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lui recommandant bien de ne pas prendre trop chaud et d'éviter les serpents, les scorpions et autres mauvaises bêtes très méchantes pour les petits enfants.

Voilà nos trois amis partis dans la campagne et se réjouissant d'avance de la bonne matinée qu'ils allaient passer. Non loin de Nazareth, il y avait un grand champ couvert de verdure et parsemé, çà et là, de petites buttes de terre crayeuse, qui éclataient, au soleil, en blancheurs vibrantes, d'autant plus blanches que les pluies des jours précédents et l'abondante rosée du matin avaient donné des tons de vert foncé aux herbes d'alentour.

Ces belles couleurs opposées attirèrent l'œil des trois petits Nazaréens et, d'un commun accord, ils choisirent de suite leur jeu : Ce serait de faire de petits oiseaux avec cette belle pâte blanche et de les disséminer dans la verdure; c'est cela qui ferait un joli effet!

Et le travail commença et ils se donnèrent tant de mal, s'escrimèrent si vaillamment, qu'avant qu'eût sonné l'heure du retour à la maison, près de mille petits oiseaux, d'une candeur de neige, émaillaient le fond d'émeraude du champ. On eût dit qu'un vol de petites colombes, venant des profondeurs du ciel, était venu se reposer sur ce tapis vert si doux.

Les enfants étaient ravis et contemplaient leur travail avec une légitime fierté.

Tout à coup, le petit Jean tressaillit et montra l'horizon d'un doigt craintif... Qui venait-là, Seigneur ! C'était bien la tante Pharisée, dont on apercevait dans le lointain la silhouette longue et maigre!

Vous avez tous connu, bonnes gens, la tante Pharisée; ou plutôt non, vous n'avez pas connu celle-là, car, heureusement pour vous, vous n'étiez pas encore nés; mais, vous avez certainement connu une de ses descendantes, - en ligne collatérale, s'entend, -car la chère tante est restée fille.

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Sachez donc que la tante Pharisée, qui n'avait ni neveux ni nièces, - était une des personnes les plus considérables de Nazareth: elle n'avait jamais rien fait personnellement, mais elle s'était toujours énormément occupée de ce que faisaient les autres.

Ses principales fonctions étaient de faire profession de vertu, de censurer aigrement les jeunes femmes, et de dire volontiers du mal des jeunes filles et de ne s'occuper des enfants que pour leur faire avaler des médicaments amers et les menacer de les fouetter.

Vous connaissez maintenant la bonne dame et vous savez que, même aujourd'hui, il n'est pas besoin d'aller jusqu'en Palestine pour trouver sa pareille.

Elle avançait donc, en quête de reproches à faire et de sages conseils à donner, lorsque, voyant le désordre que nos trois innocents avaient mis dans la plaine, elle les héla incontinent et leur demanda des explications. Les trois chérubins avouèrent ingénument que c'étaient eux qui avaient confectionné tous ces oiselets blancs, ne croyant pas mal faire... Elle devint toute rouge de colère :

<< N'avez-vous pas de honte, méchants vauriens, s'exclama-t-elle, de travailler ainsi le jour du Sabbat. Non seulement, vous allez cesser cette besogne sacrilège, mais encore vous allez détruire ce que vous avez fait, afin de ne point offenser le Seigneur. »

Et, joignant l'acte à la parole, elle écrasa sous sa sandale trois ou quatre petits oiseaux qui s'effritèrent misérablement.

Jacques n'était pas content, mais n'osait rien dire; le petit Jean pleurait toutes les larmes de son corps; seul, le petit Jésus restait insensible... Tout d'un coup, il se retourna et enveloppant d'un long regard le champ et les petites mottes de craie, il les bénit.....

Et alors, à la profonde stupéfaction de tante Pharisée,

on serait ahuri à moins, tous les petits oiseaux blancs s'animèrent et prirent leur vol dans l'espace. On eût dit des flocons de neige qui remontaient. au ciel.

Cependant, une centaine de petites bestioles vinrent se poser sur les oliviers autour de la vieille dame et d'une voix grêle et un peu stridente, ils lui chantaient en la narguant:

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Voyant et entendant cela, outrée, confuse, et comprenant qu'elle avait trouvé son maître dans ce tout petit enfant, la mauvaise tante

(1) Les vers espagnols donnent bien une harmonie imititative du chant de

l'hirondelle.

Pharisée se boucha les oreilles, ne demanda point son reste et s'enfuit comme si le diable l'emportait.

Vingt-cinq ans plus tard, en un autre jour de printemps, aux environs de Jérusalem, le Fils de l'Homme montait la voie douloureuse qui finit au Golgotha. Qui aurait reconnu le petit garçon de Nazareth dans ce juste gravissant son Calvaire, chargé de tous les péchés du monde? Its n'étaient plus là, Jacques ni Jean, les aimés d'autrefois, et de durs soldats romains et d'affreux juifs hurlant les remplaçaient. La croix pesait lourde aux épaules saignantes, et comme elle était longue et apre la route du suprême sacrifice!...

Puis, se passa ce que les générations se racontent l'une à l'autre, de siècle en siècle, depuis dix-neuf cents ans: Celui qui était venu sauver · les hommes et leur apporter son cœur et son sang fut mis en croix, le front ceint de la couronne d'épines...

Et voici que l'on vit accourir, des quatre coins du ciel, de petits oiseaux blancs à l'aile rapide et au cri strident. Ils entouraient la tête du moribond d'une auréole d'argent, et, se posant sur son front, ils essayaient, de leur bec frèle, d'arracher les épines qui l'ensanglantaient. Mais de quel secours, malgré tout leur zèle, peuvent être de si frèles auxiliaires?

