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tion à adoucir, d'intérêts personnels à sauvegarder, d'amours-propres et d'habitudes à ménager, de susceptibilités rivales à calmer, de concours peu bienveillants à obtenir. Loin de faire table rase ou de régner sans conteste, il fallait tenir compte, et c'était, du reste, une heureuse nécessité, des legs d'un long passé. Les circulaires et les instructions du prince resteront, dans la presse officielle de l'Algérie, comme des modèles du genre, toujours s'appuyant sur les principes, précises dans la forme comme dans la pensée, poursuivant loyalement le but final accepté dès le premier jour, la colonisation; toujours respectant les droits de l'homme, du citoyen, du propriétaire; indiquant sans cesse aux fonctionnaires, comme leur suprême mandat, la protection de la liberté dans l'essor de la production et le rapprochement des races; assignant pour tâche principale à la politique nationale envers les indigènes leur prospérité par la désagrégation de la tribu et l'abaissement de l'aristocratie féodale; n'accordant enfin à l'armée que ce qui lui revient : l'honneur de protéger la conquête due à ses armes, sauf à chacun de ses membres à en recueillir sa part le jour où, libre du service militaire, il entrera dans les rangs des colons, heureux de l'accueillir avec des sympathies fraternelles.

Dans ce langage, rien n'était nouveau si l'on considère la presse et l'esprit public qui avaient depuis longtemps propagé et adopté ces doctrines; mais tout était nouveau relativement aux administrations précédentes, qui n'en avaient jamais accepté ni la lettre, ni l'esprit, imbues qu'elles étaient des habitudes, des sentiments, des règles du gouvernement militaire, étranger à tout principe économique, et antipathique de sa nature, non peut-être à la colonisation elle-même, mais à ce qui en est l'essence, la liberté d'action.

Si dans son œuvre de rénovation le prince-ministre rencontra des résistances dont il ne triompha pas, et qui ne furent peut-être pas étrangères à sa démission, ces obstacles naissaient de circonstances nullement inhérentes au fonds de l'institution. Quoique prince du sang, il n'avait pas le pouvoir suprême, et ses contradicteurs militaires avaient acquis par d'éminents et longs services, soit en Algérie, soit ailleurs, une autorité morale qui faisait contre-poids à la sienne. Son rang lui rendait peut-être plus difficiles qu'à d'autres les moyens persuasifs et conciliants; ne voulant pas fléchir et ne pouvant pas briser, il devait tôt ou tard se retirer. Peut-être qu'entouré de conseillers plus initiés aux choses algériennes, ou disposés à une franchise moins timide, il aurait été mieux avisé de la grande influence acquise aux chefs de l'armée par leurs talents autant que par leur expérience et eût ménagé davantage leurs scrupules sans céder à leurs préjugés; il eût attaché plus de prix à suivre, dans leur exécution pratique, les réformes qu'il inscrivait au Bulletin officiel; il eût, en un mot, ajouté à la raison qui proclame

le droit, l'habileté qui le traduit en fait. Sous ce rapport, il a été prouvé une fois de plus que l'absolu des principes ne suffit pas à leur succès. Sous peine d'incessantes déceptions, le maniement des hommes, comme celui des corps, doit tenir compte des résistances et des frottements, qui font de tout mouvement une résultante, de toute résolution une transaction. Le calcul des obstacles propres au milieu ambiant fait partie de la science.

Les déplaisirs nés de ces luttes inattendues s'étant compliqués des événements d'Italie, où le gouvernement se trouvait engagé dans un sens qui n'était probablement pas conforme aux vues du prince, ré cemment lié à la cause du Piémont par son mariage, il se retira au moment même qui réclamait le plus une haute intelligence et une main vigoureuse. Nous allons suivre son héritage aux mains de M. le comte de Chasseloup-Laubat.

La fin au prochain numéro.

JULES DUVAL.

