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LES

RÉSULTATS DE LA TRANSPORTATION

EXPÉRIENCES DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS.

I

Nous avons publié, dans le numéro du mois de juillet dernier, un article sur la criminalité en France. Nous complétons ce travail en faisant connaître l'état de nos colonies pénitencières, d'après une notice sur la transportation à la Guyane française et à la Nouvelle-Calédonie (1), publiée récemment par les soins de M. l'amiral Rigault de Genouilly, ministre de la marine et des colonies, qui a bien voulu en mettre un exemplaire à notre disposition.

De la part de l'administration supérieure, une publication de cette nature n'était pas sans difficulté, en ce sens qu'il ne fallait rien dissimuler des obstacles, des déceptions et des conséquences qu'a dû provoquer l'établissement des pénitenciers coloniaux. Le rédacteur de cette notice, qui, si nous sommes bien informés, est M. Michaud, chef de bureau à la marine, s'est acquitté de cette tâche avec conscience; on peut réellement dire de cette brochure: ceci est un livre de bonne foi. Dans une publication de ce genre, l'imagination n'entre pour rien; les faits seuls doivent être relatés, et M. Michaud les a établis avec un talent qui dénote un écrivain qui n'en était plus à faire ses preuves. Notre article sera donc, en grande partie, un résumé textuel de la notice ministérielle, sauf les observations qu'elle nous a suggérées et qui n'en détruisent en rien le mérite.

Avant tout, il est indispensable d'énumérer les conditions dans lesquelles la transportation a été décidée et les actes qui la régissent.

Dès l'année 1848, le gouvernement avait cherché le moyen d'éloigner de France les hommes qui lui paraissaient dangereux pour le repos de la Société. Deux années plus tard, la question fut reprise à un point de vue plus général. C'était une réforme que l'on voulait réaliser, une colonisation à l'instar de celle fondée par l'Angleterre ; une sorte d'évolution du droit criminel, où l'on espérait trouver le double avantage de

(1) Paris, Impr. impériale, 1867. In-4° de 95 pages, avec la carte de la Guyane française et celle de la Calédonie.

donner à la sécurité publique des garanties plus sérieuses, de rendre la répression plus humaine, de la moraliser en l'utilisant au profit de la colonisation. Une commission fut instituée en février 1851, pour étudier de nouveau la question, particulièrement au point de vue du choix de la colonie. Déjà, la Guyane avait été proposée ainsi que l'Algérie. La commission opta pour la Guyane. Ici une observation importante sur ce choix, car il a été critiqué en raison de l'insalubrité du climat. Nous dirons tout à l'heure ce qu'a fait l'autorité pour en combattre les effets; mais si l'on songe que la France à cette époque ne possédait que cette seule colonie qui fût assez étendue et assez peu peuplée pour se prêter au développement indéfini d'une immigration pénitentiaire, on reconnaîtra que, la transportation étant reconnue indispensable, il était impossible de l'établir ailleurs.

De nouveaux troubles politiques vinrent encore déplacer la question, et motiver le décret du 8 décembre 1851 dont nous citerons les principales dispositions, car c'est le point de départ de la législation sur la matière.

L'article 1er donne au gouvernement le pouvoir de faire transporter dans une colonie pénitentiaire, à Cayenne ou en Algérie, tout individu qui, placé sous la surveillance de la haute police, est reconnu coupable de rupture de banc. La durée de cette transportation est de cinq à dix années. L'article 2 applique cette mesure aux individus reconnus pour avoir fait partie d'une société secrète. D'après l'article 7, les individus ainsi transportés doivent être assujettis au travail sur l'établissement pénitentiaire; ils y sont privés de leurs droits civils et politiques, et soumis à la juridiction militaire. En cas d'évasion, les transportés sont condamnés à un emprisonnement qui ne peut excéder le temps pendant lequel ils ont encore à subir la transportation.

C'est à cette époque que commence la tâche départie au ministère de la marine.

Des instructions réservèrent l'exil à la Guyane pour les repris de justice et pour les individus que les commissions militaires désigneraient comme plus particulièrement dangereux.

