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sensibles, à qui l'on reproche d'étendre leurs affections sur le genre humain, n'en aiment pas moins leur patrie. Son palais est ouvert aux malades, aux blessés, aux pauvres sans exception. Il engage ses revenus pour faire ouvrir des demeures à ceux qu'il ne saurait recevoir. Il leur rend les soins les plus charitables; il veille sur ceux qu'on doit leur rendre. Il n'est effrayé ni de la contagion, ni du spectacle de toutes les infirmités humaines rassemblées sous ses yeux. Il ne voit en eux que l'humanité souffrante Il les assiste, leur parle, les encourage. Oh! comment se défendre de quelque attendrissement, en voyant cet homme vénérable par son âge, par son rang, par ses lumières, tel qu'un génie bienfesant, au milieu de tous ces malheureux qui le bénissent, distribuer les consolations et les secours, et donner les plus touchans exemples de ces mêmes vertus dont il avait donné les plus touchantes leçons. La Harpe. Eloge de Fénélon.

Embrasement Du Vaisseau Le Devonshire. Duguay-Trouin s'avance; la victoire le suit. La ruse et l'audace, l'impétuosité de l'attaque et l'habileté de la manœuvre, l'ont rendu maître du vaisseau commandant. Cependant l'on combat de tous côtés: sur une vaste étendue de mer règne le carnage. On se mêle; les proues heurtent contre les proues; les manœuvres sont entrelacées dans les manœuvres; les flots sont teints de sang; les foudres qui se choquent, retentissent avec un bruit effroyable. Duguay-Trouin, parmi le tumulte et l'horreur, observe avec un œil tranquille la face du combat, pour porter des secours, réparer des défaites, ou achever des Victoires. Il aperçoit un vaisseau redoutable, armé de cent canons, défendu par une armée entière. C'est là qu'il porte ses coups. Il préfère, à la gloire d'un triomphe facile, l'honneur d'un combat dangereux. Deux fois il ose l'aborder, deux fois l'incendie qui s'allume dans le vaisseau ennemi l'oblige de s'écarter. Le Devonshire, semblable à un volcan allumé, tandis qu'il est consumé au-dedans, vomit au dehors des feux encore plus terribles. Les Anglais d'une main lancent des flammes; de l'autre ils tâchent d'éteindre celles qui les environnent. Duguay-Trouin frémit du sort de tant de braves ennemis; il n'eût désiré les vaincre que pour les sauver. Ce fut un hor. rible spectacle pour un cœur tel que le sien, de voir ce vaisseau immense brûler en pleine mer la lueur affreuse de l'embrasement, réfléchie au loin sur les flots, tant d'infortunés errans en furieux, ou palpitans immobiles au milieu des flammes; s'embrassant les uns les autres, ou se déchirant eux-mêmes; levant vers le ciel des bras consumés, ou précipitant leurs corps fumans dans la mer: d'entendre le mugissement de l'incendie, les hurlemens des mourans, les vœux de la religion mêlés aux cris du désespoir et aux imprécations de la rage, jusqu'au moment terrible où le vaisseau s'enfonce: l'abîne se referme, et tout disparaît. Puisse le génie de l'humanité mettre souvent de pareils tableaux devant les yeux des rois !

Themas.

Prise de Rio-Janeiro.

La nuit est destinée pour s'emparer d'un poste. O nuit affreuse ! nuit terrible! son silence est tout-à-coup troublé par les décharges de toute l'artillerie de Duguay-Trouin. En même temps, le ciel se couvre d'orages: le feu des éclairs qui se mêle au feu continuel et rapide des batteries; le bruit des canons joint aux éclats redoublés du tonnerre; les échos des rochers, les remparts qui s'écroulent, les mugissemens de la mer agitée par la tempête; tous ces objets réunis dans l'obscurité d'une nuit sombre, formaient autour de Rio-Janeiro une scène d'hor. reur et d'épouvante. Les habitans prennent la fuite. L'avarice emporte ses trésors avec elle au fond des bois et dans les cavernes des montagnes Les soldats étonnés cèdent eux-mêmes au torrent, ils fuient; leurs mains ont livré aux flammes les dépôts des richesses publiques; mais dans les entrailles de la terre ils ont caché des feux secrets destinés à les venger. Duguay-Trouin s'avance avec autant de précaution que s'il n'était pas vainqueur; il achève de mériter sa victoire en l'assurant. Quel spectacle pour ce héros, lorsque les Français, qui sur cette rive étrangère avaient gémi dans les prisons, portant sur leur visage défiguré l'empreinte de leur infortune; le front pâle, yeux éteints, le corps revêtu de lambeaux, vinrent en foule embrasser ses genoux, baisèrent sa main sanglante; et l'appelant cent fois leur libérateur, lui exprimèrent cette reconnaisance vive et sensible qui n'est connue que des malheureux ! Le même.

les

Duguay-Trouin enveloppé, avec un seul Bâtiment, par vingtet-un Vaisseaux de Guerre Ennemis, leur échappe.

