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Critique de HundredDreams


« L'hyacinthe, le myrte à l'adorable éclair
Et, pareille à la chair de la femme, la rose
Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair,
Celle qu'un sang farouche et radieux arrose ! »
MALLARMÉ

Ce court poème révèle l'esprit floral et féminin de ce roman. Carole Martinez dont j'apprécie particulièrement l'écriture, crée une ambiance gracieuse et feutrée dans lequel le décor a toute son importance.
J'aime beaucoup les univers que crée Carole Martinez, oniriques, surannés, un brin fantastique. Elle a une écriture chaleureuse, délicate et apaisante. le lecteur sent qu'elle façonne ses personnages féminins avec tendresse et bienveillance.
Dans « Les roses fauves », l'auteure renoue avec son premier roman « Un coeur cousu » par son thème et offre une belle réflexion sur la transmission familiale, l'émancipation des femmes. Plus en marge, l'auteur nous parle de la création littéraire et la solitude de l'écrivain.

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Dans « Les roses fauves », l'auteure se met en scène.
A la recherche de tranquillité et d'inspiration pour son prochain roman, elle quitte sa famille et Paris pour le village de Trébuailles, en Bretagne. Elle y rencontre Lola, une jeune postière simple et discrète.
Celle-ci l'invite à venir dîner chez elle. Au fil de la conversation, la jeune femme lui révèle l'existence d'une ancienne tradition espagnole selon laquelle les femmes, à la veille de leur mort, cousent un petit coussin en forme de coeur dans lequel elles enferment à tout jamais les secrets de leur vie.

Lola a hérité de la mémoire des aïeules de sa famille. Elle possède, alignés sur une étagère, à l'abri des regards, dans une vieille armoire de noce bretonne sculptée de roses, cinq coeurs brodés à la main.
Lors d'une nuit d'orage, un des coeurs cousus se déchire, libérant les secrets écrits sur des petits bouts de papier numérotés.
Chaque secret dévoilé est autant de fragments de vie de son ancêtre, une histoire commencée en Espagne que nous conte par son aïeule, Inès Dolorès.

« Sommes-nous écrits par ceux qui nous ont précédés ? »

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Ce roman choral est assez singulier.
C'est un voyage intérieur où l'auteure brode des histoires de femmes dans un enchevêtrement de roses et de ronces.
Les roses du jardin forment un personnage à part entière et leur beauté n'a d'égale que leur cruauté. Leurs épines acérées se cachent, sournoises. Elles s'accrochent, s'agrippent férocement, éraflant, égratignant, écorchant, entaillant, déchirant ces femmes au triste destin, les poursuivant de leur malédiction.

« Ces fleurs, dessinées dans la marge sans y prendre garde, envahissent mes cahiers, mes pensées, elles me débordent. Elles s'emparent des feuilles, se glissent entre les lignes, ouvrent des brèches dans mes phrases, dans mon sommeil, dans mon crâne. Elles me réclament d'être plus qu'un simple décor, elles se veulent personnages, elles aussi. »

Ainsi, elles forment un fourré dense et ramifié qui lie et entrelace plusieurs histoires, celle de Lola, d'Inès Dolorès et de la narratrice, la romancière elle-même.
Je me suis souvent perdue entre rêve et réalité, imaginaire et fiction, passé et présent, ne sachant plus qui, des trois femmes, s'exprimait. Et j'ai parfois eu la conviction que toutes ces femmes n'en formaient qu'une seule.

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Ce roman est très sensoriel.
L'auteure met toute sa force poétique pour nous décrire ces bouquets de senteurs qui envahissent ce beau jardin tapissé de roses. Cet écrin de verdure, refuge aux émotions de Lola, a un côté enchanteur et magique.
J'ai été envoûté par le parfum des roses rouges, je me suis perdue dans ce cocon fleuri qui se décline en plusieurs ambiances, parfois maîtrisé, d'autres fois inondé par la végétation.

« Mes fleurs poussent aussi en moi, je les guette, parfois je les oublie, mais elles sont là, quelque part, au fond de mon jardin intérieur. »

Les floraisons des rosiers sont le miroir des émotions. Les arbustes y poussent de manière étrange, indiscrète, obsédante, exhalant de lourds parfums qui participent à cette atmosphère tantôt chaleureuse et apaisante, tantôt entêtante et sensuelle. Les roses, en déployant à l'abri de ce jardin toute leur beauté et leurs senteurs, ont ce pouvoir d'éveiller la féminité, la sensualité, le désir et la passion.

« Mon jardin m'a enseigné l'amour. J'ai su devenir fleur pour attirer les bourdons, j'ai joui sous mes robes, comme une rose jouit des caresses du vent, comme elle s'ouvre aux petites pattes des insectes qui la butinent… »

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La force de son récit réside dans le style et l'écriture de Carole Martinez.
Emportée par sa belle plume poétique, j'ai suivi chaque tige de ce rosier chargé d'histoires enchevêtrées. J'ai aimé cette atmosphère sensuelle, ce récit qui parfois prend des allures de conte fantastique.

Cependant, j'apporterais une petite teinte nuancée à ce roman : les multiples histoires ne sont pas toujours faciles à démêler et il m'est arrivée d'être projetée en lisière du récit, devant revenir sur mes pas pour retrouver mon chemin dans ce méandre.
Plus imagé, plus sinueux, il est celui qui m'aura demandé le plus d'efforts parmi tous les romans de l'auteure. Mais cela en valait largement la peine.

« Nous faisons nos choix en lisant, Lola sera un bouquet composé à partir de quelques mots écrits et de vos propres souvenirs, de vos matériaux intimes. Elle sera notre oeuvre commune, notre enfant, conçue dans le mitan du livre où nous dormons ensemble, lecteur et auteure, mêlés dans un même nid de ronces. »
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