Images de page
PDF
ePub

dard-là, afin que vous ne veniez pas après me dire que je me fache ɛans sujet. Vous allez voir, vous allez voir. As-tu balayé l'escalier?

L'Ol. Oui, monsieur, depuis le haut jusqu'en bas.

M. Gri. Et la cour?

L'Ol. Si vous y trouvez une ordure comme cela, je veux perdre mes gages.

M. Gri. Tu n'as pas fait boire la mule ?

L'Ol. Ah! monsieur! demandezle aux voisins qui m'ont vu passer. M. Gri. Lui as-tu donné l'avoine?

L'Ol. Oui, monsieur, Guillaume y était présent.

M. Gri. Mais tu n'as pas porté ces bouteilles de quinquina où je

t'ai dit?

L'Ol. Pardonnez-moi, monsieur, et j'ai rapporté les vides.

M. Gri. Et mes lettres, les as-tu portées à la poste ?

L'Ol. Peste! monsieur, je n'ai eu garde d'y manquer.

M. Gri. Je t'ai défendu cent fois de racler ton maudit violon, cependant j'ai entendu ce matin--

L'Ol. Ce matin! Ne vous souvient-il pas que vous me le mîtes hier en mille pièces ?

M. Gri. Je gagerais que ces deux voies de bois sont encore--

L'OI. Que diable a-t-il mangé ?
Ar (le plaignant) Retire-toi.
Les mêmes.

Le Joueur dans sa Prison:

Essai de Monologue Dramatique.

On sait que dans le drame très-in-
téressant et très-moral de Bé-
verley, ce joueur malheureux,
après avoir tout perdu, après
avoir réduit à la mendicité sa
femme et ses enfans, est ren-
fermé
créanciers dans
ses
par
une prison, où il s'empoisonne
pour se délivrer de la vie. Le
monologue qui dans la pièce An-
glaise annonce cette catastrophe,
est plein des expressions les plus
vives de l'horreur et du déses-
poir. L'effet qu'il produit au
théâtre, et qui a paru trop vio-
lent à un grand nombre de spec-
tateurs, leur a fait demander s'il
ne serait pas possible d'y substi-
tuer une scène moins terrible et
plus touchante; c'est ce qu'on a
essayé dans le monologue sui-
d'a-
vant. On ne se flatte pas
voir réussi, mais on espère que
cette faible tentative pourra en-
gager nos meilleurs auteurs dra-
matiques à faire en ce genre des
efforts plus heureux, et l'on a-
pplaudira avec plaisir à leur succès.

L'Ol. Elles sont logées, monsieur. Vraiment, depuis cela, j'ai aidé à Guillaume à mettre dans le grenier une charretée de foin; j'ai Me voilà donc renfermé pour arrosé tous les arbres du jardin, j'ai jamais dans le lieu d'horreur et nettoyé les allées, j'ai bêché trois d'ignominie, 'où mes crimes devaient planches, et j'achevais l'autre quand enfin me conduire, dans l'exécrable séjour destiné aux plus odieux, vous avez frappé.

M. Gri. Oh; il faut que je aux plus méprisables des hommes. chasse ce coquin-là: jamais valet Hélas! combien de malheureux ne m'a fait enrager comme celui- qui ont langui dans ces cachots, et ci. Il me ferait mourir de chagrin. qui n'en sont sortis que pour expirer dans les tourmens et dans Hors d'ici.

