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donc sur lui de forfanterie! Que d'ignorance, de sotte vanité, de blasphèmes misérables! Laisse-là aussi ta fausse bonhomie, tes bulletins menteurs et tes lettres ridicules! Si tu montais dans la barque avec tout ce bagage, elle coulerait aussitôt; ce ne serait pas trop d'un vaisseau de cinquante rameurs pour le recevoir.

GARIBALDI.

Je vais m'en défaire, puisque tu le veux.

PROUDHON.

Fais-lui donc ôter aussi, Mercure, ce fil qui sort de dessous son manteau et traîne derrière ses talons.

MERCURE.

Je ne l'avais pas vu. (A Garibaldi.) Ote moi cela.

PROUDHON.

C'est le fil dont se servait le comte de Cavour pour mettre cette marionnette en mouvement et lui faire jouer un rôle dans la comédie dont il était l'auteur. L'habile impresario tirait la ficelle et Polichinelle battait le Barigel. Mais depuis que Cavour est mort, le pauvre Polichinelle n'a plus su que se faire battre par le commissaire.

MERCURE, pendant que Garibaldi gravit les degrés de l'échelle.

Adieu, seigneur; adieu, seigneur Polichinelle.

PROUDHON. (Il essuie ses lunettes, les remet, et montrant du doigt un nouvel arrivant.)

Mercure, je te présente le citoyen Littré.

CARON.

Mais ce n'est pas un homme, c'est...

PROUDHON.

Il va vous dire lui-même ce qu'il est.

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Ah! très-bien! (Bas, après avoir attentivement regardé M. Littré.) Il pourrait bien avoir raison.

LITTRÉ, reprenant.

« Un animal mammifère, de l'ordre des primates, famille des bimanes, caractérisé taxinomiquement par une peau à duvets ou à poils rares ('). »

C'est bien cela!

CARON.

(1) Dictionnaire des Sciences médicales, par MM. Littré et Charles Robin, art. Homme.

PROUDHON, à Littré.

Où as-tu pris ce bel babit décoré de palmes vertes? Tu n'étais cependant pas académicien. Je me souviens qu'en 1863 l'Académie française te repoussa avec éclat.

LITTRÉ.

Il est vrai; mais, en 1871, elle a fait amende honorable et m'a reçu dans son sein, encore bien que je n'eusse pas posé ma candidature.

PROUDHON.

J'ai peine à le croire, malgré ton affirmation. Dis-moi, te figures-tu Proudhon académicien? Non, n'est-ce pas ? Et pourtant je ne suis jamais allé aussi loin que toi dans mes attaques contre tout le vieil ordre social. Tes écrits, comme les miens, enseignent que l'idée de Dieu, « l'idée d'un être théologique quelconque est une hypothèse désormais inutile ('); » que l'immortalité de l'âme doit, comme l'existence de Dieu, être reléguée au rang des fables, qu'il faut, en effet, réserver le nom d'âme à l'ensemble des facultés du système nerveux central, en sa totalité; que la pensée est inhérente à la substance cérébrale tant que celleci se nourrit, comme la contractibilité aux muscles, l'élasticité aux cartilages et aux ligaments jaunes; que le mot d'âme exprime, considéré

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(1) Conservation, Révolution, Positivisme, par M. Littré, p. 298.

anatomiquement, l'ensemble des fonctions du cerveau et de la moëlle épinière, et, considéré physiologiquement, l'ensemble des fonctions de la. sensibilité encéphalique ('). »

CARON, à Mercure.

Que dit-il là? Et quelle langue parle-t-il? Seraitce du français par hasard ?

MERCURE.

Non, c'est du littréen.

PROUDHON.

Tu as prêché la guerre sociale, déclarant que << les guerres de classe à classe ont, comme les autres, leur place dans l'arène commune... Du consentement de tous, l'ancien droit à la guerre reste ouvert, et les prolétaires ainsi que les rois, la déclarent quand, avec la permanence de leurs griefs, l'occasion s'en trouve (2). » Tu as été le véritable précurseur de la Commune de Paris, ayant écrit, il y a déjà bien des années, qu'il fallait enlever à la France entière le droit de suffrage et le conférer uniquement aux ouvriers de Paris qui, par leurs lumières, leur vigueur et leur dévouement, étaient seuls capables de prendre en mains le gouvernement des choses, et qu'il fallait, de la sorte, faire de Paris le grand électeur pour toute la France.

(1) Dictionnaire des sciences médicales, art. Esprit, Idée, Ame. (2) La Revue positive, n° de décembre 1871.

MERCURE, riant, à Proudhon.

Pends-toi, brave Proudhon, tu n'avais pas trouvé celle-là!

LITTRÉ.

Vous avez beau rire, Mercure, et vous aussi, Proudhon, il n'en reste pas moins qu'au lendemain de la Commune j'ai été nommé membre de l'Académie française, au premier tour de scrutin.

PROUDHON.

Et quels étaient les parrains de ta candidature?

LITTRÉ.

M. Thiers et M. Guizot.

PROUDHON.

L'austère M. Guizot, l'auteur des Méditations ur la religion chrétienne, patronnant le grandprêtre du positivisme, et M. Thiers qui s'est donné la mission de réorganiser la société française, patronnant le chef du socialisme, voilà vraiment un spectacle merveilleux et auquel je ne me consolerai jamais de n'avoir pas assisté ! - Quand je pense que cet excellent M. Thiers a fait un jour un discours de quatre heures pour démontrer que l'application de mon système conduisait à l'an-archie! Ah! ah! ah! (Il éclate de rire.)

MERCURE, à Littré.

Dépose tes palmes vertes et laisse-là cet habit

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