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bres dont elles entourent la dernière demeure des morts. On remarque sur les tombes de la fosse commune un grand nombre de cœurs en taffetas ciré avec des phrases comme celles-ci : A ma sœur chérie. Au meilleur des hommes. Je pense à toi. Chacun est frappé dans les pertes de famille par un détail relatif à son état : sur la tombe d'un enfant de douze ans, on voit un cadran dont l'aiguille est arrêtée à l'heure de sa mort; cet enfant appartenait à un horloger. Il arrive souvent que des morts déposés d'abord dans la fosse commune soient transportés plus tard par la volonté des amis ou des parens dans des concessions de terrain. Ces exhumations ne sont pas exemptes d'inconvéniens. On a vu plus d'une fois les fossoyeurs, pressés par les familles, déterrer et ouvrir même huit ou dix cercueils avant de trouver le corps recherché. Comme ces opérations se font de grand matin, hors de la présence du public, il n'est pas sans exemple, dit-on, que la fraude s'y soit glissée. Que peut-on voler à des morts, si ce n'est leur linceul?- O fossoyeurs!

La question des sépultures nous mène nécessairement à celle de la mortalité. Quelle est la population annuelle de nos cimetières? M. Husson, chef du bureau de l'administration départementale et communale, a eu l'obligeance de nous communiquer tous les élémens de statistique relatifs à la ville de Paris. Le nombre des morts, depuis 1837 jusqu'à 1842, a été de 53,685; la moyenne d'une année est de 8,947. Ces chiffres bruts ne présentent pas un grand intérêt : mais si nous les décomposons, nous y trouverons plusieurs renseignemens curieux. Il est d'abord naturel de se demander comment le nombre total des décès se répartit sur les douze mois de l'année. On trouve alors que les mois où la mortalité est la plus intense appartiennent à cette saison chérie qu'on nomme le printemps. Le nombre des morts dans les mois de mars, d'avril et de mai surpasse constamment celui des autres mois de l'année. Voici au reste l'ordre des saisons dans leur rapport avec la fréquence des décès, le printemps, l'hiver, l'automne et l'été. On voit que les poètes ont calomnié la chute des feuilles. Nous allons énumérer les mois en commençant par ceux qui ont le plus d'affinité avec la mort: ce sont avril, mars, février, mai, janvier, décembre, juin, septembre, octobre, novembre, août, juillet. Ces observations s'appliquent à la population de la ville de Paris, formée en grande partie d'habitans qui vivent dans l'indigence. Il est vraisemblable que, pendant la durée de l'hiver, les différentes causes qui concourent à rendre les conditions de la vie dures, laborieuses, pénibles pour un grand nombre de citoyens, préparent

des maladies mortelles qui se développent et se terminent au renouvellement de la saison. C'est l'hiver qui poursuit ses rigueurs jusque dans le printemps.

La loi de la mortalité n'est pas la même pour toutes les classes. La longueur de la vie se trouve toujours en raison directe des lumières, du bien-être, des soins reçus dans la première enfance, de la qualité des alimens, de la nature et de la mesure des travaux, de l'état des habitations, des pratiques d'hygiène, du comfort des vêtemens, des habitudes d'ordre, en un mot de toutes les conditions physiques et morales qui améliorent ou qui dégradent l'existence. La misère, qui est le plus grand des maux, attire à soi tous les autres : les pauvres meurent plus que les riches. Cette vérité se dégage aussi clairement que la lumière des tableaux et des masses de chiffres que nous avons en ce moment sous les yeux. On observe, dans certains arrondissemens de Paris, une mortalité constamment plus grande que dans d'autres; le germe des maladies s'y développe plus facilement, la vie s'y éteint plus vite; il est inutile d'ajouter que ce sont ceux où la population souffre, où la misère domine, où les alimens insuffisans et malsains débilitent les organes, où un travail excessif et prématuré détruit les forces des ouvriers, où l'accumulation des individus dans des rues étroites, sales, humides, dans des maisons pressées les unes contre les autres, dans des chambres obscures et manquant d'air, entretient un foyer continuel de pestilence. Lorsque le choléra-morbus fit son invasion dans la ville, il alla surtout chercher dans la classe déshéritée, dans les quartiers populeux, la matière de ses ravages. Il y a telle rue qui compta cinq décès par mille habitans, tandis que telle autre en compta quatre-vingt-deux. Le fléau ne fit d'ailleurs qu'exagérer un état de choses permanent; la même loi de mortalité inégale continue de régler, dans Paris, le nombre des décès sur la valeur des moyens de subsistance. Les derniers arrondissemens (et en première ligne le XII qui est le plus pauvre de tous) donnent constamment un nombre plus considérable d'enfants morts-nés. Prévenir en quelque sorte pour les uns l'apparition de la vie, la détruire pour les autres quand elle a réussi à se former, en arrêter le cours pour tous quand une fois elle se développe, telle est l'œuvre trois fois triste de la misère. On compte un décès par vingt-neuf habitans dans les vir et XII arrondissemens, tandis qu'il n'y en a qu'un sur quarante dans les six premiers. On voit par là que les institutions civiles, les degrés de fortune, l'état des connaissances et des mœurs, limitent diversement le nombre

des jours accordés à l'homme par la nature. Qu'une condition s'élève dans la société, que la somme du bien-être s'accroisse pour une classe de citoyens, qu'un progrès notable et constant s'accomplisse dans un pays, que la prospérité s'étende, et une partie considérable de la population se trouvera, pour ainsi dire, transportée dans une autre région de la vie.

