toute entreprise de ce genre ne sera jamais qu'une prime offerte au commerce d'esclaves.

Livingstone délivre 134 esclaves. Mars 1868. «Mbamé nous dit qu'une chaîne d'esclaves allait traverser le village pour se rendre à Têté. Devions-nous intervenir ? Telle était la question que nous nous posions réciproquement. Tous nos bagages personnels, ayant quelque valeur, se trouvaient entre les mains des habitants de Têté. Si nous délivrions les esclaves, il était possible qu'en revanche on s'emparât de notre avoir, et même des objets qui nous avaient été confiés pour les besoins de l'expédition. Mais ces faiseurs d'esclaves, pénétrant grâce à nous dans un lieu où jusqu'alors ils n'osaient pas s'aventurer; ces chasseurs d'hommes, fomentant la guerre civile pour se procurer des captifs, et se disant nos enfants pour mieux atteindre leur but, s'opposaient tellement à la mission dont nous étions chargés, mission qu'avait approuvée le gouvernement portugais, que nous ne pouvions pas nous

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