l'opprobre, méritaient moins quefta fidelité, de ta patience, de ta dou moi leur horrible sort! ils n'étaient ceur inaltérable! Combien de fois, coupables qu'envers la société, je dans les transports de ma fureur, le suis envers la nature et l'amour !ton cœur, envers lequel j'étais si A quoi penses-tu, Justice humaine? coupable, a-t-il employé pour caltu punis les criminels, et tu laisses mer le mien, toutes les consolations respirer les monstres! Mais, que de l'amour! combien de fois tes dis-je? pourquoi me ferais-tu-goû-mains ont-elles essuyé les pleurs ter la funeste consolation de perdre de rage qui coulaient de mes yeux! cette vie qui m'est odieuse, ce jour Loin de m'accabler des reproches qui me punit et qui m'accable? tu que je méritais, tu n'étais occupée n'en accomplis que mieux les dé-qu'à adoucir ceux que je me fesais crets de la justice éternelle qui me à moi-même; chaque jour en me destinait à un châtiment plus a-revoyant, tu me revoyais plus couffreux. C'est mon coeur qui apable; mais tu me revoyais, et ton commis l'attentat, c'est dans mon amour oubliait tout, ou n'y songeait cœur que le Souverain Juge a pla-que pour le réparer. L'appareil cé mon supplice. O mort! que tu que tu mettais sur mes plaies, ne serais douce en comparaison des re-servait qu'à les rendre plus vives; mords dont je suis dévoré? tout aujourd'hui même, nous avons tous me déchire et rien ne me console ; deux comblé la mesure; toi, de ce la nécessité et le malheur, ces deux que la tendresse et la vertu poufaibles excuses du crime, ne sau-vaient faire, et moi, de tout ce que raient même en servir au mien. Je l'atrocité peut commettre. Tu jouissais d'un état honnête, d'une m'as sacrifié la seule ressource qui fortune considérable; je jouissais te restait: cette ressource est ende bien plus encore, du bonheur gloutie: il ne t'en reste plus que d'aimer et d'être aimé; l'exécrable dans ton cœur vertueux et désolé. soif de l'or est venue troubler la fé-Hélas! quelle sera la mienne! je licité de mes jours. De perfides n'ai pas même celle de mourir--amis, par leurs conseils et par leur Mais pourquoi cette ressource exemple, ont creusé sous mes pas me manquerait-elle! pourquoi n’ul'abîme qui m'engloutit; le mal-serais-je pas du funeste pouvoir heur d'une première faute, m'en aque j'ai de me la procurer? En fait faire mille autres pour la ré-horreur à moi-même et aux autres, parer: en cherchant à étouffer mes que ferais-je à l'avenir de cette vie remords, je les ai portés au comble; que l'Etre suprême m'avait dol'espérance même ne me reste plus.nnée pour la consacrer à mes semEncore si mon supplice n'était blables? Si sa justice veut me la que pour moi: mais qu'avais-tu laisser pour me punir, pourquoi sa fait pour le partager, vertueuse et puissance m'a-t-elle laissé les mochère épouse, respectable et mal-yens de me l'ôter? à qui mon aheureux objet de mon amour et de ffreuse existence peut-elle désormon désespoir! Si les tourmens mais être utile? serait-ce à servir que mon cœur éprouve justifient d'exemple aux malheureux qui sel'équité divine, ton malheur l'a-raient tentés de m'imiter? qu'ils ceuse et la condamne. Hélas! un redoutent plutôt de ma part l'exemsort si cruel devait-il être le prix ple de nouveaux forfaits. Je nai de tes charmes, de ta tendresse, deque trop éprouvé l'ascendant a

[ocr errors]

