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sation avec Pascal. M. de Balzac rit de son bon gros rire, et les grands yeux tristes, la noble et pâle figure de Pascal s'illuminent d'un sourire · presque joyeux. De quoi peuvent-ils bien parler?

LA BARONNE.

Et de quoi voulez-vous qu'ils parlent ensemble, si ce n'est du Port-Royal de M. Sainte-Beuve ? Balzac cite, sans doute, à Pascal tant de passages merveilleux de celui que la duchesse d'Abrantès appelait Sainte-Bévue, sur les religieuses de PortRoyal, sur ce troupeau d'avettes qui est la matière même d'où s'engendrera la mélancolie poétique des passions, d'où éclôra la sœur de René, d'où s'embrasera en flammes si éparses et si hautes et que quelques-uns appellent incendiaires, celle qui a fait Lélia! sur ces ricochets qui sont une marche générale de la littérature; une fin d'hiver fructueux et mûrissant; sur saint François de Sales qui tient à Bernardin de Saint-Pierre par son coloris fondant, par son âme veloutée et savoureuse! (1)

LA COMTESSE.

sur

Voyez, voyez donc. La porte de la loge infernale vient de s'ouvrir avec fracas et de donner passage à un flot de nouveaux arrivants. Dites-nous leurs noms, s'il vous plaît, monsieur Pingard.

(1) Revue Parisienne, par H. de Balzac, 25 août 1840. Lettre sur l'Histoire de Port-Royal par M. Sainte-Beuve.

M. PINGARD.

Ils sont si nombreux que je m'y perds: le duc de la Rochefoucauld et le duc de Saint-Simon, Nicole et Saint-Évremond, Regnard et Lesage, Jean-Baptiste et Jean-Jacques Rousseau, Gilbert et Vauvenargues, Rivarol, Beaumarchais, Mirabeau, André Chénier, Benjamin Constant, Béranger, Désaugiers, Joseph et Xavier de Maistre. J'en passe et des meilleurs. (Deux heures sonnent à l'horloge de la salle.) Déjà deux heures! Je m'oublie avec vous, mesdames; la séance va commencer. Souffrez que je vous quitte et que j'aille mettre de l'eau dans les carafes et du sucre dans les verres. (Il se retire.)

SCÈNE II

LES MÊMES, PIERRE CORNEILLE, LE CHANCELIER SÉGUIER, M. VILLEMAIN, M. VICTOR COUSIN, M. JULES FAVRE, M. ÉMILE OLLIVIER, M. DUPIN, M. LA FONTAINE, M. VIENNET. GROUPES NOMBREUX D'ACADÉMICIENS.

Les tribunes achèvent de se remplir, ainsi que l'hémicycle. A deux heures et quart, le bureau de l'Académie, composé de Pierre Corneille, du chancelier Séguier et de M. Villemain, fait son entrée, accompagné de M. Victor Cousin et de

M. Jules Favre qui prend place sur la sellette. Le président donne la parole à M. COUSIN, qui se lève, jette un regard sur la tribune où se trouve Mme la duchesse de Longueville, trempe ses lèvres dans un verre d'eau sucrée et prononce le discours suivant :

Messieurs,

Le 23 avril 1868, dans la salle du palais Mazarin, à Paris, M. Jules Favre a parlé de moi et sa harangue a duré deux heures. Je viens, à mon tour, vous parler de lui. Je vous retiendrai moins longtemps.

Au début de son discours, il s'est représenté assis au pied d'une des chaires de la Sorbonne : « Il y a juste quarante années, dans une enceinte consacrée au plus noble enseignement, se relevait une chaire autour de laquelle accourait en foule une jeunesse enthousiaste, avide d'applaudir celui qui allait y monter. Une grande et légitime popularité l'y avait précédé, bien qu'il touchât à peine à l'âge mûr. Sur son beau front, avec la flamme de la pensée, brillait l'auréole toujours irrésistible de la persécution. Sa voix, à la fois harmonieuse et puissante, semblait être la vibration d'un instrument pénétré d'un feu intérieur. Ce feu animait aussi son regard profond et ferme, d'où son âme s'échappait en éclairs quand le souffle de l'éloquence l'agitait (1). >>

(1) Discours de réception de M. J. Favre.

