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rez, mais je sais que l'aigle de Prusse va bien loin. Je supplie cet Aigle de daigner jeter sur moi, chétif, du haut des airs où il plane, un de ces coups d'œil qui raniment le génie éteint (1). »

M. DE BISMARK (bas).

Le plat valet! (Haut). Monsieur de Voltaire, on n'écrit pas en meilleur français !

VOLTAIRE.

Vous allez rentrer à Berlin, monsieur le comte, dans la lumière et l'éclat du triomphe, au milieu des cris de joie d'un peuple enivré. Je vais regagner dans quelques instants les bords du Styx, le royaume du silence et de la nuit. Avant de nous séparer, je prendrai la liberté de vous présenter et de recommander à votre bienveillance le dernier et le meilleur de mes élèves. C'est un bon jeune homme, et dont je m'assure que vous serez satisfait.

(A ce moment, M. Edmond About qui, depuis le commencement de la scène, marche religieusement derrière l'ombre de Voltaire, et que M. de Bismark n'a pas encore aperçu, s'avance et s'incline).

VOLTAIRE, le présentant.

M. Edmond About, lauréat de l'Université de France, auteur de la Grèce contemporaine, de Rome contemporaine, de l'Egypte contemporaine... (A M. About). Allons, mon ami, offrez vos

(1) Lettres du roi de Prusse et de M. de Voltaire, 16 octobre 1772.

respects à M. le comte. (A M. de Bismark). Et de quelle langue voulez-vous qu'il se serve avec vous?

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Parbleu de la langue qu'il a dans sa bouche. Je crois qu'il n'ira pas emprunter celle de son voisin.

VOLTAIRE.

Je vous dis de quel idiome, de quel langage?

M. DE BISMARK.

Ah! c'est une autre affaire.

VOLTAIRE.

Le garçon a fait à Charlemagne d'excellentes humanités; il a depuis beaucoup couru l'Europe et l'Afrique. Voulez-vous qu'il vous parle latin?

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Non, non; alsacien, alsacien, alsacien.

VOLTAIRE.

Ah! alsacien. Fort bien, notre jeune homme est justement de Saverne.....

M. ABOUT.

Oui, montsir le gomte, de Saberne, bis fus serbir.

M. DE BISMARK (à part).

Quelle langue admirable et comme cet alsacien sonne agréablement à mes oreilles!

M. ABOUT.

Montsir de Pismark, je salue en vus un crand homme, un frai baladin.

M. DE BISMARK.

Hein qu'est-ce que cela veut dire? Je suis un baladin!

VOLTAIRE.

Au contraire, il dit que vous êtes un vrai paladin.... Vous oubliez qu'en ce moment il parle alsacien.

M. DE BISMARK.

Ah! c'est vrai.

M. ABOUT.

Montsir de Pismark, moi aussi j'ai daché te vaire quelque chausse bir l'embire d'Allemagne. J'ai abbordé ma betite bierre à l'étifice. Gomme mon maîdre, ici brésent, j'ai drafaillé bir le roi de Brusse. Vous avez peud-êdre entendu barler te ma betite prochure: La Brusse en mil huit cent soixante? Si Vodre Excellence le tésirait, je bourrais lui en cider les plus peaux bassages.

M. DE BISMARK.

Je les écouterai avec le plus vif plaisir.

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M. ABOUT, récitant.

<< Nous nous sommes pris d'une vive sympathie, - ma prochure a été gombosée en français, il le vallait, -nous nous sommes pris d'une vive sympathie pour les Allemands à mesure que nous les avons mieux connus.... L'Allemagne est portée par une aspiration légitime vers l'unité et le progrès. Les Allemands ont compris qu'il était inutile et presque ridicule de nourrir 37 gouvernements lorsqu'il suffirait d'un seul. Ils pressentent l'énorme accroissement de force et de prospérité, de dignité et de grandeur, que la centralisation leur donnera quelque jour, et ils marchent au but d'un pas résolu, malgré toutes les entraves. Jamais cette noble nation n'a été plus grande que de 1813 à 1815, car jamais elle n'a été plus une... L'Allemagne n'avait qu'une seule passion, qu'un seul cœur ; elle se leva

comme un seul homme, et la défaite de nos armées montra ce que pouvait l'unité allemande ('). »

VOLTAIRE, à M. de Bismark.

Hein! que dites-vous de ce garçon-là ?

M. DE BISMARK.

Nous en ferons quelque chose.

M. ABOUT, continuant.

<< Que l'Allemagne s'unisse; la France n'a pas de vœu plus ardent ni plus cher... Que l'Allemagne s'unisse; qu'elle forme un corps assez compact pour que l'idée de l'entamer ne puisse venir à personne. La France voit sans crainte une Italie de 26 millions d'hommes se constituer au Midi; elle ne craindrait pas de voir 32 millions d'Allemands fonder une grande nation sur sa frontière orientale (2). »

M. DE BISMARK, se caressant la moustache.

Tout cela est aussi bien pensé que bien écrit.

M. ABOUT.

<< Le peuple allemand aime la Prusse. Il regarde ses progrès avec une admiration sympathique et un intérêt filial. Si elle se décidait à jouer le rôle du Piémont, tous les Allemands s'empresseraient

(1) La Prusse en 1860, par Edmond About. Paris chez Dentu, 1860, pages 5 et 8.

(2) Op. cit., p. 10.

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