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drapeau! Je savais bien que le Figaro et l'ancien Univers religieux n'étaient pas aussi loin l'un de l'autre et échangeaient volontiers leur plume; pourtant est-ce bien de la même main que M. Aurélien Scholl écrit ces belles décla mations édifiantes et les anecdotes scabreuses de son ré pertoire ordinaire?

Du reste, les Bivouacs de Vera-Cruz à Mexico, que le nom de M. Aurélien Scholl patronne ou compromet, suivant la catégorie des lecteurs, n'avaient pas besoin d'être annoncés avec ce renfort de patriotisme et d'enthousiasme religieux. C'est une narration intéressante et peu prétentieuse des progrès faits au jour le jour par nos soldats au Mexique, depuis leur débarquement à Vera-Cruz jusqu'à leur entrée triomphale dans la capitale de cet empire. Les faits y sont exposés avec la clarté et la simplicité habituelles à ceux qui ont vu de leurs yeux les événements qu'ils rapportent, et le livre, instructif, attachant, fait honneur à l'auteur anonyme qui l'a composé. Il vaut mieux que sa préface pompeuse. Mais celle-ci nous a paru un curieux témoignage des accès de grand style qui saisissent, sans qu'on sache pourquoi, les amuseurs ordinaires du petit journalisme et de la plus légère des littératures.

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Déchéance du journalisme politique et littéraire contemporain. L'annonce. Plaintes et preuves. MM. Arn. Frémy et de Villemessant.

Le journalisme, organe essentiel de la politique et de la littérature contemporaine, peut être attaqué par des plaies qui en paralysent l'action, si elles n'en compromettent l'existence. Les lois restrictives de la presse ont gêné ses mouvements et souvent imposé silence à sa voix; puis la pusillanimité de l'opinion et l'hypocrisie de nos mœurs publiques lui ont fait presque une nécessité du mensonge. Un

de

mal plus grave a achevé de tuer le journal, c'est l'envahissement de l'annonce. La tribune d'une opinion est devenue un intrument industriel de publicité. Le commerce n'a point de couleur politique, la marchandise ne se soucie pas du pavillon qui l'abrite; la réclame se pavane aux lieux où elle est le plus en vue; l'affiche s'appose indifféremment au porche de l'église, aux galeries d'un théâtre, dans tous les endroits publics ou retirés où la police la tolère. Le journal ne vit plus aujourd'hui que d'annonces, ou plutôt il en

meurt.

M. Émile de Girardin avait-il cru accomplir une révolution salutaire dans le journalisme, quand il créait la Presse à quarante francs, à côté des autres journaux quotidiens d'un prix d'abonnement deux et trois fois plus élevé? Le génie de l'industrialisme lui avait révélé qu'on peut vendre pour cinq ou dix centimes une denrée politique qui en coûte dix ou quinze. La différence du prix de vente au prix de revient devait être payée par les annonces qui bientôt comblaient et au delà le déficit. La quatrième page du journal qui leur était consacrée put s'affermer trois cent mille francs. Les anciennes feuilles politiques furent obligées, sous peine de ruine, d'entrer dans la même voie. Une question d'opinion ne pouvait tenir contre le bon marché. Pour conserver leurs lecteurs, les Débats, la Quotidienne, les journaux les plus austères ou les plus dédaigneux durent descendre au tarif démocratique et chercher à leur tour dans l'exploitation de leur publicité une compensation à l'abaissement de leurs prix. Bientôt l'annonce et la prose payée à titre de réclame reflua sur la troisième et la deuxième page; elles ne respectèrent même pas toujours le frontispice où le premier-Paris et quelques articles. de fond se défendirent à peine contre les empiétements de l'office de publicité.

Si la politique a reculé devant l'industrie, dans le grand journal quotidien, la littérature a été plus complétement

sacrifiée encore. La critique littéraire, bannie faute d'espace, a été remplacée par la réclame à tant la ligne, ou par les entre-filets complaisants de la camaraderie.

Cette situation d'une presse sans autorité et sans gloire, ne peut plus empirer, si nous en croyons le témoignage d'un vétéran, de M. Arnould Frémy, qui la dévoile d'une main impitoyable dans un volume intitulé la Révolution du journalisme. C'est le livre d'un homme de courage autant que de talent, et qui n'a pas les opinions prudentes et sages de Fontenelle. La main pleine de vérités, il se garde de la fermer; il l'ouvre toute grande et en laisse tomber les révélations les plus désagréables pour l'institution encore redoutée du journalisme et pour les hommes de tous les partis qui s'y rattachent. La question des annonces y est franchement traitée, et d'autres questions plus délicates encore. M. Arnould Frémy ne craint pas de porter le doigt sur ce qu'il appelle le despotisme de la presse; il montre comment les places sont prises, conservées et défendues. Le journal ne fait ni ne peut plus rien pour ou contre les idées, il est encore très-puissant pour ou contre les hommes. Aussi, on mendie ses faveurs, on craint ses ressentiments. Voltaire, de son temps, traitait de haut le gazetier, aujourd'hui il demanderait humblement la protection du journaliste.