Ce beau front, cette auréole, ce feu, cette flamme, ces éclairs, tout cela, messieurs, c'était moi-même; et si j'ai reproduit ici ce passage, ce n'est pas, croyez-le bien, par vaine complaisance, ni pour vous signaler ce style prétentieux, ces images banales autant qu'incohérentes, cet instrument pénétré d'un feu intérieur, dont on ne doit pas pouvoir jouer longtemps, s'il est de bois, et dont l'embouchure, s'il est de cuivre, doit quelque peu brûler les lèvres: non, si j'ai cité ces lignes, beaucoup trop flatteuses pour moi, c'est afin de vous faire mieux sentir combien est vif le regret que j'éprouve d'être obligé de mettre en regard de ce portrait celui de M. Jules Favre, tel qu'il m'est apparu la première fois qu'il m'a été donné de l'entendre.

C'était à la cour des Pairs, en 1835, lors du procès d'avril, où je siégeais comme juge. Les défenseurs, parmi lesquels se trouvaient toutes les notabilités du parti républicain, Armand Carrel, Michel (de Bourges), Lamennais, Barbės, Godefroy Cavaignac, Raspail, Voyer d'Argenson, avaient, d'un commun accord, résolu de décliner la compétence de la Cours des Pairs. Seul, M. Jules Favre, défenseur des accusés de Lyon, refusa d'imiter ses confrères et de renoncer à une plaidoirie longuement préparée (1). Il se leva. Je le vois encore. Sur

(1) On lit dans l'Histoire de Dix Ans, par M. Louis Blanc : Réunis chez M. Auguste Blanqui, les défenseurs y attendaient avec anxiété le commencement d'une lutte dont nul ne pouvait

son front point d'auréole, mais une chevelure mal peignée. Point de flamme dans ses yeux, mais un regard dur et pénétrant. Sa lèvre inférieure, pleine de dédains et comme gonflée de sarcasmes, s'avançait en même temps que son menton, couvert d'une barbe inculte. On eût dit le paysan du Rhône, portant la parole devant le Sénat. Son débit était entrecoupé par une sorte de hoquet, une espèce de râlement. Mais tous ces détails pénibles, disgracieux, j'allais dire repoussants, se fondirent bientôt dans un ensemble harmonieux, d'un caractère énergique et puissant. Les périodes se succédaient, les phrases s'enchaînaient l'une à l'autre, avec une

prévoir l'issue. Tout à coup, M. Jules Favre se présente. Accueilli par une rumeur de mécontentement et de colère, il obtient pourtant la parole. Mais à peine a-t-il annoncé la résolution de paraitre comme avocat devant la cour des Pairs et d'y plaider la cause de ses clients, qu'un effroyable tumulte s'élève. Des cris accusateurs partent de tous les points de la salle; M. Michel (de Bourges) s'élance vers l'orateur lyonnais, qu'il interpelle d'une voix tonnante. Ne voulant pas céder, il fallait que M. Jules Favre sortit de l'assemblée. Il se retira en effet, laissant après lui une longue agitation.

Bien que l'opinion de M. Jules Favre se pût expliquer par des motifs très-honorables, les plus ardents la condamnèrent, comme puisée aux sources de l'égoïsme et de l'amour-propre. Membre du barrcau de Lyon, où il s'était fait remarquer, jeune encore, par une intelligence d'élite et un talent d'élocution incomparable, M. Jules Favre fut accusé de n'être venu chercher à Paris qu'un théâtre plus digne de ses facultés brillantes, et Armand Carrel, qu'il avait eu d'abord pour allié, s'emporta jusqu'à lui adresser ces amères paroles: «Eh bien! monsieur, puisque vous persistez, nous ferons de tout ceci une simple affaire correctionnelle. Tome IV, pages 377 et 378.

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