Images de page
PDF
ePub

COMMENTAIRES

DE

JEHAN CALVIN

SUR LE

LIVRE DES PSEAUMES

Avec une table fort ample des principaux points traittez és Commentaires.

PSEAUMES LXIX A CL

TOME SECOND

PARIS

LIBRAIRIE DE CH. MEYRUEIS ET COMPAGNIE

RUE DE RIVOLI, 174

COMMENTAIRES

DE

JEHAN CALVIN

SUR LE

LIVRE DES PSEAUMES

ARGUMENT.

PSEAUME LXIX.

Ce Pseaume a affinité avec le vingt et deuxième : car David se complaind au commencement des injures atroces de ses ennemis, et de leur violence plene de cruauté : toutesfois il afferme qu'il ne s'en trouble point tellement, qu'il ne se contiene patiemment sous la protection de Dieu, et qu'il ne poursuyve à vivre en intégrité. Mesmes il tesmoigne que c'est à cause de sa piété, et pour s'estre monstré vaillant à maintenir la gloire de Dieu, que tous luy sont faits ennemis. Or après qu'il s'est complaint derechef qu'il n'est pas moins ignominieusement que cruellement oppressé par ses adversaires, il prie à Dieu qu'il leur envoye la punition qu'ils ont méritée. Sur la fin s'esjouissant comme ayant gaigné la victoire, il fait promesse à Dieu de luy faire un sacrifice solennel de louange.

Au maistre chantre, sur Sosanim de David.

2 O Dieu sauve-moy, car les eaux sont entrées jusques à l'âme.

3 Je suis enfondré en un bourbier profond, où il n'y a point de fermeté : je suis entré aux profonditez des eaux, et le flot1 de l'eau m'a tout couvert.

Je suis las de crier, mon gosier en est enroué mes yeux sont défaillis, attendans après mon Dieu,

5 Ceux qui me hayssent sans cause, passent en nombre les cheveux de ma teste: mes ennemis mensongers qui désirent de me perdre, sont augmentez2 : ce que je n'ay point ravy, lors je l'ay rendu.

6 0 Dieu tu cognois ma folie : et mes délits ne te sont point cachez.

[blocks in formation]

4 Sur Sosanim. Nous avons traitté | ment de quelque chanson. Combien que ailleurs de ce mot Sosanim. Comme en si on l'aime mieux prendre pour un inune chose incertaine et obscure, je sous-strument de musique, je n'en déba point. signe volontiers à la conjecture de ceux Quant à ceux qui devinent que ce Pseaume qui estiment que c'estoit le commence- a esté composé au prim-temps, quand les

ont esté plenes de troubles et confusions.

:

lis commencent à fleurir, ne disent rien à propos. Or avant que passer outre, il 4 Je suis las de crier. C'a esté un nous faut noter que David n'a pas tant escrit ce Pseaume en son privé nom, exemple de patience rare et admirable en qu'en la personne de toute l'Eglise, quand David, de chercher et invoquer Dieu, lors il portoit l'image du Chef, comme il ap- que ses affaires estoyent en un estat si perra mieux par la suyte du texte. Ce qui confus et désespéré. Or David se comest fort digne d'estre noté, afin que nous plaind de ce qu'en criant jusques à devesoyons plus attentifs à ce miroir, auquel | nir enroué, s'est lassé sans y avoir rien nous est proposé la condition commune proufité. Par ce mot de Lassé, il n'entend de tous fidèles. Au reste je suis de cest pas qu'il ait désisté, comme ayant rejetté advis que David n'a pas yci comprins une au loing toute affection de prier, après seule persécution, mais tous les maux avoir veu qu'il n'y gaignoit rien mais qu'il avoit endurez par longues années. plustost il descrit une persévérance indé20 Dieu sauve-moy, car les eaux, etc. fatigable, comme il fait aussi par le goSous la figure des eaux, il descrit qu'il asier enroué et les yeux défaillans. Ce esté accablé de maux extrêmes jusques n'est pas certes qu'il ait eslevé sa voix au désespoir toutesfois nous sçavons devant les hommes par ambition, et ceste qu'il n'estoit ne délicat ny efféminé, veu enroueure n'a pas esté gaignée en un seul que par une vertu incroyable il a sur-jour. Nous voyons doncques, combien monté des tentations horribles: dont que les sens corporels luy défaillissent, nous pouvons recueillir en quelles an- que la vigueur de sa foy n'a pas toutesgoisses il estoit pour lors réduit. Aucuns, fois esté esteinte. Or veu que David a à mon jugement, prenent trop froidement parlé comme de la bouche de Christ, et ce mot d'áme, pour la vie : j'estime plus- de celle de tous fidèles, entant qu'ils sont tost que par iceluy est signifié le cœur. membres de Christ, nous ne devons pas Car combien qu'aucun soit tombé en un trouver absurde, si quelquesfois nous profond gouffre, si est-ce qu'il pourra sommes tellement accablez de la mort, pour quelque temps, en bouschant sa qu'il ne nous apparoist aucune estincelle bouche et ses narines, empescher que les de vie. Mesmes quand Dieu nous espareaux n'entrent en son corps: mais enfin, gne, il nous faut de bonne heure apd'autant que nous ne pouvons pas vivre prester à ceste méditation, asçavoir qu'il sans respiration, l'estouffement le con- faut qu'és plus profons abysmes de maux traindra de donner entrée aux ceaux, tel- la foy nous soustiene, mesmes nous eslement qu'elles pénétreront jusques au lève à Dieu : comme (tesmoin sainct Paul) cœur. Voyci que veut dire David par il n'y a nulle hauteur ou profondeur qui ceste similitude, Qu'il n'a pas esté seule- nous puisse séparer de son amour infiment couvert des eaux, mais que force nie 1, qui engloutit tous les abysmes et luy a esté de les engouler. Puis il com- tous les enfers. pare ses afflictions à un bourbier profond, où il y a encores plus de danger car si quelqu'un assied son pied en terre ferme, il pourra se remettre au-dessus, comme nous en voyons plusieurs qui donnans du pied au fond de roideur, trouvent façon d'eschapper le péril de l'eau : mais depuis qu'on se trouve une fois enfoncé en quelque bourbier ou rivière limoneuse, c'est fait, il n'y a nul moyen de se sauver. Il adjouste maintenant aussi d'autres circonstances, asçavoir Qu'il a esté emporté par la force de l'eau, par lequel propos il entend que ses tormens et persécutions