Il y a dans la Révolution du journalisme, un titre de chapitre assez curieux les Journaux sans journalistes. Peutêtre serait-il plus vrai de dire qu'il y a aujourd'hui des journalistes sans journaux; car un journal devrait être une personne morale, ayant ses opinions politiques, ses tendances philosophiques ou religieuses, sa couleur littéraire, un passé et un présent en harmonie l'un avec l'autre, un groupe de rédacteurs réunis par les mêmes convictions, et des lecteurs retenus par de communes sympathies. Il n'existe plus rien de tout cela. Tous les liens du journal sont

1. Librairie centrale, in-8, 398 pages.

à peine des liens de coterie. Il n'y a plus qu'une société en commandite: la décomposition politique morale ou littéraire est consommée. La promulgation de la liberté de la presse ne changerait rien à une situation qui appelle avant tout une révolution morale.

M. Arn. Frémy rappelle à la presse les destinées meilleures pour lesquelles elle était faite. On l'a considérée longtemps comme un pouvoir dans l'État, guide et modérateur des autres pouvoirs, comme une institution, comme un sacerdoce. Il ne croit pas que ces formules soient au-dessus de son rôle et il ne craint pas de dire que la presse « est appelée, d'après toutes les probabilités, à remplacer les religions, dont l'influence pratique et sociale décroît à mesure que les temps nouveaux s'accomplissent. » Puis il ajoute :

C'est là une responsabilité qu'elle n'évitera pas et à laquelle il est indispensable qu'elle se prépare dès maintenant.

L'idée de sacerdoce que l'on rattache quelquefois à l'expression la plus relevée du journalisme, ne s'est pas introduite en vain dans l'opinion courante, quoi que puissent dire et penser à ce sujet les railleurs et les sceptiques.

Il y a là à la fois une indication et un pressentiment.

Nous n'avons pas à spécifier ici le peu de lien réel qui existe entre ce qu'on appelle l'esprit du siècle et celui des divers cultes qui se trouvent pour la plupart engagés si profondément dans les mœurs et les doctrines du passé.

Sans songer à heurter aucune conscience ni à nier les services éminents que les religions ont pu être appelées à rendre aux époques de civilisations primitives, il faut bien avouer que ce n'est pas précisément l'homme du courant actuel qui cherche la manifestation de sa conscience et de sa foi dans les anciennes pratiques religieuses....

Le vrai centre de la morale moderne, si nécessaire aux sociétés démembrées et désorientées, qui manquent non pas tant de croyances que de centres de croyances, est à organiser

tout entier.

Telles sont les considérations sérieuses, élevées, auxquelles M. Arnould Frémy rattache cette conclusion pra

tique « A l'heure où nous sommes, le journalisme est le sermon des gens qui ne vont pas à la messe.» Aussi, quelle douleur profonde il ressent de voir la presse si amoindrie, et le journaliste si oublieux de sa sublime mission!

A l'austérité des vues correspond une extrême solennité de langage. Le premier mot de l'auteur est celui-ci : « Il fallait que ce livre fût fait. »

Le ton, digne de ce début, comme nos citations l'ont fait voir, est un peu trop celui d'un prédicateur ou d'un philosophe. Et qui se soucie aujourd'hui de philosophie ou de prédication, à moins que le philosophe ne soit amusant, ou le prédicateur à la mode? M. Arnould Frémy, qui, avec un fond sérieux, s'est montré souvent homme d'esprit et a été un des principaux rédacteurs du Charivari, anrait dû écrire ce livre d'une plume plus légère. Il fallait ici l'épigramme, la satire, le pamphlet. Il fallait tourner, contre le journalisme politique, toute la petite artillerie de méchancetés que M. A. de Pontmartin avait si bien dirigée contre la critique littéraire; il fallait refaire, dans un cercle plus large, les Jeudis de madame Charbonneau. Un coup de fouet réveille la paresse, un coup de pistolet trouble la sécurité des satisfaits, mais la philosophie n'ameute personne et un sermon n'empêche pas de dormir.

Pour voir ce que le journalisme politique est devenu sous le régime du commerce de publicité que les nécessités du bon marché démocratique lui ont imposé, la prédication en quatre cents pages de M. Arn. Frémy n'est pas nécessaire. Il suffit de jeter un coup d'œil sur le premier numéro venu d'un journal prospère et de faire le total des lignes, des colonnes, des pages abandonnées moyennant tarif, à la réclame et aux annonces. Un de ces nouveaux journaux auxquels l'absence de timbre et de cautionnement permet d'éclore du jour au lendemain, l'Événement a relevé ce total et l'a publié dans les formes agressives et tapageuses qu'af

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