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LA PHILOSOPHIE SOCIALE ET POLITIQUE AU 18 SIÈCLE

MONTESQUIEU & J.-J. ROUSSEAU

ESPRIT DES LOIS, LIVRE I

CONTRAT SOCIAL, LIVRES I ET II

ÉDITION CLASSIQUE

AVEC INTRODUCTION ET NOTES

PAR

HENRI JOLY

STANFORD LIBAR-

PARIS

LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE

RUE BONAPARTE, 90

1900

844.5 M77ejo

612765

LA

SOCIÉTÉ ET LA NATURE

AU XVIII SIÈCLE

Notre dix-septième siècle avait eu, entre autres gloires, celle de pousser très loin la connaissance de l'homme intérieur et la connaissance de Dieu. Avait-il été en même temps un siècle scientifique? Oui, et l'un des plus grands qu'ait eus l'humanité. Mais dans la science qu'on appelle aujourd'hui positive, il avait surtout cultivé l'étude mathématique des forces abstraites et les lois du mécanisme universel, où d'ailleurs ses savants comme ses philosophes voyaient l'expression immuable des perfections divines. Mais la nature proprement dite, la nature vivante lui avait été à peu près indifférente : il n'avait pas plus cherché à donner de ses phénomènes une explication distincte qu'il ne s'était soucié de la peindre dans son art. Il ne s'était pas non plus préoccupé de la science de la société. Il tenait pour évident que les sociétés aussi bien que les individus étaient soumis aux lois qu'il avait plu à Dieu de leur donner. Cela lui suffisait.

Le dix-huitième siècle essaya de combler ces lacunes. La nature que ses savants cherchèrent à expliquer, ses écrivains la décrivirent et la chantèrent. Ils ne l'aimaient pas seulement dans la verdure et dans les eaux et dans les paysages que n'avait point gâtés un art convenu : ils l'ai

CONTRAT SOCIAL.

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LA SOCIÉTÉ ET LA NATURE.

mèrent dans les mœurs des animaux et dans les inclinations, dans les faiblesses surtout de l'humanité s'abandonnant à son cœur et à ses sens. Enfin ils tinrent à savoir ce que la société humaine, son gouvernement, ses lois, ses actions, doivent, non plus tant à Dieu et à sa providence qu'à cette nature si étendue, si riche et si complexe : c'est vers la nature, en un mot, qu'ils se portent de tous côtés, autant par esprit d'émancipation que par esprit de curiosité.

A ces efforts pour rapprocher, pour unir la science de la nature et celle de la société, deux hommes surtout prennent une part considérable; ce sont Montesquieu et Rousseau. Mais les différences qui les séparent sont saillantes.

Le premier, qui n'a pas perdu l'héritage de la grandiose simplicité du siècle précédent, croit en un Dieu législateur. Il estime que l'homme est soumis aux influences de la nature, en vertu des lois que Dieu a imposées à tous les êtres, quels qu'ils soient, de cet univers. Il pense que l'homme et ses œuvres, ses institutions et ses lois, n'ont pu et ne pourront jamais s'affranchir de l'action de la nature des choses. C'est cette action persistante qu'il se propose d'étudier.

Le second, qui est d'abord ennemi de toute contrainte, se plaît à supposer que l'homme était né bon et qu'il était fait pour vivre dans sa bonté primitive sans aucune entrave ni sujétion d'aucune espèce. Puis il suppose que par suite d'accidents malheureux, l'homme est sorti de cet isolement, condition de l'indépendance, et que pour la généralité des hommes la rupture a été aussi irrémédiable que profonde. Dès lors, par une révolution brusque et par un effort de réaction non moins excessif que son erreur première, le théoricien veut que tout soit remis en question. Il faut qu'à cette nature corrompue

soit substitué de toutes pièces un état où l'on refera l'humanité systématiquement et souverainement.

L'étude que nous allons faire d'importants fragments de ces deux écrivains va préciser et éclairer ce court résumé.

MONTESQUIEU

Montesquieu (Charles Louis de Secondat), naquit le 18 janvier 1689, au château de la Brède, près de Bordeaux.

« Son père, dit M. Albert Sorel, avait de l'austérité aristocratique à la Vauban et à la Catinat; sa mère était pieuse; l'un et l'autre étaient de ces nobles qui se font peuple et populaires, à la fois par devoir de leur rang et par sentiment chrétien. Dans l'instant que Charles-Louis naissait, un mendiant se présenta au château; les Secondat le retinrent pour être parrain de l'enfant, afin que le parrain lui rappelât tout sa vie que les pauvres sont ses frères. » Ainsi en avait usé autrefois le père de Montaigne, compatriote du père de Montesquieu.

Celui qui venait d'entrer ainsi dans la vie, put voir, dans son adolescence et dans sa jeunesse, la fin du règne de Louis XIV; mais il la vit de loin, car il vécut d'abord en pays gascon, dans la liberté de la campagne; puis, ayant perdu sa mère de bonne heure, on lui fit faire ses études, de 1700 à 1711, chez les oratoriens de Juilly. Dès 1714, revenu dans son pays natal, il était Conseiller au Parlement de Bordeaux.

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Sa vie semblait devoir s'écouler là tout entière, partagée entre les travaux de sa charge à laquelle il ne donna, dit-on, qu'une attention correcte, un peu dédaigneuse, un peu ennuyée et l'étude, qu'il aimait passionnément. Son esprit, très actif, s'engagea dans une double direction. Tout plein de l'antiquité, comme on l'était alors, il

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