Un décret du 27 mars 1852 ouvrit les portes du bagne aux forçats disposés à se rendre volontairement à la Guyane: 3,000 d'entre eux acceptèrent cette offre qui leur garantissait certains adoucissements de peine; ainsi, ils ne seraient plus accouplés; ne porteraient plus la chaîne qu'à titre de punition disciplinaire ou par mesure de sûreté; ils ne seraient plus attachés la nuit; une liberté relative leur était promise. Les condamnés devaient être employés aux travaux de la colonisation, de la culture, de l'exploitation des forêts et à tous autres travaux d'utilité publique. Les femmes condamnées aux travaux forcés peuvent être conduites à la Guyane et y être employées à des travaux de leur sexe. Nous

donnons presque en entier ce décret, parce qu'il résume tout le système, lequel a été confirmé par la loi du 30 mai 1854, dernier acte législatif qui concerne la transportation. Les condamnés des deux sexes qui ont subi deux années de leur peine et qui se sont rendus dignes d'indulgence peuvent obtenir les avantages suivants : autorisation de travailler pour les habitants de la colonie ou pour les administrations locales, et de contracter mariage; concession d'un terrain et la faculté de le cultiver pour leur propre compte; mais cette concession n'est définitive qu'après dix années de possession. La famille du condamné peut être autorisée à le rejoindre dans la colonie et à vivre avec lui, lorsqu'il se trouve placé dans la condition qui précède. Tout condamné dont la peine est inférieure à huit années de travaux forcés est tenu, à l'expiration de ce terme, de résider dans la colonie pendant un temps égal à la durée de sa condamnation. Si la peine est de huit années et au delà, il doit résider à la Guyane pendant toute sa vie. En cas de grâce, le libéré ne peut être dispensé de l'obligation de la résidence que par une disposition spéciale. Toutefois, le libéré peut momentanément quitter la colonie, en vertu d'une autorisation expresse du gouverneur, mais sans pouvoir se rendre en France. Des concessions provisoires ou définitives de terrains peuvent être faites aux individus qui, ayant subi leur peine, restent dans la colonie. Les condamnés libérés en France peuvent obtenir d'être transportés à la Guyane, à la condition d'y être soumis au régime établi dans la colonie. Les condamnés peuvent obtenir partiellement ou intégralement l'exercice des droits civils dans la colonie, et être autorisés à jouir ou à disposer de tout ou partie de leurs biens. Tout condamné à temps qui se rend coupable d'évasion est puni de deux à cinq ans de travaux forcés. Pour le condamné à perpétuité, la peine est l'application de la double chaîne pendant la même durée de temps. Enfin, tout libéré astreint à résider à la Guyane et qui a quitté la colonie sans autorisation, est renvoyé aux travaux forcés pendant une durée d'un an à trois ans. L'esprit de cette loi est ainsi résumé par M. Michaud. Les travaux, c'est l'accomplissement de la peine; l'autorisation de travailler comme engagé hors des pénitenciers, de contracter mariage et l'obtention d'une concession provisoire de terrain commencent la réhabilitation; quand la concession devient définitive, l'épreuve est terminée, le forçat devient colon.

La réforme pénale se trouve dans cette disposition importante qui astreint les libérés à rester dans la colonie pour un temps déterminé ou pour la vie, selon la catégorie à laquelle ils appartiennent d'après la durée de leur condamnation. En rivant l'homme à la nouvelle patrie, elle écarte du sein de la société les existences qui ne pouvaient plus se fondre en elle; elle les place en même temps dans un milieu où ils doivent retrouver les éléments d'une vie normale. Sous ce rapport la transporta

tion est une véritable peine, un sévère châtiment, car l'exportation définitive répugne essentiellement à notre esprit national, ainsi que l'atteste la résistance opiniâtre que tous les condamnés astreints à une résidence temporaire opposent à l'idée de colonisation.

Jusqu'en 1852, les individus d'origine asiatique ou africaine condamnés aux travaux forcés ou à la réclusion étaient envoyés en France pour y subir leur peine. Un décret du 20 août 1853 autorise leur transfèrement à la Guyane, ce qui présente un double avantage. Ces pénitenciers leur offrent la condition climatérique essentielle à leur existence, et ils reçoivent ainsi un contingent de travailleurs précieux pour les défrichements, car, par un privilége de leur constitution physique, les individus de race africaine ou asiatique échappent généralement au danger des fièvres paludéennes qu'engendrent les travaux de desséchement et de défrichement.

C'est le 31 mars 1852, qu'eut lieu, de Brest, un premier convoi de 301 forçats. Depuis cette époque, les convois se sont succédé au nombre de 51 jusqu'à la fin de 1866.