Duguay-Trouin va être exposé à un des plus grands périls où se soit jamais trouvé un homme de mer. Vingt-et-un vaisseaux de guerre fondent sur lui, l'attaquent, et l'environnent. Déjà il en a mis un hors de combat; mais de quoi lui sert ce triomphe? Ses ennemis peuvent renaître vingt fois pour l'accabler. Tout-à-coup le vent tombe, le combat cesse, la nuit vient. Le héros, entouré de toutes parts, ne peut échapper; enfin, les Anglais tiennent enfermé cet homme terrible, qui tant de fois porta le carnage dans leurs vaisseaux. Cependant son ame n'est point abattue: il veut du moins dans sa défaite, entraîner une partie de ses vainqueurs. Dès que le jour paraîtra, il doit se jeter avec ses troupes dans le plus redoutable des vaisseaux ennemis. . Il a inspiré à tous ses officiers ce courage de désespoir, qui est le dernier sentiment d'une ame magnanime. Le sommeil ne peut suspendre ses inquiétudes. Pendant la nuit, il laisse tristement errer ses regards sur ses ennemis, sur la mer, sur ce ciel où bientôt va reparaître le jour qui sera témoin de son désastre. Tout-à-coup il aperçoit à l'horizon le présage d'un vent prêt à s'élever. Il donne des ordres, on obéit en silence ·

toutes ses voiles sont tendues, le vent s'élève, et son vaisseau s'échappe rapidement à travers les Anglais étonnés. Le même.

Les Ruines de Palmyre.

Le soleil venait de se coucher; un bandeau rougeâtre marquait encore sa trace à l'horizon lointain des monts de la Syrie: la pleine lune, à l'orient, s'élevait sur un fond bleuâtre, aux planes rives de l'Euphrate; le ciel était pur, l'air calme et serein; l'éclat mourant du jour tempérait l'horreur des ténèbres; la fraîcheur naissante de la nuit, calmait les feux de la terre embrasée; les pâtres avaient retiré leurs chameaux; l'œil n'apercevait plus aucun mouvement sur la plaine monotone et grisâtre; un vaste silence régnait sur le désert; seulement, à de longs intervalles, l'on entendait les lugubres cris de quelques oiseaux de nuit et de quelques chacals. L'ombre croissait, et déjà, dans le crépuscule, mes regards ne distinguaient plus que les fantômes blanchâtres des colonnes et des murs. Ces lieux solitaires, cette soirée paisible, cette scène majestueuse, imprimèrent à mon esprit un recueillement religieux. L'aspect d'une grande cité déserte, la mémoire des temps passés, la comparaison de l'état présent, tout éleva mon cœur à de hautes pensées. Je m'assis sur le tronc d'une colonne ; et là, le coude appuyé sur le genou, la tête soutenue sur la main, tantôt portant mes regards sur le désert, tantôt les fixant sur les ruines, je m'abandounai à une rêverie profonde.

Ici, me dis-je, ici fleurit jadis une ville opulente; ici fut le siége d'un empire puissant. Oui! ces lieux maintenant si déserts, jadis une multitude vivante animait leur enceinte; une foule active circulait dans ces routes aujourd'hui solitaires: en ces murs où règne un morne silence, retentissaient sans cesse le bruit des arts et les cris d'allégresse et de fête ces marbres amoncelés formaient des palais réguliers; ces colonnes abattues ornaient la majesté des temples; ces galeries écroulées dessinaient les places publiques. Là, pour les devoirs respectables de son culte, pour les soins touchaus de sa subsistance, affluait un peuple nombreux. Là, une industrie créatrice de jouissances appelait les richesses de tous les climats, et l'on voyait s'échanger la pourpre de Tyr pour le fil précieux de la Sérique; les tissus moelleux de Cachemire pour les tapis fastueux de la Lydie; l'ambre de la Baltique pour les perles et les parfums Arabes; l'or d'Ophir pour l'étain de Thulé.

Et maintenant, voilà ce qui subsiste de cette ville puissante, un lugu. bre squelette! Voilà ce qui reste d'une vaste domination, un souvenir obscur et vain! Au concours bruyant qui se pressait sous ces portiques, a succédé une solitude de mort. Le silence des tombeaux s'est substitué au murmure des places publiques. L'opulence d'une cité de cominerce s'est changée en une pauvreté hideuse. Les palais des rois sont devenus le repaire des fauves; les troupeaux parquent au seuil des temples, et les reptiles immondes habitent les sanctuaires des dieux!

Ah! comment s'est éclipsée tant de gloire! Comment se sont anéantis tant de travaux! Ainsi donc périssent les ouvrages des hommes ! Ainsi s'évanouissent les empires et les nations!

Volney. Les Ruines.

Combat des Messéniens et des Spartiates.