LES

DISCUSSIONS ÉCONOMIQUES DE L'ADRESSE

Peu de personnes s'attendaient assurément, le 25 novembre dernier, u spectacle auquel nous venons d'assister. La tribune a recouvré plus l'éclat, par sa sagesse et son indépendance, et le pays, par son attenion, lui a rendu plus d'importance qu'il n'était possible de le prévoir. 'endant trois semaines, la France est redevenue, non ce pays de parement en vacances dont parlait un légiste du seizième siècle, mais le ays d'un parlement grave et respecté, quoique peu composé peuttre pour la discussion et la conduite des affaires. Beaucoup d'ilisions doivent à jamais être tombées, comme beaucoup d'espéances conçues. Vico disait bien, l'intelligence s'éveille et s'ennoblit ans les grandes assemblées. C'est une raison de plus pour applaudir u décret qui nous a rendu ces premières franchises, qu'on le regarde, l'exemple de M. le président du Conseil d'Etat, comme un acte tout pontané, tout arbitraire de l'Empereur, ou qu'on le tienne, ainsi que fait communément le parti libéral, et ce n'est pas en amoindrir le érite, pour un acte de haute prévoyance politique, sollicité par l'état énéral du monde et de l'opinion.

Il serait impossible, même dans ce journal, de parler de la discussion e l'adresse sans rien dire de la question d'Italie, qui lui vaut son princial caractère et en a été le grand intérêt. Ce n'est pas que je veuille reveir sur les péripéties, tant de fois exposées, de notre politique, depuis le assage des Alpes, par nos soldats, jusqu'à ce moment. Je n'ai pas, je 'avoue, assez d'habileté diplomatique pour démontrer qu'il ne s'y trouve ucune contradiction, si divers qu'aient été les événements, ni assez l'admiration dévouée pour prouver que le gouvernement qui m'inspire in tel sentiment, a commis toutes les trahisons et toutes les lâchetés. Ce serait, d'ailleurs, peu nouveau. Mais l'impression qui ressort surtout le ce débat, c'est que les différents orateurs qui s'y sont mêlés, sauf le prince Napoléon et M. Jules Favre, n'ont formulé nulle conclusion. Ils se sont plaints de l'état de choses actuel, en ont montré les difficultés et les périls, soit par rapport à nos relations avec le peuple italien et les gouvernements étrangers, soit par rapport à la papauté; mais ils n'ont point indiqué la voie à prendre pour sortir de ces difficultés et éviter ces périls. Seulement, comme la pensée de Galiani se devait lire entre ses lignes, la pensée des ministres, si ce n'est par rares moments, appa

raissait entre chacune de leurs paroles. Leurs adversaires se sont toujours, au contraire, soigneusement appliqués à dissimuler la leur. Ç'a été de leur part une grande inadvertance ou une grande faute. Qu'estce qu'une discussion politique sans conclusion? Les tribunes sont faites pour traiter des affaires, non pour donner carrière à d'inutiles éloges ou à des regrets stériles. L'histoire juge le passé; la politique décide du présent et prépare l'avenir.

Une opposition, en outre, n'est vraiment importante aux yeux du pays et redoutable pour le gouvernement, que lorsqu'elle sert et invoque la liberté. Les idées conservatrices et libérales, c'est le double enjeu des partis de gouvernement et d'opposition, et le premier abandonnerait le sien beaucoup plus aisément que le second, sans prochain dommage: il le doit même quelquefois. Or, les représentants les plus nombreux et les plus autorisés de l'opinion catholique n'ont fait nul mystère, depuis dix ans, de leur divorce absolu avec toute pensée d'indépendance. S'ils s'étonnaient aujourd'hui de leur peu d'autorité politique, ce serait beaucoup de naïveté. Comment oublieraient-ils si complétement la fin du XVIIIe siècle et la dernière moitié de la Restauration? Il n'est pas douteux, d'autre part, que le gouvernement actuel n'ait fait énormément pour le clergé; mais il se serait par trop mépris également s'il avait compté sur sa reconnaissante soumission. Au sein de la publicité, des désirs, des ressentiments, des souvenirs modernes, il ne se peut qu'on revoie les complaisances ecclésiastiques de certains moments de l'histoire. Cela ne se peut surtout avec des corporations religieuses aussi multipliées et aussi considérables qu'elles le sont parmi nous. Si les moines n'existent pas pour troubler le monde, auquel ils ont renoncé, quoi qu'ait dit Montesquieu, ils existent moins encore pour se prêter aux mobiles exigences des gouvernements ou des sociétés.