5 Ceux qui me hayssent sans cause. Il exprime maintenant sans figure ce qu'il avoit dit avec les similitudes tant du bourbier que du cours violent des eaux. Car veu qu'il avoit une si grande multitude d'ennemis qui le poursuyvoyent, c'estoit à bon droict qu'il craignoit une infinité de morts. Et ce n'est pas une façon de parler hyperbolique, c'est-à-dire excessive, quand il dit Qu'ils passent en nombre les cheveux de sa teste, veu qu'il estoit hay de mort, et en détestation à

1) Rom. VIII, 89.

tout le peuple car tous avoyent ceste, et meschant: et nous sçavons aussi persuasion de luy, que c'estoit un mes- qu'ils estoyent en tout honneur réputez chant et desloyal traistre du pays. En pour tels. Parquoy apprenons à cest exemaprès, nous sçavons par la saincte His- ple de nous apprester non-seulement à toire, la grande quantité de gens et les porter patiemment toutes incommoditez puissantes armées que Saül mettoit après et molestes, voire la mort mesmes, mais à le poursuyvre. Il exprime la haine mor- aussi les ignominies et opprobres, si queltelle, disant qu'ils sont affectionnez à sa quesfois il advient que nous soyons greruine, pource qu'ils désiroyent qu'il fust vez par fausses calomnies. Et veu que retranché et toutesfois il dit que c'est Jésus-Christ mesme, qui est la fontaine sans l'avoir mérité qu'il est si durement de toute justice et saincteté, n'a point affligé car le mot hébrieu qu'aucuns esté exempt de fausses calomnies, pourtournent, Pour néant, vaut autant à dire quoy serons-nous esperdus d'estre en qu'ils sont menez d'un appétit de nuire, pareille condition, veu que c'est la vraye sans avoir esté en rien offensez, ny aussi espreuve de nostre intégrité, quand nous incitez par aucun sien mesfait. Voylà persévérons constamment à suyvre juspourquoy il appelle ses ennemis menson- tice? combien que nous en rapportions gers, asçavoir qui n'avoyent nulle raison du monde un si inique loyer. de luy faire la guerre. Par ainsi il nous faut mettre peine à son exemple, si quelquesfois nous sommes affligez, que le tesmoignage de nostre bonne conscience nous soustiene, et que nous puissions dire franchement devant Dieu, que nos ennemis nous hayssent sans cause. Et tant plus qu'il est difficile de s'accoustumer à une telle modestie, d'autant plus y faut-il mettre peine et s'y efforcer. Or la délicateté sotte et inepte de ceux, ausquels il semble estre une chose intolérable d'estre affligé injustement, est bien à point réfutée par ceste noble response de Socrates. Car un jour que sa femme se lamentoit en la prison de ce qu'il estoit condamné à tort, Quoy doncques dit-il, voudrois-tu mieux que je fusse mené à la mort pour mes mesfaits? David adjouste conséquemment qu'il n'a pas seulement esté affligé de torts et outrages, mais qu'il a aussi enduré plusieurs opprobres et ignominies, comme s'il eust esté convaincu de plusieurs meschancetez ce qui est plus grief à porter que cent morts. Car on en trouvera plusieurs qui seront tout prests et appareillez d'aller à la mort, lesquels n'auront pas une mesme constance à porter une ignominie. Or David dit que non-seulement ses biens luy ont esté ravis par les voleurs, mais qu'il a esté mutilé en guise d'un larron ou brigand. Et certes quand ses ennemis le destroussoyent, ils se vantoyent qu'ils estoyent les juges d'un homme pervers

6 0 Dieu tu cognois ma folie. Sainct Augustin se tormente sans cause pour monstrer comment ceci compète à JésusChrist: et finalement il transfère aux membres ce qui n'eust point esté proprement dit du chef. Car David parle par ironie, par laquelle façon de parler il monstre qu'estant accablé des jugemens iniques des hommes, il se retire vers Dieu, et le prie de faire la vengence. Or ceci a beaucoup plus de véhémence, que s'il eust dit clairement et sans figure, que Dieu cognoist son intégrité : car en ceste sorte il donne une atteinte picquante à ses ennemis, et comme d'un lieu haut il mesprise leurs détractions: comme aussi Jérémie dit, O Seigneur tu m'as déceu, et je suis déceu 1. Lequel passage aussi est tiré par les cheveux par quelques gens ignorans, comme si le Prophète affermoit de faict qu'il a esté déceu, au lieu que plustost il se mocque de ses calomniateurs en les picquant d'autant qu'en le réprouvant, ils addressent leurs outrages et blasphèmes contre Dieu mesme. David fait le semblable en ce passage: afin qu'il ne succombe sous les jugemens pervers des hommes, il met Dieu en avant pour estre juge de sa cause et pource qu'il se sent avoir bonne conscience, aussi il tient bien peu de conte de toutes les opinions des hommes. Il seroit bien à désirer que nostre rondeur fust aussi cognue

1) Jer. XX, 7.

« PrécédentContinuer »