Bientôt, tout fut fini, la parole suprême : « Consommatum est » fut prononcée, et l'univers tout entier frémit devant la mort du Sauveur. Le soleil s'obscurcit. la terre trembla, et, au milieu de ce cataclysme, les pauvres hirondelles furent balayées comme des feuilles mortes par le vent d'hiver.

Elles s'enfuirent éperdues et allèrent retrouver leurs compagnes. Mais, depuis cette heure néfaste, elles prirent un deuil qu'elles n'ont jamais quitté depuis, et couvrirent d'un manteau noir leurs ailes rapides.

Et c'est depuis ce jour, mes amis, que les petites hirondelles, jusqu'alors immaculées, ont la poitrine blanche et les ailes noires.

ROGER DE BOUTÈYRE.

Murcie, 14 avril 1900.

NIVERNOIS

DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE (Suite)

Il se consacra alors plus entièrement aux lettres. Intelligence en éveil, ouverte aux grandes idées, Nivernois s'occupa tour à tour d'histoire, de philosophie et de littérature. Ne vivait-il pas au siècle des encyclopédistes?

Dans l'étude des faits, il apporte toujours un libre examen qui satisfait à l'idée de justice inhérente à la nature humaine non doctrinaire ni prévenue.

Le diplomate se retrouve dans ses deux études de politique élrangère sur la négociation de Loménie en Angleterre, en 1595, et sur celle du président Jeannin en Hollande, pour la trève de 1609.

Dans la négociation de Loménie, le rôle des protestants revêt le même caractère que de notre temps. Ils s'y montrent tels que nous les retrouvons dans cette entreprise en faveur d'un traître, ou ennemis de l'autorité, non dans un réel esprit d'indépendance, car à l'ordinaire ils sont autoritaires sous le masque de la liberté, mais parce que, dans l'affaire, cette autorité est en opposition à leur intolérance doctrinaire et aussi à leurs intérêts, nous les voyons, pour y satisfaire, s'allier avec l'étranger, les prévaricateurs et les anarchistes.

« Les protestants, dit Nivernois, qui savaient que tant que l'Espagne serait en passe de traiter avec la supériorité, Henri IV ne traiterait point, favorisaient par de coupables artifices les ennemis du royaume et tâchaient de rendre nuisible à leur roi sa propre générosité, qu'ils auraient dû adorer et seconder de tout leur pouvoir. Heureusement, cette même grandeur d'âme à la faveur de laquelle ils avaient dressé leurs batteries était aussi l'écueil où leur ambition devait se briser. >>

De l'historien, il faut citer deux études historiques : l'une sur la politique de Clovis, l'autre sur l'indépendance des premiers rois de France par rapport à l'Empire, où, dit François de Neufchâteau, «il se montre érudit et méthodique ».

Au point de vue philosophique, ses dialogues entre anciens et modernes sont des morceaux où il excelle par l'observation et l'étude des caractères. Cicéron et Fontenelle, Alcibiade et le duc de Guise se présentent à nous dans la vérité de leurs rôles. Pline le jeune et Mme de Sévigné dissèquent leurs lettres, et Pline résume ainsi leur

genre « Je m'aperçois que vous avez pour le moins autant de vanité que moi, dit-il à Mme de Sévigné, et je dois vous dire que ce défaut est encore plus sensible et plus importun dans vos lettres que dans les miennes. Ma vanité n'a gâté que mon style; la vôtre a influé sur le fond. Une égratignure de votre fils à je ne sais plus quel siège, sa compagnie, son régiment, son équipage, le cordon bleu de votre gendre, que sais-je ? cent autres misères de cette espèce deviennent å vos yeux des objets capitaux et demeurent fort petits pour le lecteur, qui ne les voit pas avec le microscope de la vanité. Vous souvenezvous de cette lettre où votre roi vous paraît si aimable, si spirituel, si grand roi, parce qu'il vous a prise å danser? En vérité, cela peut-il se soutenir? Je ne vous en dirai pas davantage, car je vois que cela vous afflige. Est-ce donc un si grand malheur que d'être vu tel qu'on est? Pour moi, je passe de bon cœur condamnation sur mes défauts. Mon style est recherché, je veux mettre de l'esprit partout, je prends quelquefois de l'antithèse pour de l'esprit, je ne dis pas toujours bien ce que je veux dire à force de le vouloir dire mieux qu'un autre ne le dirait mais mes lettres respirent partout l'amour de la vertu, de la justice et de la bonne gloire. On peut se gâter le style en les lisant, mais on doit s'y former l'esprit et le cœur ».

Cela n'est-il pas d'une jolie tournure et d'une ironie fine? La marquise qui, au cours du dialogue, avait dit son fait à Pline le jeune, termine ainsi l'entretien : « J'ai eu le temps de me remettre pendant votre péroraison, qui m'a fait souvenir d'avoir lu, dans une de vos lettres, qu'un jour vous avez parlé au barreau sept heures de suite. Je suis bien sotte d'avoir été embarrassée de m'entendre dire la vérité. Eh bien! je l'avoue, vous m'avez fort bien démêlée; je n'aurais pas dù en rougir. Mais j'ai oublié que j'étais morte; je me suis seulement souvenue que j'étais femme ».

Le milieu, une ascendance aux alliances avec des familles de race française, né en France d'un père qui y avait aussi vu le jour, tout cela fait de Nivernois un Français d'âme, de cœur et de sang. Nous le verrons, d'autre part, s'identifier avec ceux du vieux terroir gaulois. Cependant, le nom patronymique, Mancini-Mazarini est là qui rappelle l'origine des ancêtres, et s'il a à parler du plus illustre de tous, de Mazarin, il montrera certainement un penchant pour le souple ministre de Louis XIV. Dans le dialogue entre celui-ci et Périclès, il

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