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GUILLAUME.

Es-tu content? me voilà nu.

MERCURE.

Tu peux monter. Et toi, qui parais si pressé de le suivre, qui es-tu donc ?

BISMARK, en uniforme de cuirassier.

Je suis le prince de Bismark. J'accompagne partout l'empereur mon maître. S'il ne m'avait pas auprès de lui, il serait incapable de se tirer d'affaire.

CARON, à Mercure.

Laisse-le approcher, afin que je puisse le voir tout à mon aise, ce fameux Bismark, qui a bouleversé l'Europe, renversé et créé des empires, et qui, depuis moins de huit mois, nous a envoyé ici plus de trois cent mille hommes. (Mercure fait avancer M. de Bismark.) Ne le perds pas de vue une seule minute; j'ai peur qu'il ne nous trompe et ne parvienne à passer quelque chose en fraude. Il a plus d'un tour dans sa gibecière, et, pour découvrir toutes ses ruses, les lunettes de notre ami Proudhon ne suffiront peut-être pas: il nous faudrait les cent yeux d'Argus ou la vue perçante de Lyncée.

MERCURE.

Sois tranquille, Caron. (A M. de Bismark.) Commence par dépouiller ton titre de prince et

celui de grand chancelier de l'empire d'Allemagne. Bon. Dépose maintenant le titre de rente d'un million de thalers voté par le Reischtag pour récompenser tes services. Eh! eh! ce titre-là vaut bien les deux autres. Quitte ta passion pour le pouvoir, tes triomphes diplomatiques, la plume avec laquelle tu as signé les préliminaires de paix de Nicholsburg et ceux de Versailles; ne parle pas des inscriptions gravées sur tes statues, ni du monument que tes concitoyens ont érigé en ton honneur: tous ces souvenirs sont trop pesants.

BISMARK.

Puisqu'il le faut, je m'y résigne. Je te demande, Mercure, de conserver seulement deux choses.

Et lesquelles?

MERCURE.

BISMARK.

Mon uniforme et mon casque de cuirassier.

MERCURE.

J'en suis désolé, mon prince, mais cela ne se peut pas. (M. de Bismark ôte son uniforme et son casque.) Je crois que maintenant je puis le laisser passer.

PROUDHON.

Il porte encore sous l'aisselle quelque chose de fort lourd.

MERCURE.

Qu'est-ce donc, Proudhon?

PROUDHON.

La fourberie, Mercure, qui lui a été très-utile pendant sa vie.

(M. de Bismark va rejoindre l'empereur Guillaume. Le prince de Hohenzollern qui, pendant le dialogue entre Mercure et M. de Bismark, a ôté son uniforme et ses décorations, son casque et ses bottes, se présente pour passer.)

MERCURE, le regardant avec admiration.

Quel gaillard! Blond, épais et charnu, un véritable Hercule du Nord, sans doute un de ces honnêtes géants qui vident beaucoup de chopes, donnent et reçoivent de bons coups de pointe et meurent sans avoir fait parler d'eux. Ton nom?

LE PRINCE DE HOHENZOLLERN.

Léopold-Guillaume-Charles de Hohenzollern

Sigmaringen.

MERCURE.

Diable! je me trompais terriblement. Cet Hercule est justement l'allumette qui a mis le feu à l'Europe. Vienne un second Homère ou un nouvel Offenbach, et ce gros joufflu, cause innocente du siége de Paris, ne sera pas moins fameux que la belle Hélène, cause moins innocente du siége de

LE PRINCE DE HOHENZOLLERN.

Mercure, laisse-moi passer; tu le vois, je suis nu; je n'ai absolument rien gardé, pas même mon beau fourneau de porcelaine : j'ai cassé ma pipe.

MERCURE.

C'est à merveille, mon ami; mais que faisonsnous de ces chairs opulentes? Quitte-les vite.

LE PRINCE DE HOHENZOLLERN.

C'est fait, et je ne pèse pas plus que les autres morts.

MERCURE.

Monte donc, et n'oublie pas, une fois aux Champs-Elysées, de te faire présenter à la belle. Hélène. Vous rapprocherez l'un de l'autre vos deux siéges, vous comparerez ensemble Agamemnon et Guillaume, Ulysse et Bismark, Thersite et Blanqui, le brave Trochu et le pieux Enée, pius Eneas. Ah! ah! que veux-tu, toi qui caches, sous une couronne de lauriers verts, ton front jauni par l'âge? Pourquoi portes-tu cette couronne ?

LE COMTE DE MOLTKE

J'ai battu la France et l'Autriche, et ma patrie reconnaissante m'a donné cette récompense. Je suis le comte de Moltke. J'ai défait l'Autriche en six semaines et la France en six mois. Dans cette dernière campagne, mes troupes ont livré, en 180

jours, 150 engagements victorieux et gagné 16 grandes batailles. Elles ont pris 120 drapeaux, 7,000 canons, 26 forteresses, 500,000 soldats, 12,000 officiers, 300 généraux, 4 maréchaux, sans parler d'un empereur.

MERCURE.

Le fait est qu'il vaut mieux n'en parler point.

LE COMTE DE MOLTKE.

J'ai ajouté à mon pays un royaume, six duchés et trois provinces.

MERCURE.

Ce sont là, certes, de brillants états de service, mais qui, j'en ai peur, ne te seront pas ici d'un grand secours. Te voilà vaincu à ton tour; arrache ta couronne et rends-moi ton épée: la paix règne aux Enfers et les armes y sont inutiles. Mais qui est cet autre, avec son grand sabre, son feutre gris et sa chemise rouge?

PROUDHON.

C'est un général, Mercure, ou plutôt un charlatan. Mets-le à nu, et tu verras, cachées sous cette chemise rouge, bien des choses risibles. C'est Garibaldi.

MERCURE.

Allons, quitte d'abord ce grotesque accoutrement, et puis après tout le reste. Par Jupiter! qu'il a

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