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PORTRAITS.

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Le Joueur.

EH bien! madame, soit; contentez votre ardeur,
J'y consens: Acceptez pour époux un Joueur,
Qui, pour porter au jeu soǹ tribut volontaire,
Vous laissera manquer même du nécessaire ;
Toujours triste ou fougueux, pestant contre le jeu,
Ou d'avoir perdu trop, ou bien gagné trop peu.
Quel charme qu'un époux qui, flattant sa manie,
Fait vingt mauvais marchés tous les jours de sa vie;
Prend pour argent comptant, d'un usurier fripon,
Des singes, des pavés, un chantier, du charbon;
Qu'on voit à chaque instant prêt à faire querelle
Aux bijoux de sa femme, ou bien à sa vaisselle;
Qui va, revient, retourne, et s'use à voyager
Chez l'usurier, bien plus qu'à donner à manger;
Quand, après quelque temps, d'intérêt surchargée,
Il la laisse où d'abord elle fut engagée

Et prend, pour remplacer ses meubles écartés,
Des diamans du Temple, et des plats argentés;
Tant que, dans sa fureur n'ayant plus rien à vendre,
Empruntaut tous les jours, et ne pouvant plus rendre,
Sa femme signe enfin, et voit en moins d'un an
Ses terres en décret, et son lit à l'encan!

Regnard. le Joueur, act. IV, sc. I.

Le Métromane.

CE mélange de gloire et de gain m'importune;
On doit tout à l'honneur, et rien à la fortude.
Le nourrison du Pinde, ainsi que le guerrier,
A tout l'or du Pérou préfère un beau laurier.
L'avocat se peut-il égaler au poète ?

De ce dernier la gloire est durable et complète.
Il vit long-temps après que l'autre a disparu :
Scarron même l'emporte aujourd'hui sur Patru.
Vous parlez du barreau de la Grèce et de Rome,

Lieux propres autrefois à produire un grand homme ;

L'antre de la chicane, et sa barbare voix,

N'y défiguraient pas l'éloquence et les lois.

Que des traces du inoustre on purge la tribune,

J'y monte; et mes talens voués à la fortune,
Jusqu'à la prose encor voudront bien déroger;
Mais l'abus ne pouvant sitôt se corriger,

Qu'on me laisse à mon gré, n'aspirant qu'à la gloire,
Des titres du Parnasse anoblir nia mémoire,
Et primer dans un art plus au-dessus du droit,
Plus grave, plus sensé, plus noble qu'on ne croit.
La fraude impiément, dans le siècle où nous sommes,
Foule aux pieds l'équité, si précieuse aux hommes :
Est-il, pour un esprit solide et généreux,

Une cause plus belle à plaider devant eux ?
Que la fortune donc me soit mère ou marâtre,
C'en est fait, pour barreau, je choisis le théâtre,
Pour client, la vertu, pour loi la vérité,
Et pour juges mon siècle et la postérité.

Piron. la Métromanie, act. III, sc. VII.

Le vrai Philosophe.

LE philosophe est sobre en ses discours,

Et croit que les meilleurs sont toujours les plus courts ;
Que de la vérité l'on atteint l'excellence

Par la réflexion et le profond silence.

Le but d'un philosophe est de si bien agir,

Que de ses actions il n'ait point à rougir.

Il ne tend qu'à pouvoir se maîtriser soi-même ;
C'est là qu'il met sa gloire et son bonheur suprêmė.
Sans vouloir imposer par ses opinions,

Il ne parle jamais que par ses actions.

Loin qu'en systèmes vains son esprit s'alambique,
Etre vrai, juste, bon, c'est son système unique.
Humble dans le bonheur, grand dans l'adversité,
Dans la seule vertu trouvant la volupté,
Faisant d'un doux loisir ses plus chères délices,
Plaignant les vicieux, et détestant les vices :
Voilà le philosopbe; et, s'il n'est ainsi fait,
Il usurpe un beau titre, et n'en a pas l'effet.

Déstouches.

L'Inconstant.

M'ALLEZ-vous quereller pour un peu d'inconstance ?
A tout le genre humain dites-en done autant.

A le bien prendre, enfin, toût homme est inconstant,
Un peu plus, uc peu moins, et j'en sais bien la cause :
C'est que l'esprit humain tient à si peu de chose ;
Un rien le fait tourner d'un et d'autre côté.
On veut fixer en vaiu cette mobilité :

Vains efforts! il échappe, il faut qu'il se promène :
Ce défaut est celui de la nature humaine.

La constance n'est point la vertu d'un mortel;
Et, pour être constant, il faut être éternel,

D'ailleurs, quand on y songe, il serait bien étrange
Qu'il fût seul immobile: autour de lui tout change;
La terre se dépouille, et bientôt reverdit;

La lune tous les mois s'aceroît et s'arrondit.
Que dis-je ? en moins d'un jour, tour à tour on essuie
Et le froid et le chaud, et le vent et la pluie.

Tout passe, tout finit, tout s'efface; en un mot,
Tout change changeons donc, puisque c'est notre lot.
Collin-d'Harleville. l'Inconstant, act. II. sc. IX.

Le Disputeur.

