PRÉFACE Ce sera l'éternel honneur de l'Angleterre d'avoir été, dans ce siècle, le seul.pays de l'Europe où les proscrits aient pu trouver un refuge sûr et inviolable. Lindomptable énergie avec laquelle les Anglais ont maintenu le droit d'asile les honore d'autant plus, qu'ils n'épousent pas les opinions de ceux que leur hospitalité abrite, et ne font rien pour encourager les espérances de ceux qui viennent s'asseoir à Leur foyer, Imposant spectacle que celui d'une nation, éminemment pratique, qui préfère la guerre et ses calamités à la honte de persécuter jusqu'à l'exil ! Mais quoi! l'Angleterre, en ce moment, est plus que le suprême lieu de refuge réservé aux victimes des dissensions civiles : elle est le dernier grand sanctuaire ouvert à l'esprit humain. Que Louis Bonaparte et les autres despotes du continent pâlissent à l'idée des complots, cela doit être; et, pourtant, là n'est point le sujet de leurs pires terreurs ce qui les remplit de mortelles angoisses, c'est la certitude qu'il est un lieu en Europe où leurs ennemis ont le droit de parler. La conspiration qui les épouvante, qui les trouble jusqu'au fond de l'âme, c'est celle... de la pensée humaine. Ils savent que toutes leurs armées et tous leurs trésors ne peuvent rien contre cet infatigable adversaire du despotisme la parole. L'ardeur de Louis Bonaparte à chercher dans l'explosion des vengeances italiennes un prétexte pour compléter sa politique d'étouffement; les derniers restes de liberté individuelle confisqués; les derniers râlements de la presse transformés en crimes; un système de persécution rétrospective organisé, chose hideuse! contre les martyrs de persécutions antérieures; le suffrage universel sommé, par je ne sais quelle audacieuse moquerie, de venir jurer pour toujours foi et hommage à un homme qui se vante de tenir ses pouvoirs du suffrage universel; la récente division de la France en cinq grands commandements militaires; la Belgique, la Suisse, le Piémont, mis dans une espèce de camisole de force, et, enfin, une croisade sauvage prêchée contre une poignée de pauvres proscrits... tout cela n'est que le développement nécessaire de cette guerre au couteau dans laquelle Louis Bonaparte est engagé contre l'esprit humain; et c'est, en même temps, l'aveu désespéré de son impuissance. Il sent que cinq ou six malheureux réfugiés, n'ayant plus rien au monde que leur plume et écrivant dans un grenier de Lendres ce qu'ils croient la vérité, sont plus puissants que lui à la tête de quatre cent mille soldats; car ils ne le craignent pas, et lui les craint ! D'un autre côté, sur ces routes funèbres où il a cherché son destin, pas de halte possible. Une sinistre logique le pousse en avant. Son pacte avec la tyrannie le condamne à en épuiser l'hor reur, esclave qu'il est des soldats qu'il commande, et livré au supplice de trembler, en faisant tout trembler. Donc, quelle que soit la politique de l'Angleterre à l'égard des réfugiés, aussi longtemps qu'elle partagera leur crime en proclamant comme le premier droit de l'homme celui d'exprimer librement sa pensée, elle ne saurait trouver grâce auprès de Louis Bonaparte. Heureusement, ce droit, elle a puissance de le défendre, si on le lui dispute. |