Tels que les feux du tonnerre, lorsqu'ils tombent dans les gouffres de l'Etna, et les embrasent, le volcan s'ébranle et mugit; il soulève ses flots bouillonnans; il les vomit de ses flancs qu'il entr'ouvre; il les lance contre les cieux qu'il ose braver. Indignée de son audace, la foudre chargée de nouveaux feux qu'elle a puisés dans la nue, redescend plus vite que l'éclair, frappe à coups redoublés le sommet de la montagne; et après avoir fait voler en éclats ses roches fumantes, elle impose silence à l'abîme, et le laisse couvert de cendres et de ruines éternelles. Tel Aristomène, à la tête des jeunes Messéniens, fond avec impétuosité sur l'élite des Spartiates, commandés par leur roi Anaxandre. Ses guerriers, à son exemple, s'élancent comme des lions ardens; mais leurs efforts se brisent contre cette masse immobile et aérissée de fer, où les passions les plus violentes se sont enflammées, et d'où les traits de la mort s'échappent sans interruption. Couverts de sang et de blessures, ils désespéraient de vaincre, lorsqu'Aristomène, se multipliant dans lui-même et dans ses soldats, fait plier le brave Anaxandre et sa redoutable cohorte; parcourt rapidement les bataillons ennemis; écarte les uns par sa valeur, les autres par sa présence; les disperse, les poursuit, et les laisse dans leur camp, ensevelis dans une consternation profonde. Barthélemy.

Combat des Egyptiens et des Tyriens, ou Mort de Bocchoris.

Les Egyptiens qui avaient appelé à leur secours les étrangers après avoir favorisé leur descente, attaquèrent les autres Egyptiens qui avaient le roi à leur tête. Je voyais ce roi qui animait les siens par son exemple, il paraissait comme le dieu Mars: des ruisseaux de sang coulaient autour de lui; les roues de son char étaient teintes d'un sang noir, épais, et écumant; à peine pouvaient-elles passer sur des tas de corps morts écrasés.

Če jeune roi, bien fait, vigoureux, d'une mine haute et fière, avait dans ses yeux la fureur et le désespoir; il était comme un beau cheval qui n'a point de bouche; son courage le poussait au hasard, et la sagesse ne modérait pas sa valeur. Il ne savait ni réparer ses fautes, ni donner des ordres précis, ni prévoir les maux qui le menaçaient, ni ménager les gens dont il avait le plus grand besoin. Ce n'était pas qu'il manquât de génie; ses lumières égalaient son courage: mais il n'avait jamais été instruit par la mauvaise fortune: ses maîtres avaient empoisonné, par la

fiatterie, son beau naturel. Il était enivré de sa puissance et de son bonheur; il croyait que tout devait céder à ses désirs fougueux: la moindre résistance enflammait sa colère. Alors il ne raisonnait plus, il était comme hors de lui-même; son orgueil furieux en fesait comme une bête farouche; sa bonté naturelle et sa droite raison l'abandonnaient en un instant; ses plus fidèles serviteurs étaient réduits à s'enfuir; il n'aimait plus que ceux qui flattaient ses passions. Ainsi, il prenait toujours des partis extrêmes contre ses véritables intérêts, et il forçait tous les gens de bien à détester sa folle conduite. Long-temps sa valeur le soutint contre la multitude de ses ennemis; mais enfin il fut accablé. Je le vis périr: le dard d'an Phénicien perça sa poitrine; les rênes lui échappèrent des mains, il tomba de son char sous les pieds des chevaux. Un soldat de l'île de Cypre lui coupa la tête, et, la prenant par les cheveux, il la montra, comme en triomphe, à toute l'armée victorieuse.

Je me souviendrai toute ma vie d'avoir vu cette tête qui nageait dans le sang, ces yeux fermés et éteints, ce visage pâle et défiguré, 、 cette bouche entr'ouverte qui semblait vouloir encore achever des paroles commencées, cet air superbe et menaçant que la mort même n'avait pu effacer. Toute ma vie, il sera peint devant mes yeux; et, si jamais les dieux me fesaient réguer, je n'oublierais point, après un si funeste exemple, qu'un roi n'est digne de commander, et n'est heureux dans sa puissance, qu'autant qu'il la soumet à la raison. Eh! quel malheur pour un homme destiné à faire le bonheur public, de n'être le maître de tant d'hommes que pour les rendre malheureux! Fénélon.

Combat de Télémaque et d'Hippias.

A peine Télémaque eut tiré cette épée, qu'Hippias, qui voulait profiter de l'avantage de sa force, se jette pour l'arracher des mains du jeune fils d'Ulysse, l'épée se rompt dans leurs mains: ils se saisissent et se serrent l'un l'autre. Les voilà comme deux bêtes cruelles qui cherchent à se déchirer; le feu brille dans leurs yeux; ils se raccourcissent, ils s'alongent, ils se baissent, ils se relèvent, ils s'élancent, ils sont altérés de sang. Les voilà aux prises, pieds contre pieds, mains contre mains: ces deux corps entrelacés paraissent n'en faire qu'un. Mais Hippias, d'un âge plus avancé, semblait devoir accabler Télémaque, dont la tendre jeunesse était moins nerveuse. Déjà Télé. maque, hors d'haleine, sentait ses genoux chanceler. Hippias, le voyant ébranlé redoublait ses efforts. C'était fait du fils d'Ulysse ; il allait porter la peine de sa témérité et de son emportement, si Minerve, qui veillait de loin sur lui, et qui ne le laissait dans cette extrémité de péril que pour l'instruire, n'eût déterminé la victoire en sa faveur.

Le même.

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