ffreux de la destinée qui me pour- isque je désire, en expirant, d'être suit, et qui a tourné contre moi les privé de la seule consolation qui efforts même que je fesais pour y pouvait me rester encore, l'espééchapper? Cher et malheureux rance d'exister dans ton souvenir! objet de mon amour, toi pour qui Et toi, Dieu vengeur, car les j'ai existé quelques momens, les tourmens qui me dévorent me seuls heureux de ma vie, toi pour crient que tu existes; si tu voulais qui seule j'aurais dû respirer, toi que je les endurasse, que ne me pour qui je ne suis plus digne de donnais-tu la force de les souffrir? vivre, pourquoi n'épargnerais-je Prends pitié de ma faiblesse, et pas à ton cœur la douleur de me pardonne-moi si j'y succombe: tu voir trainer mes jours dans la mi- m'es témoin que si je renonce à la sère et dans l'infamie? Ce cœur vie, ce n'est point pour échapper au que tu m'as si fidèlement conservé, supplice de mes remords, c'est lors même que je fesais tout pour pour épargner de nouveaux malle perdre, ce cœur était fait pour heurs à ce que j'aime, à celle qui un autre que pour le mien; que a si peu mérité ceux que je lui ai ma mort au moins le rende libre, déjà fait souffrir. Etre éternel que et lui permette d'en choisir un plus j'ai trop long-temps offensé, tendigne de lui. Puisses-tu trouver dresse conjugale que j'ai outragée; dans la tendresse d'une ame sen-et vous hommes mes semblables, sible et vertueuse, le bonheur que dont j'ai encouru l'exécration et le tu mérites! puisses-tu, en goûtant mépris, recevez le sacrifice que je ce bonheur, te souvenir quelquefois vous fais d'une vie dont je ne pouque tu le dois à la justice que je rrais que profaner l'usage: si j'ai vais me rendre! puisses-tu, en te vécu digne d'horreur, que je meure rappelant mes malheurs, mon re-au moins digne de regrets. Puissent pentir, et ma fin, donner quelques tous ceux qui à l'avenir imiteront larmes à ma mémoire! jusques ici mes désordres, imiter aussi la ma je ne t'en ai fait répandre que d'a-nière dont je m'en punis, et qu'on mères et de cruelles. Si tu dois lise un jour sur mon tombeau: Ce encore en verser pour moi, que ce n'est qu'en se donnant la mort qu'il soit au moins de ces larmes que la s'est montré digne de vivre. vertu paisible et heureuse donne au crime puni et repentant. Mais que dis-je ? oublie, s'il est possible, et mes forfaits et ma personne, et Qu'ai-je fait !-serait-ce un noujusqu'à mon nom; je t'ai rendue vel attentat d'avoir vengé par ma trop malheureuse de mon vivant, mort, Dieu, mon épouse, et les pour ne pas souhaiter que ton cœur hommes ?--non, non, c'est un crioppressé respire au moins quand minel dont j'ai fait justice. Qu'one j'aurai cessé de vivre, et ne soit sombre et affreuse tranquillité sucplus troublé d'un sentiment dou- cède au désespoir qui me déchiloureux dont je serais encore le rait; que le froid mortel qui va coupable objet. Puisse, hélas! glacer mes sens pénètre jusqu'à puisse au moins ce dernier vœu de mon cœur: l'engourdissement de mon désespoir parvenir jusqu'à toi, l'ame est la seule consolation qui et te faire juger combien je suis à me reste. Eternité que j'attends, plaindre malgré mes crimes, pu-que je désire et que je craius, je

(Il avale le poison.)

ne te demande point un bonheur Je ne ferai jamais rien de tout dont je suis indigne; l'affaissement cela.

que j'éprouve est l'unique bien que O mon génie, où es-tu? Mon je te prie de ne me pas ôter; ne talent, qu' es-tu devenu? Tout mon me laisse d'existence que ce qu'il feu s'est éteint, mon imagination faudra pour le sentir, et pour savoir s'est glacée, le marbre sort froid de que la justice suprême a rendu en-mes mains.

fin plus heureuse celle que j'aimais! Pygmalion, ne fais plus des Qui la conduit ici? ô Dieu, vous dieux: tu n'es qu'un vulgaire arne m'aviez pas préparé à ce nou- tiste.-Vils instrumens, qui n'êtes veau supplice!-faut-il mourir tant plus ceux de ma gloire, allez, ne de fois en un jour! déshonorez point mes mains!

D'Alembert, Euvres Posthumes. (Il jette avec dédain ses outils, puis

PYGMALION.

Scène Lyrique.

PERSONNAGES.

Pygmalion, Sculpteur.

se promène quelque temps en rêvant, les bras croisés.)

Que suis-je devenu? Quelle étrange révolution s'est faite en moi?

Tyr, ville opulente et superbe, les monumens des arts dont tu brilles ne m'attirent plus; j'ai perdu le goût que je prenais à les admirer: le commerce des artistes

Galathée, ou la statue qui s'anime. et des philosophes me devient in

La Scène se passe à Tyr dans telier de Pygmalion.

l'A-des poétes est sans attraits pour sipide; l'entretien des peintres et moi: la louange et la gloire n'élèvent plus mon ame; les éloges

pos

Le théâtre représente un atelier de de ceux qui en recevront de la sculpteur: sur les côtés on voit térité ne me touchent plus; l'amides blocs de marbre, des groupes, tié même a perdu pour moi ses des statues ébauchées. Dans le charmes. fond est une autre statue cachée sous un pavillon, d'une étoffe lé-d'oeuvre de la nature que mon art Et vous, jeunes objets, chefsgère et brillante, orné de cré-osait imiter, et sur les pas desquels pines et de guirlandes. Pygmalion, assis et accoudé, rêve vous, mes charmans modèles, qui les plaisirs m'attiraient sans cesse, dans l'attitude d'un homme in-m'embrasiez à la fois des feux de quiet et triste, puis se levant l'amour et du génie ! depuis que je tout-à-coup, il prend sur une ta- vous ai surpassés, vous m'êtes tous ble les outils de son art, va do- indifférens.

nner par intervalles quelques (Il s'assied et contemple autour de coups de ciseau sur quelques

unes de ses ébauches, se recule

consterné.

lui.)