Mais j'ai hâte d'arriver aux discussions qui sont du ressort de l'économie politique. La première, selon l'ordre chronologique, c'est celle qu'a soulevée M. Dupin au sénat, à l'occasion de la déconfiture d'un de nos grands établissements financiers. Que ce malheur soit ou non mérité, que les poursuites judiciaires confirment ou démentent les bruits accrédités, notre science n'a rien à y voir. Mais qu'il soit utile, avantageux de formuler de nouveaux reproches contre les spéculations et les hommes d'affaires, c'est ce qu'il lui revient de très-vivement repousser. N'est-ce pas à ces spéculations, tant de fois incriminées sans distinction, à ces hommes confondus encore en un commun blâme, que notre civilisation doit en grande partie d'être ce qu'elle est ? Ils ne nous valent pas seulement notre richesse, ils nous valent aussi pour beaucoup notre puissance et nos lumières. Si vous voulez que nos habitudes industrielles se rapprochent de celles de l'Espagne et de la Russie plutôt que de celles de l'Angleterre et des Etats-Unis, soyez convaincus qu'il

en sera de notre fortune, de notre influence et de nos connaissances comme de nos habitudes industrielles. Est-ce, d'ailleurs, par excès que pèchent aujourd'hui les entreprises? Caton qui, malgré sa rigidité, savait si bien, par l'usure, accroître ses revenus, n'est pas le préférable guide à proposer à notre époque. Qu'on punisse sans merci les coupables; mais qu'on respecte, qu'on honore profondément l'industrie, le crédit, la production, les échanges et les personnes qui remplissent ces premiers services des sociétés modernes. Combien nous aurions plus de chemins de fer, de lignes de navigation, de comptoirs, de compagnies manufacturières, d'exploitations agricoles, c'est-à-dire de capitaux, de salaires, de ressources publiques, de bonheur et d'importance, si chacun ne s'était autant efforcé de décrier les affaires et les gens d'affaires, et si nos lois avaient mieux respecté les libres conditions du travail et des transactions!

Le plus étrange, c'est que M. Dupin, dans son discours écrit, car il lui a plu de compter, aussi lui, parmi les orateurs à papier, s'en soit presque pris à la presse des criminelles manœuvres qu'il signalait, sans demander que le régime sous lequel elle se montre si funeste ou si coupable, fùt en rien modifié. Que j'aurais voulu voir un journal attaquer les grands personnages qui composaient le conseil de surveillance de la Caisse des chemins de fer! Et si la presse a eu tort de ne le pas faire avant les poursuites qui se continuent, comment la justice serait-elle excusable de ne les avoir pas commencées plus tôt? Il convient néanmoins d'espérer que ce désastre financier attirera l'attention sur notre loi des sociétés commerciales, si fàcheuse et si inefficace.

Je ne parlerai qu'à peine de la discussion qu'a fait naître la réforme douanière. Je serai presque aussi discret, à cet égard, que nos deux chambres. Elles se sont refusé le plaisir d'énumérer les nombreux faits qui se sont accomplis, dans notre production et nos échanges, depuis que cette réforme s'expérimente, en montrant qu'aucun n'en est la condamnation. Elle devait, selon les protectionnistes, on s'en souvient, faire fermer nos ateliers, laisser sans travail nos ouvriers; et les achats des matières premières se sont augmentés, et nulle classe d'ouvriers n'est en chômage. Deux événements surtout sont remarquables, après ces sinistres prédictions: la hausse du prix des laines et des bois, et la nullité de l'importation des fers étrangers. Sans doute, notre industrie n'a pas l'activité qu'il conviendrait de lui voir; mais était-elle plus florissante il y a un an? Quelque libre-échangiste qu'on soit cependant, l'on n'en doit pas moins avoir de reconnaissance pour l'engagement pris par le gouvernement, de soumettre à la sanction des chambres les décrets qui tendraient à restreindre les délais fixés d'abord, pour les dégrèvements, dans notre traité avec l'Angleterre.

Je ne saurais résister à rapporter ici quelques paroles que me disait

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