Entrons maintenant dans l'intérieur de ces enclos funèbres qui reçoivent nos tristes dépouilles. Nous avons parlé des quatre cimetières établis par Napoléon : le Père-Lachaise, Montmartre, Vaugirard, Sainte-Catherine; ces deux derniers ont été supprimés et remplacés par celui du Mont-Parnasse. Malgré certains traits de ressemblance en rapport avec leur destination commune, les trois cimetières actuels de la ville de Paris ont des caractères particuliers qui leur viennent de leur situation géographique, de la nature des quartiers qu'ils desservent, et surtout des tombes historiques qui y sont renfermées.

(La suite à un prochain no.)

ALPHONSE ESQUIROS.

LES

REVENANS LITTÉRAIRES.

M. ÉMILE DESCHAMPS.

Le merveilleux qui a rayonné si énergiquement sur les débuts de l'école romantique l'illumine encore à son déclin de quelques vagues reflets. Après l'épopée, toute remplie de cris héroïques et de luttes acharnées, la légende déroule devant nous ses tableaux naïfs où flottent dans un demi-jour vaporeux des apparitions souriantes et familières. Un écrivain au coup-d'œil exercé, à la touche fine et juste, menait dernièrement, avec un air de philosophie candide et peut-être un peu railleuse, le convoi de ces gloires bruyantes de la restauration que la postérité ne manquera pas de réduire à des proportions plus modestes. Appartenant lui-même à cette génération hardie, aventureuse, si pleine d'avenir aux premiers jours du combat, il jetait un regard de déception et de regret sur tant de nobles ambitions restées en route, tant de coups d'éclat sans effet, tant de promesses brillantes sans résultat. Indulgent pour la réalité parce qu'il avait un moment caressé les visions attrayantes des rêves communs, il faisait sans passion la part de la victoire et de la défaite; il convenait avec franchise de l'avortement presque complet des espérances universelles, et disait sans amertume le mot pieux des survivans: «< Relevons nos morts! » En faisant le compte minutieux des chevaTOME XXVI. FÉVRIER.

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liers de l'ère romantique, le spirituel recenseur n'avait oublié qu'une catégorie: celle des revenans.

Peut-être avait-il pensé, en voyant déjà verdoyer la mousse sur certaines pierres tumulaires, que les morts, captifs dans leur armure de bataille, avaient accepté pleinement le coup de grace de la destinée, et qu'ils se complaisaient maintenant dans le repos, comme ils s'étaient plu autrefois aux jeux les plus violens, les plus énergiques de l'activité humaine. L'ombre et le silence sont doux à celui qui a combattu sous le soleil, au milieu du fracas de la mêlée. D'ailleurs les résurrections spontanées sont impolitiques. Le passé n'est jamais bien accueilli, lorsqu'il reparaît de lui-même : immobile, résigné, il doit attendre dans le lointain que le présent le rappelle, par nécessité ou par caprice. On peut appliquer aux revenans la sentence prononcée contre les absens. Lazare aurait eu grand tort de se lever de son lit de pierre avant l'heure solennelle de l'évocation. Aujourd'hui plus que jamais les morts ont besoin d'un introducteur lorsqu'il leur prend fantaisie de venir passer la belle saison dans ce monde. Sceptiques comme don Juan, mais moins gracieux que lui, nous n'invitons plus à dîner les personnages fantastiques. Les ames en peine, autrefois si fêtées, trouvent difficilement une imagination naïve où se loger. Le Léthé n'est plus le fleuve des ombres. Par une déviation soudaine, il a franchi ses classiques rivages et s'est répandu sur le sol des vivans, qui l'ont fait servir à l'alimentation des châteaux-d'eau et des bornes-fontaines. Notre siècle boit chaque jour l'oubli de la veille. Aussi est-il fort mal disposé pour les fantômes en congé. Loin de s'en effrayer, il leur tape de la main sur l'épaule, et leur demande brutalement leur passeport.

L'époque n'est donc guère propice aux revenans. Nous sommes assez malheureux pour n'avoir ni préjugés, ni superstition. Les progrès du mouvement civilisateur tendent de plus en plus à interrompre les vieilles relations de l'univers fantastique avec le nôtre. Il n'y a sur la terre que M. Soumet dont on puisse dire ce que le moyen-âge disait de Dante : Voilà un homme qui est réellement descendu aux enfers!

Et cependant les romantiques reviennent. Il ne suffit plus désormais de compter les morts. Le critique, dont le domaine s'étend à mesure que celui de la littérature active se resserre, sera obligé dorénavant d'ouvrir une parenthèse pour les revenans; doux esprits qui cherchent de toutes leurs forces à revivre, et qui ne comprennent pas que la vie ne peut être une réminiscence! innocente illusion qu'on serait tenté de respecter, si des ambitions sans fondement ne se cachaient sous un faux air de candeur et de désintéressement! On ne veut, dit-on, qu'une seule chose : « Arriver à quelque estime dans l'esprit des véritables hommes de lettres. » Creusez ces paroles, et vous trouverez au fond une scène du Don Sanche de Corneille. Un fauteuil est vacant à l'Académie; Carlos arrive et prétend s'y asseoir.

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Tout beau! tout beau, Carlos! d'où vous vient cette audace,

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