Retenu dans cet atelier par un

et regarde d'un air mécontent et charme inconcevable, je n'y sais rien faire, et je ne puis m'en éloigner. J'erre de groupe en groupe,

Pyg. Il n'y a point là d'ame ni de figure en figure; mon ciseau de vie; ce n'est que de la pierre. faible, incertain, ne reconnaît plus

son guide: ces ouvrages grossiers ble ne doit manquer à un objet si restés à leur timide ébauche ne charmant-peut-être cet objet_rasentent plus la main qui jadis les nimera-t-il mon imagination laneût animés. guissante. Il la faut revoir, l'exa

(Il se lève impétueusement.) miner de nouveau. Que dis-je ? C'en est fait, c'en est fait; j'ai Eh! je ne l'ai point encore examiperdu mon génie-si jeune encore, née: je n'ai fait jusqu'ici que l'adje survis à mon talent! mirer.

Mais quelle est donc cette ar-(Il va pour lever le voile et le laisse deur interne qui me dévore? qu'ai- tomber comme effrayé.) je en moi qui semble m'embraser? Je ne sais quelle émotion j'équoi! dans la langueur d'un génie prouve en touchant ce voile; une éteint, sent-on ces émotions, sent-frayeur me saisit; je crois toucher on ces élans des passions impétu-au sanctuaire de quelque divinité. euses, cette inquiétude insurmon-Pygmalion, c'est une pierre; c'est table, cette agitation secrète qui me ton ouvrage qu'importe? On sert tourmente, et dont je ne puis dé-des dieux dans nos temples qui ne mêler la cause? sont pas d'une autre matière, et J'ai craint que l'admiration de n'ont pas été faits d'une autre main. mon propre ouvrage ne causât la (Il lève le voile en tremblant, et distraction que j'apportais à mes travaux ; je l'ai caché sous ce voile -mes profanes mains ont osé couvrir ce monument de leur gloire. Depuis que je ne le vois plus, je suis plus triste, et ne suis pas plus attentif.

se prosterne. On voit la statue de Galathée posée sur un piédestal fort petit, mais exhaussé par un gradin de marbre, formé de quelques marches demi-circulaires.)

O Galathée ! recevez mon hoQu'il va m'être cher, qu'il vammage. Oui, je me suis trompé : m'être précieux, cet immortel ou-j'ai voulu vous faire nymphe, et je vrage! Quand mon esprit éteint vous ai faite déesse. Vénus même

ne produira plus rien de grand, defest moins belle que vous. beau, de digne de moi, je montrerai Vanité, faiblesse humaine! je ne ma Galathée, et je dirai: Voilà puis me lasser d'admirer mon oumon ouvrage. O ma Galathée!vrage; je m'enivre d'amour proquand j'aurai tout perdu, tu me pre; je m'adore dans ce que j'ai resteras, et je serai consolé. fait. Non, jamais rien de si beau (Il s'approche du pavillon, puis se ne parut dans la nature; j'ai passé relire, va, vient, et s'arrête quel-l'ouvrage des dieux-quefois à la regarder en soupi- Quoi! tant de beautés sortent de rant.) mes mains! Mes mains les ont Mais pourquoi la cacher? Qu'est-donc touchées ?---ma bouche a ce que j'y gagne? Réduit à l'oi-donc pu---Je vois un défaut; ce siveté, pourquoi m'ôter le plaisir de vêtement couvre trop le nu; il contempler la plus belle de mes faut l'échancrer davantage; les œuvres?. -Peut-être y reste-t-il charmes qu'il recèle doivent être quelque défaut que je n'ai pas re-mieux annoncés.

il

marqué; peut-être pourrai-je en-(Il prend son maillet et son ciseau, core ajouter quelque ornement à puis s'avançant lentement, la parure; aucune grâce imagina- monte, en hésitant, les gradine

« PrécédentContinuer »