II

Voici l'indication des localités où des pénitenciers ont été établis. Les iles du Salut, au nombre de trois (l'île Royale, l'île Saint-Joseph et l'île du Diable), situées à quelque distance de la côte, en face de l'embouchure de la rivière de Kourou. La température, sans cesse rafraîchie par la brise de mer, y est plus basse que sur le continent, et n'est point chargée des émanations qui sont à redouter dans certaines parties de la Grande-Terre.

L'ilot la Mère, situé à proximité de Cayenne, a été assigné, dès l'origine, aux invalides, aux infirmes et aux vélétudínaires, classe toujours nombreuse dans une société que le vice recrute.

La montagne d'Argent, située vers l'embouchure de l'Oyapock. Les débuts y furent heureux, sous le rapport de la production du sol, mais la mortalité y fut d'abord très-grande par l'influence délétère des émanations paludéennes; en 1864, on dut l'évacuer, encore bien que pour conjurer le mal on avait reporté l'établissement sur l'autre versant de la Montagne.

Saint-Georges, situé sur la rive gauche du Haut-Oyapock, à 191 kilomètres de Cayenne. La réussite des premières plantations promettait de promptes et d'abondantes ressources; mais, là aussi, les miasmes qu'exhalait la terre remuée frappèrent les hommes. En vain l'élément européen y fut-il remplacé par l'élément africain, il fallut aussi évacuer cette localité en 1863.

Des pontons pénitentiaires, établis avec des bâtiments mis hors de service, furent destinés à servir tout à la fois d'infirmerie pour les ma

lades, de prison pour les indisciplinés et de dépôt pour les ateliers dont les services publics avaient besoin.

De 1855 à 1839, on tenta de placer un pénitencier à la Comté, quartier de la Guyane à proximité de l'ile de Cayenne; mais les fièvres intermittentes et la fièvre jaune ne permirent plus de s'y maintenir. A la même époque, des essais eurent lieu à Montjoly, dans l'ile de Cayenne et à Kourou.

Ici s'arrête la série des essais tentés pour un établissement durable, ils furent tous contrariés par des difficultés climatériques, mais l'œuvre est entrée depuis dans une phase nouvelle. Dès le début cependant le gouvernement avait pris des mesures exceptionnelles pour assurer le service médical, qui se compose de 33 médecins et de 43 sœurs de Saint-Paul de Chartres. Les cases, les logements affectés aux condamnés furent exhaussés à un mètre et demi du sol, afin de les soustraire au contact de l'humidité; les vêtements de laine formèrent, malgré l'élévation de la température, une partie importante du trousseau; la ration des transportés fut assimilée à la ration de la troupe; les travaux de desséchements furent, autant que possible, exécutés par les gens de race noire. D'après la notice qui nous donne tous ces détails, la sollicitude de l'autorité supérieure fut à la hauteur des difficultés; c'est ainsi que des instructions furent données à Toulon pour que la nourriture des hommes en expectative de départ fût améliorée, ainsi que le régime alimentaire à bord pendant la traversée.

Il ne faut cependant pas se le dissimuler; avant que des percées suffisantes aient amené l'air sous les couverts des forêts vierges en exploitation; avant que les ateliers et chantiers aient pu être organisés dans de bonnes conditions hygiéniques, il arrivera malheureusement encore que le nombre des affections particulières au climat se multiplieront. Le devoir de l'administration doit donc être, plus que jamais, d'employer tous les moyens pour atténuer le mal et en abréger la durée. Déjà, il faut le dire, parce que cela est vrai, le malade trouve le soulagement à l'infirmerie, le traitement plus efficace à l'hôpital, et le repos, l'air pur à l'ile de la Mère, où il va chercher sa convalescence. L'autorité a donc pris toutes les mesures que les circonstances exigeaient.

Aujourd'hui, c'est au Maroni, qui confine à la Guyane hollandaise, qu'est le véritable siége de la transportation. Un hôpital principal a été élevé à Saint-Laurent, chef-lieu de la colonie pénale, et des infirmeries ont été placées dans toutes les annexes qui l'entourent. C'est là que la transportatiou a pris un caractère définitif en 1860. En combinant les cultures avec l'exploitation des forêts, on s'efforce de trouver un emploi utile des bras des transportés, un travail rémunérateur, une base de colonisation. En 1865, la moyenne du produit de la journée de travail sur les pénitenciers a été de 1 fr. 82 c. Elle s'est élevée à 2 fr. 37 c.

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