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Napoléon de soulever la pierre de son tombeau, de se promener dans Paris et de s'enquérir de ce qui se passe dans cet Empire ressuscité sous les traits de son neveu. Puis, à l'aube, il se recouche dans son sépulcre monumental, et, si nous étions encore sous Louis-Philippe, je dirais que le chant du coq met en fuite l'aigle changé en oiseau de nuit.

Il ne sait rien, il s'avance sous ce ciel étoilé, le long de ces maisons silencieuses, en proie à une vague inquiétude. Le 5 mai 1870, tout, selon les politiques du moment, se réduisait à savoir ce que répondrait le plébiscite, et tout paraissait sauvé, si l'on recueillait des millions de oui; ces oui du suffrage universel, plus décevants encore que les oui de jeunes filles. - Combien de oui ? - Sept millions. Bon! le trône de mon neveu est plus solide que jamais. - Mais voici qu'à chaque question nouvelle répondent les sauvages ricanements des fédérés, le canon d'Issy et de Vanves, la fusillade de Neuilly, les cris de Vive la Commune! le grincement des cordes prêtes à déboulonner la colonne... Pauvre Empereur ! Tout à l'heure il ne savait rien; maintenant il en sait trop. Des

B

passants attardés lui racontent en détail le lamentable épilogue destiné à tuer tout le poème. Il évoque Palikao, Le Bœuf, Canrobert, Bourbaki; on lui répond Bergeret, Cluseret, Rossel... O surprise! ô honte! ô misère ! quel revers à cette médaille militaire, frappée par Raffet à l'effigie du demi-dieu des batailles! Dans cette revue nocturne, la dernière, Duroc, Davoust, Lannes, Bertrand, Ney, Caulaincourt, Soult, Rapp, Suchet, s'appellent Régère, Ferré, Félix Pyat, Paschal Grousset, Eudes, Razoua... Et quelle leçon ! Voltaire, en nous grisant de son esprit, nous avait conduits aux Fourches Caudines de Sedan; Bonaparte, en nous enivrant de son génie et de ses conquêtes, nous a précipités, de chute en chute, jusqu'au règne des incendiaires et des assassins. Deux fois en un siècle, notre malheureuse France, dupe de son imagination, a été punie, horriblement punie, pour avoir préféré le strass au diamant, le clinquant à l'or, le mensonge à la vérité, le feu follet au phare, l'oppresseur au guide, le mirage au port, l'orgueil de ses idées ou de ses victoires au bonheur, à l'obéissance facile, à la paix, à la justice, à la foi !

N'y aurait-il, dans les Dialogues des vivants

et des morts, que ce beau chapitre,-Le Cing Mai 1871, ce serait assez pour nous donner envie de les lire et de les méditer après les avoir lus.

De Napoléon à Gambetta, la chute est lourde; le bronze de la colonne se change en pain d'épice, le clairon de Marengo en mirliton de la foire de Saint-Cloud, les quarante siècles des Pyramides en quarante chopes du café de Madrid; le rival d'Alexandre en émule de Godard. Autant en emporte le vent, de ses ballons et de ses dépêches, de ses harangues et de ses blagues, de ses inventions stratégiques, financières et géographiques, des victoires qu'il imagine, des boniments qu'il débite, des ovations qu'il escamote, des milliards qu'il gaspille, des bulletins qu'il prodigue, des généraux qu'il improvise, de tout ce qu'il essaie de créer et de tout ce qu'il réussit à détruire. Ballon et balcon, le voilà tout entier; le ballon, pour s'évader de Paris, le balcon pour bavarder en province. Cette faconde, qui sonne creux, a besoin de tomber des nues ou de vibrer au grand air. Condamné à la terre ferme et à la clôture, elle laisserait trop voir ou trop entendre ce qu'elle a de vulgaire, de déclamatoire, de dérisoire et de

vide. Tout a été dit sur cet illustre Gaudissart de la défaite, qui a cru être en même temps Carnot, Dumouriez et Mirabeau, et qui n'a été que Gambetta, sur cet ordonnateur du désordre, qui a prolongé l'agonie, décrété la ruine, légalisé l'arbitraire, remplacé la loi, envenimė la guerre, paralysé les généraux, enrichi ses amis, épuisé la France, démoralisé les masses, fait des jeunes gens de nos campagnes des êtres hybrides qui n'étaient ni paysans, ni soldats, préparé des électeurs. aux scrutins communistes du 2 juillet et du 8 octobre, rendu possibles et laissé impunis les crimes de Perpignan et de Saint-Etienne, les orgies du drapeau rouge, les saturnales de Lyon et de Marseille, le pillage des couvents, l'emprisonnement des curés, l'opprobre garibaldien, les préludes de la Commune, les sacriléges de Dôle et d'Autun, les friponneries des subalternes, les proconsulats des Duportal, des Bertholon, des Esquiros, les sanglantes déroutes des armées de la Loire et de l'Est. Trois mois de vacances en Espagne lui ont suffi pour reparaître pimpant, parlant, content de lui, sûr des autres, prêt à une nouvelle dictature, approvisionné de nouveaux discours, chef de parti, blanc

comme neige tout en restant rouge, traité par M. Thiers de puissance à puissance, en paix avec sa conscience, et invoquant, non pas l'oubli qui amnistie, mais la mémoire qui récompense. Et la France, sa victime, ne lui a pas donné tort! Et la démocratie, sa dupe, lui a donné raison ! Nous aurions, hélas! à créer un mot, fait de stupeur et d'épouvante, de douleur et de désespoir, pour exprimer ce que nous avons ressenti, depuis deux ans, sous les coups réitérés qui nous écrasent... Hé bien! je le déclare, une de mes plus vives et plus douloureuses surprises a été la résurrection politique de M. Gambetta!...

Mais, me dites-vous, on lui sait gré d'avoir ranimé notre confiance en nous-mêmes, d'avoir entretenu nos illusions, d'avoir donné à notre amour-propre national ses dernières jouissances, de nous avoir fait croire un instant que nous pouvions encore vaincre, quand la défaite était irréparable... Amère raillerie! ranimer la confiance pour aggraver la faillite! caresser l'illusion pour rendre la réalité plus cruelle bercer notre amour-propre de mensonges, pour que la vérité soit plus impitoyable!

B*

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