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nant en ce moment sur la terrasse accompagné par M. Odilon Barrot, et entendant les nombreux vivats qui saluaient le préfet de la Seine évidemment flatté de la popularité dont son nom et son autorité semblaient entourés, lui dit en souriant :

« Autrefois et à cette même place j'ai aussi entendu crier Vive Pétion! » Le roi affectionnait ce retour vers le passé, ces comparaisons des hommes et des choses de la révolution de Juillet avec les hommes et les choses de sa jeunesse. Quelques années plus tard il disait aussi, en parlant d'un de ses ministres, de M. Passy : « Passy, c'est Roland sans sa femme. >>

L'émeute s'était dispersée, évanouie, en présence de la force organisée, comme cela arrivera toujours lorsque cette force sera suffisante et énergiquement commandée. Ce n'était qu'un coup d'essai, du reste, et tout le monde le comprenait. Mais le préfet de la Seine et le préfet de police avaient-ils fait leur devoir, tout leur devoir, dans cette circonstance? S'étaient-ils suffisamment renseignés sur l'importance des rassemblements, sur les tendances véritables de la foule? Avaient-ils su prendre les mesures nécessitées par la gravité de cet incident? Il était permis de le contester. Le préfet de police, M. Girod (de l'Ain), s'était empressé de faire afficher une insignifiante proclamation, et là s'était bornée son action sur les masses;

tandis que, de son côté, le préfet de la Seine s'adressait au peuple parisien en termes étrangement significatifs : «Vos magistrats, disait-il, sont profondément affligés des désordres qui viennent troubler la tranquillité publique au moment où le commerce et l'industrie, qui ont tant besoin de sécurité, allaient sortir de cette crise déjà trop prolongée. Ce n'est pas vengeance que demande ce peuple de Paris qui est toujours le peuple des trois grands jours, le peuple le plus brave et le plus généreux de la terre, mais justice...... Une démarche inopportune a pu faire supposer qu'il y avait concert pour interrompre le cours ordinaire de la justice à l'égard des anciens ministres... De là cette émotion populaire qui, pour les hommes de bonne foi, les bons citoyens, n'a d'autres causes qu'un véritable malentendu. Je vous le déclare en toute assurance, mes concitoyens, le cours de la justice n'a été ni suspendu, ni interrompu, et il ne le sera pas !... »

Ainsi le préfet de la Seine, donnant, le premier, l'exemple d'une déplorable anarchie dans les pouvoirs, ne craignait pas de blåmer publiquement un acte de la Chambre des députés, résultat du vote régulier d'une majorité considérable, et, avec l'unique désir de prendre une attitude particulière, de dessiner, pour ainsi dire, son individualité politique, s'adressait au peuple dans un

langage presque aussi révolutionnaire que celui de l'émeute.

Ce début administratif de M. Odilon Barrot produisit sur les classes bourgeoises une impression des plus pénibles sans satisfaire la multitude. Il était dans la destinée de M. Barrot d'obtenir toujours ce résultat négatif lorsqu'il serait au pouvoir; mais, en revanche, placé dans les rangs de l'opposition, de frapper les coups les plus terribles et les plus sûrs. On ne saurait trop le redire : l'instinct de l'autorité et l'instinct de la discussion se détruisent mutuellement chez l'homme. On naît monarchiste ou républicain, conservateur ou révolutionnaire, et ces tendances premières ne font que se développer durant tout le cours de la vie. La destinée politique de M. Barrot a été singulière : âme loyale, cœur excellent, doué d'un talent de parole bien précieux dans les époques parlementaires qu'il lui a été donné de traverser, il n'a su que renverser, détruire, faire involontairement couler le sang et les larmes, pousser les gouvernements dans l'abîme, et, tout dévoué à son pays, à ses intérêts, à sa gloire, que contribuer largement, pour sa part, à mettre la France à deux doigts de sa ruine. Assurément il n'est pas le seul coupable, et bien d'autres noms viendront se grouper autour du sien dans la suite de ce récit. Mais il est un des plus coupables parmi ceux-là, à cause des talents

exceptionnels que la Providence lui avait départis, et elle semble avoir voulu montrer en sa personne comment un honnête homme peut causer à sa patrie autant de maux que le plus acharné et le plus redoutable ennemi de la société.

Louis-Philippe possédait un esprit trop gouvernemental pour n'être pas péniblement frappé des termes de cette proclamation de M. Odilon Barrot. Il parla du remplacement de ce dangereux fonctionnaire; mais le général Lafayette et M. Dupont (de l'Eure) soutinrent avec tant de vivacité le préfet de la Seine, que leur mutuelle démission semblait être au bout de leurs discours. M. Laffitte lui-même, quoique avec moins de chaleur, paraissait également disposé à défendre M. Barrot. Ami et confident du roi, le général Sébastiani voulut s'entremettre et proposa d'amener le préfet de la Seine à se retirer spontanément, de sa volonté personnelle; tentative avortée, qui ne produisit que de violents orages au sein du conseil. La portion modérée du ministère, c'est-à-dire MM. Casimir Périer, Guizot, Molé, de Broglie, Dupin et Bignon, par un sentiment de convenance et de dignité bien facile à comprendre, résolurent alors de s'éloigner du pouvoir et de remettre leurs portefeuilles entre les mains du roi. Vainement Louis-Philippe, qui voyait venir avec crainte le moment du procès des ex-ministres et aurait désiré conserver son cabinet

intact, au moins jusqu'à cette époque redoutée, fit-il individuellement les plus grands efforts pour ramener les hommes et détruire les dissidences; ses efforts furent impuissants. L'homogénéité dans le conseil, quelle que fût sa nuance politique, devenait du reste une impérieuse nécessité en présence des manœuvres des factions, et le calcul du roi n'aurait été juste qu'autant qu'un ministère de coalition eût vraiment présenté à ses adversaires un personnel franchement coalisé pour les combattre. Tout ce qui est divisé doit nécessairement périr.

Après bien des difficultés et des refus, M. Laffitte parvint, le 2 novembre 1830, à former une combinaison dans laquelle il devenait président du conseil et avait le portefeuille des finances; le maréchal Gérard, le département de la guerre; le maréchal Maison, les affaires étrangères; M. de Montalivet, l'intérieur; Dupont (de l'Eure), la justice; le général Sébastiani, la marine; et M. Mérilhou, l'instruction publique. Peu de jours après, le 17 novembre, un remaniement important devait modifier cette combinaison ministérielle : le maréchal Soult remplaçait le comte Gérard au ministère de la guerre; le général Sébastiani devenait ministre des affaires étrangères, et le comte d'Argout remplaçait ce dernier à la marine.

Cependant, la Chambre des députés qui, comme

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