Images de page
PDF
ePub

-- PARIS

IMPRIMERIE DE J. CLAYE ET Co

RUE SAINT-BENOÎT, 7

DE LA

LITTÉRATURE

DRAMATIQUE

PAR

M. JULES JANIN

« Tels étaient les chefs et les princes;
mais quand j'aurais dix bouches, dix
langues et une voix infatigable, je ne
pourrais dire, je ne pourrais nommer
la multitude des soldats. >>

HOMERE

TOME TROISIÈME.

-400

PARIS

MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS

RUE VIVIENNE, 2 BIS

1873, Apr. 24.

Minot Fund.

DE LA

LITTÉRATURE DRAMATIQUE

CHAPITRE PREMIER

Je voudrais raconter maintenant les travaux, les luttes, les ts, les espérances, les déceptions, les défaites, les victoires l'école moderne et des poëtes nouveaux (on ne parle ici que vrais poëtes) qui, depuis tantôt un quart de siècle et au a, sont à la fois le charme et l'esprit de l'Europe, le repos, talent, l'orgueil et même le conseil de la France.

its ont conquis (les deux ou trois hommes dont je parle), à force de zèle, de travail et de génie, une popularité sans égale. Is ont passé à travers bien des périls! Ils ont donné de grands Exaples de probité, de courage, de générosité, de patience! Js ont, les premiers dans ce siècle, indiqué le chemin qu'il fallait suivre; ils ont parlé, les premiers, des droits et des devoirs de la liberté humaine. La révolution de Juillet était à peine accomplie (avec quelle intelligence et quel éclat, l'histoire seule peut le dire!) que déjà le plus grand poëte de notre âge (en comptant M. de Chateaubriand lui-même), dans un moment d'enthousiasme dont la presse de ce pays ne s'est pas assez souvenue, prenait en main la défense de la presse insultée :

« Oui, disait M. de Lamartine, j'ai trop l'intelligence de mon « époque pour répéter cet`absurde non-sens, cette injurieuse inep<< tie contre la presse périodique ; je comprends trop bien l'œuvre << dont la Providence l'a chargée. Avant que ce siècle soit fermé, « le journalisme sera toute la presse, et toute la pensée humaine. <«< Depuis cette multiplication prodigieuse que l'art a donnée à la << parole, multiplication qui se multipliera mille fois encore, l'hu«<manité écrira son livre, jour par jour, heure par heure, page << par page; la pensée se répandra dans le monde avec la rapidité « de la lumière. Aussitôt conçue, aussitôt écrite, aussitôt entendue << aux extrémités de la terre, elle courra d'un pôle à l'autre, subite, << instantanée et brûlante de la chaleur de l'âme qui l'aura fait << éclore; ce sera le règne du verbe humain dans toute sa pléni<< tude; elle n'aura pas le temps de mûrir, et de s'accumuler sous << la forme de livre, le livre arriverait trop tard; le seul livre pos «<sible dès aujourd'hui, c'est le journal ! »

Magnifique parole, et bien digne de cet esprit qui fut grand entre tous les esprits de ce siècle! Et notez bien que nous ne citons pas tout le discours, nous nous rappelons que nous parlons surtout, dans ce livre, où tant de souvenirs nous arrivent en foule, de l'art dramatique, et si l'on nous rencontre souvent en deçà ou au delà du théâtre, c'est que, en effet, le théâtre a touché à toutes les révolutions du XIXe siècle, et que, véritablement, nous ne pouvons pas traiter l'art de soulever et d'apaiser les passions les plus opposées, comme on traiterait la haine ou l'amour d'un seul homme! Le nom du théâtre est: Légion; son œuvre est l'œuvre de tous, et l'on ne fera jamais l'histoire de l'art dramatique, en racontant uniquement l'émotion publique, à commencer au moment où la toile se lève au milieu du silence universel, à finir au moment où la toile tombe au milieu de la louange publique ou de la répulsion unanime. A cette louange, il y a certainement un motif, hors de la salle où tout ce peuple applaudit; à ces sifflets pour peu qu'on la cherche, on trouvera une raison loin du théâtre où cette foule est entrée apportant avec elle ses vengeances, ses répulsions, ses vices et ses vertus de chaque jour.

Est deus in nobis, dit le poëte; oui... le dieu est en nous; il est aussi hors de nous; nous-mêmes les spectateurs, nous sommes le dieu quand nous écoutons un drame; le dieu qui tue ou qui

« PrécédentContinuer »