AURIEZ-VOUS, par hasard, connu feu M. d'Aube,
Qu'une ardeur de dispute éveillait avant l'aube ?
Contiez-vous un combat de votre régiment,

Il savait mieux que vous où, contre qui, comment.
Vous seul en auriez eu toute la renommée,
N'importe, il vous citait ses lettres de l'armée ;
Et, Richelieu présent, il aurait raconté
Ou Gênes défendue, ou Mahon emporté.
D'ailleurs homme de sens, d'esprit et de mérite;
Mais sou meilleur ami redoutait sa visite.
L'un, bientôt rebuté d'une vaine clameur,
Gardait, en l'écoutant, un silence d'humeur.
J'en ai vu, dans le feu d'une dispute aigrie,
Près de l'injurier, le quitter de furie ;
Et, rejetant la porte à son double battant,
Ouvrir à leur colère un champ libre en sortant.
Ses neveux, qu'à sa suite attachait l'espérance,
Avaient vu dérouter toute leur complaisance.
Un voisin asthmatique, en l'embrassant un soir,
Lui dit: Mon médecin me défend de vous voir.”
Et, parmi cent vertus, cette unique faiblesse
Dans un triste abandon réduisit sa vieillesse.
Au sortir d'un sermon la fièvre le saisit,
Las d'avoir écouté sans avoir contredit.
Et, tout près d'expirer, gardant son caractère,
Il faisait disputer le prêtre et le notaire.
Que la bonté divine, arbitre de son sort,
Lui donne le repos que nous rendit sa mort,
Si du moins il s'est tu devant ce grand arbitre !

Rulhière. les Disputes.

Les Mours de Sybaris.

QUELLE cité ses goûts sont des besoins pour elle; A qui peut en trouver d'une espèce nouvelle,

Des trésors de l'Etat on y donne des prix.

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Ces lâches habitans ont banni de leur ville

Tous les arts, dont le bruit trouble un sommeil tranquille ;
Ils pleurent des bouffons quand ils les ont perdus,
Et laissent dans l'oubli le héros qui n'est plus.
Ils prodiguent sans fruit l'éternelle richesse
Qu'entretient dans leurs murs un terroir opulent ;
Et les faveurs des Dieux sur ce peuple indolent,
Ne servent qu'à nourrir le luxe et la mollesse.

Les hommes sont si doux, parés avec tant d'art,
Occupés si long-temps à consulter leurs glaces,
A corriger un geste, un sourire, un regard,
A moduler leurs voix, à composer leurs graces,
Qu'ils ne paraissent point foriner un sexe à part.

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Dans une gaîté fausse ils s'occupent de vivre.
Usés par l'inconstance, ils se lassent de tout ;
Ils laissent un plaisir qui cause leur dégoût,
Pour s'ennuyer encor du plaisir qui va suivre.
L'âme froide au bonheur est de feu pour les maux ;
La plus légère peine et l'éveille et l'agite :
Une rose pliée au lit d'un Sybarite,
Pendant toute une nuit le priva du repos.

Le poids de leur parure accable leur paresse ;
Le mouvement d'un char les fait évanouir:
Leur cœur est si flétri qu'il ne peut plus jouir,
Et que dans les festins il leur manque sans cesse.

Sur des lits de duvet qu'ils couronnent de fleurs,
Ils passent une vie uniforme et tranquille :
Leur corps, pendant le jour, y demeure immobile;
Ils sont exténués, s'ils vont languir ailleurs.
Enfin le Sybarite, esclave et fait pour l'être,
Fatigué d'une armure, effrayé du danger,
Tremblant dans son pays et devant l'étranger,
Comme un troupeau servile, attend le premier maître.

Léonard. trad. du Temple de Gnide.

NARRATIONS.

Le Passage du Rhin.

Au pied du mont Adulle, entre mille roseaux, Le Rhin tranquille et fier du progrès de ses eaux, Appuyé d'une main sur son urne penchante, Dormait au bruit flatteur de son onde naissante, Lorsqu'un cri tout à coup suivi de mille cris, Vient d'un calme si doux retirer ses esprits ; Il se trouble, il regarde ; et partout, sur ses rives, Il voit fuir à grands pas ses Naïades craintives, Qui toutes accourant vers leur humide Roi Par un récit affreux redoublent son effroi. Il apprend qu'un Héros, conduit par la victoire, A de ses bords fameux flétri l'antique gloire ; Que Rhimberg et Vesél, terrassés en deux jours, D'un joug déjà prochain menacent tout son cours. "Nous l'avons vu, dit l'une, affronter la tempête, "De cent foudres d'airain tournés contre sa tête: "Il marche vers Tholus, et les flots en courroux, "Au prix de sa fureur, sont tranquilles et doux : "Il a de Jupiter la taille et le visage;

"Et depuis ce Romain dont l'insolent passage "Sur un pont, en deux jours, trompa tous tes efforts, "Jamais rien de si grand n'a paru sur tes bords."

Le Rhin tremble et frémit à ces tristes nouvelles ; Le feu sort à travers ses humides prunelles.

"C'est donc trop peu, dit-il, que l'Escaut en deux mois
"Ait appris à couler sous de nouvelles lois ;
"Et de mille remparts mon onde environnée,
"De ces fleuves sans nom suivra la destinée !
"Ah! périssent mes eaux ! on par d'illustres conps,
"Montrons qui doit céder des mortels ou de nous.'
A ces mots essuyant sa barbe limoneuse,

Il prend d'un vieux guerrier la figure poudreuse.
Son front cicatrisé rend son air furieux.
Et l'ardeur du combat étincelle en ses yeux.
En ce moment il part, et, couvert d'une nue,
Du fameux fort de Skink prend la route connue.
Là, contemplant son cours, il voit de toutes parts
Ses pâles défenseurs par la frayeur épars.
Il voit cent bataillons, qui, loin de se défendre,
Attendent sur des murs l'ennemi pour se rendre.

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